ASIE MINEURE.
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les mains de la race musulmane, qui
avait formé des royaumes et des prin-
cipautés indépendantes; mais la vigi-
lance des empereurs byzantins avait
éloigné jusque-là des frontières de la
Bithynie les hordes des émirs et des
califes. Haroun-al-Rachyd, qui s’était
emparé d’Angora , et dont l’avant-garde
était venue presque à Héraclée, s’était re-
tiré, par suite d’un traité signé avec l’em-
pereur (1). Les Seldjoukides, d’ailleurs
constamment en guerre avec d’autres
princes musulmans, avaient mollement
attaqué la Bithynie, lorsque Toghrul, le
chef de la dynastie d’Osman, voulant
aussi conquérir un empire pour les siens,
marcha droit vers l’ouest, et vint mourir
sur les bords du Sangarius, en montrant
à son fils Orkhan les hauteurs de
Broussa. Ala-Eddin, sultan seldjoukide,
lui avait donné en apanage toutes les
terres qu’il pourrait conquérir au delà
du Sangarius. La prise de Broussa,
dont les Osmanlis firent leur capitale
en Asie, amena la chute du pouvoir
des empereurs en Bithynie. Des guerres
infructueuses, un pouvoir précaire, ne
peuvent être considérés comme la
marque d’une domination. Plus tard,
lorsque les armées des croisés vinrent
occuper ces contrées, les Osmanlis,
quoique vaincus , ne furent jamais com-
plètement chassés, et la prise de Cons-
tantinople, en couronnant les efforts
de deux siècles, cimenta pour jamais la
domination musulmane.
Lorsque le sultan Orkhan détermina
les limites de la province nouvellement
conquise, il donna les noms de ses
lieutenants aux principaux districts
dont iis s’étaient emparés. Ainsi, le pays
des Thyniens fut appelé Khodja-Ili, et
la partie occidentale de la province
reçut le nom de Khodawenkiar; les
fiefs que l’émir s’était réservés autour
de. l’Olympe furent appelés Sultan-
OEni.Mais le sultan ne gardait pas pour
lui seul les terres conquises, et les plus
braves de ses émirs recevaient des por-
tions de territoire qui devaient au
trésor public, outre une redevance en
argent, un certain nombre d’hommes
armés ; le gouvernement de ces districts
(i) De Hammer, Histoire de l'empire ot-
toman, tome I,
leur était dévolu à eux et à leurs des-
cendants. C’est là l’origine de la puis-
sance des dérébeys (1), dont le gouver-
nement, tout à fait féodal, fut pendant
plusieurs siècles d’un si grand secours
à la puissance des sultans. Quelques-
uns de ces fiefs, donnés pour un certain
nombre d’années, rentraient, à l’extinc-
tion du titre, sous le pouvoir de la
Porte. Les guerres particulières que se
livrèrent ces beys, les vexations de
toute espèce dont ils accablèrent non-
seulement les chrétiens, mais encore
les différentes tribus musulmanes qui
venaient camper dans leurs districts,
contribuèrent à anéantir les derniers
éléments de civilisation et de commerce
dans cette contrée. Un des grands
principes de la politique du sultan
Mahmoud était de réunir sous un prin-
cipe unique et absolu le gouvernement
de l’empire. La puissance des dérébevs
fut attaquée, et ceux qui étaient dans
le voisinage de. Constantinople furent
obligés de se soumettre. Aujourd’hui,
la Bithynie est gouvernée par des pa-
chas, qui reçoivent tous les ans l’in-
vestiture à l’époque du Beyram. On
n’entend plus parler de ces soulèvements
hardis qui mettaient en feu des pro-
vinces entières, et maintenant Turcs et
chrétiens, courbés sous le même niveau,
jouissent, de la part des autorités, sinon
de la même bienveillance, du moins
d’une tranquillité relative.
CHAPITRE III.
FRONTIÈRES DE LA BITHYNIE.
Le royaume de Bithynie, formé du
démembrement de plusieurs peuples,
eut naturellement des frontières varia-
bles; néanmoins, du côté de l'ouest,
les limites furent constamment fixées
par le Rhyndacus. Du côté de l'est, il
fut longtemps borné par le cours du
Sangarius (2); mais après l’adjonction
du pays des Mariandyniens, il s’é-
tendit jusqu’à Héraclée, et même jus-
qu’au Parthénius, c’est-à-dire, jusqu’à
la limite extrême du territoire de Cau-
cones. Cette Thrace qui est en Asie,
(1) Dérébey, bey des vallées.
(2) Strabon, liv. XII, p. 54r.
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les mains de la race musulmane, qui
avait formé des royaumes et des prin-
cipautés indépendantes; mais la vigi-
lance des empereurs byzantins avait
éloigné jusque-là des frontières de la
Bithynie les hordes des émirs et des
califes. Haroun-al-Rachyd, qui s’était
emparé d’Angora , et dont l’avant-garde
était venue presque à Héraclée, s’était re-
tiré, par suite d’un traité signé avec l’em-
pereur (1). Les Seldjoukides, d’ailleurs
constamment en guerre avec d’autres
princes musulmans, avaient mollement
attaqué la Bithynie, lorsque Toghrul, le
chef de la dynastie d’Osman, voulant
aussi conquérir un empire pour les siens,
marcha droit vers l’ouest, et vint mourir
sur les bords du Sangarius, en montrant
à son fils Orkhan les hauteurs de
Broussa. Ala-Eddin, sultan seldjoukide,
lui avait donné en apanage toutes les
terres qu’il pourrait conquérir au delà
du Sangarius. La prise de Broussa,
dont les Osmanlis firent leur capitale
en Asie, amena la chute du pouvoir
des empereurs en Bithynie. Des guerres
infructueuses, un pouvoir précaire, ne
peuvent être considérés comme la
marque d’une domination. Plus tard,
lorsque les armées des croisés vinrent
occuper ces contrées, les Osmanlis,
quoique vaincus , ne furent jamais com-
plètement chassés, et la prise de Cons-
tantinople, en couronnant les efforts
de deux siècles, cimenta pour jamais la
domination musulmane.
Lorsque le sultan Orkhan détermina
les limites de la province nouvellement
conquise, il donna les noms de ses
lieutenants aux principaux districts
dont iis s’étaient emparés. Ainsi, le pays
des Thyniens fut appelé Khodja-Ili, et
la partie occidentale de la province
reçut le nom de Khodawenkiar; les
fiefs que l’émir s’était réservés autour
de. l’Olympe furent appelés Sultan-
OEni.Mais le sultan ne gardait pas pour
lui seul les terres conquises, et les plus
braves de ses émirs recevaient des por-
tions de territoire qui devaient au
trésor public, outre une redevance en
argent, un certain nombre d’hommes
armés ; le gouvernement de ces districts
(i) De Hammer, Histoire de l'empire ot-
toman, tome I,
leur était dévolu à eux et à leurs des-
cendants. C’est là l’origine de la puis-
sance des dérébeys (1), dont le gouver-
nement, tout à fait féodal, fut pendant
plusieurs siècles d’un si grand secours
à la puissance des sultans. Quelques-
uns de ces fiefs, donnés pour un certain
nombre d’années, rentraient, à l’extinc-
tion du titre, sous le pouvoir de la
Porte. Les guerres particulières que se
livrèrent ces beys, les vexations de
toute espèce dont ils accablèrent non-
seulement les chrétiens, mais encore
les différentes tribus musulmanes qui
venaient camper dans leurs districts,
contribuèrent à anéantir les derniers
éléments de civilisation et de commerce
dans cette contrée. Un des grands
principes de la politique du sultan
Mahmoud était de réunir sous un prin-
cipe unique et absolu le gouvernement
de l’empire. La puissance des dérébevs
fut attaquée, et ceux qui étaient dans
le voisinage de. Constantinople furent
obligés de se soumettre. Aujourd’hui,
la Bithynie est gouvernée par des pa-
chas, qui reçoivent tous les ans l’in-
vestiture à l’époque du Beyram. On
n’entend plus parler de ces soulèvements
hardis qui mettaient en feu des pro-
vinces entières, et maintenant Turcs et
chrétiens, courbés sous le même niveau,
jouissent, de la part des autorités, sinon
de la même bienveillance, du moins
d’une tranquillité relative.
CHAPITRE III.
FRONTIÈRES DE LA BITHYNIE.
Le royaume de Bithynie, formé du
démembrement de plusieurs peuples,
eut naturellement des frontières varia-
bles; néanmoins, du côté de l'ouest,
les limites furent constamment fixées
par le Rhyndacus. Du côté de l'est, il
fut longtemps borné par le cours du
Sangarius (2); mais après l’adjonction
du pays des Mariandyniens, il s’é-
tendit jusqu’à Héraclée, et même jus-
qu’au Parthénius, c’est-à-dire, jusqu’à
la limite extrême du territoire de Cau-
cones. Cette Thrace qui est en Asie,
(1) Dérébey, bey des vallées.
(2) Strabon, liv. XII, p. 54r.