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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 10.1884 (Teil 2)

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Michel, André: Le Salon de 1884, [5]
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https://doi.org/10.11588/diglit.19702#0022

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LE SALON DE 1884. "

presque supprimé : un chemin creux bordé d'un talus gazonné, au-dessus et au fond le ciel : le
tout indiqué plutôt que peint, afin de concentrer l'attention sur la figure centrale. Enveloppé dans
un grand manteau noir à plis rares et droits, qui cache l'uniforme, la main posée sur l'arçon de
la selle et laissant flotter les rênes, la tête haute et nue, les cheveux gris très courts, le front
découvert, les lèvres minces, la bouche énergique faite pour le commandement, le regard à demi
voilé où vient mourir le reflet d'un ardent foyer intérieur, une intense expression de rêverie sous
une apparence de sécheresse et de froideur hautaine, un indicible mélange d'autorité impérieuse
et de contemplation mystique, vivante et mâle effigie d'un soldat de la foi, d'un ascète à cheval,
tel nous apparaît ce chef inconnu, mais désormais reconnaissable entre tous. Le peintre s'est
effacé en quelque sorte; rien n'amuse l'œil et ne l'égaré : la virile sobriété de la touche concourt
à l'impression totale, précise le caractère et achève la beauté de ce portrait extraordinairement
suggestif.

Les mêmes qualités se retrouvent
dans le portrait d'un vieillard assis, au
visage plein de gravité douce et pensive.
Nous voudrions seulement encore plus de
tranquillité dans les plis de l'ample re-
dingote sur le genou gauche; il en est
un qui s'arrondit un peu trop en parafe
de notaire. Mais l'oeuvre, en dépit de
quelques défaillances de la main, s'im-
pose par son caractère de simplicité et
de grandeur.

Les amateurs de bonne peinture,
ceux qui ne s'arrêtent pas aux bagatelles
de la porte et ne détournent même plus
la tête aux décharges tapageuses des
tireurs de coups de pistolet, commencent
par chercher, dès l'ouverture du Salon,
les portraits de M. Delaunay. Là, point
de bruit inutile et de parole vaine, mais
un accent de sincérité qui séduit tout
d abord, une maîtrise de pinceau et une
profondeur d'observation qui retiennent.

Le maître S entend mal à flatter son Dessin d'Alfred"Agache d'après son tableau. (Salon de 1884.)

modèle; son art, très chercheur, souvent

même raffiné, a pour premier principe, pour condition suprême le respect de la vérité. Il méprise
les flatteries qui font le succès de tant d'autres, et Célimène ne le choisirait pas. Mais la
« sincère Eliante » et la a charmante Henriette » iraient chez lui comme chez un ami ; je crois
même qu'Alceste l'estimerait par-dessus tous les autres, à moins qu'il ne préférât, après son
procès perdu et la trahison de Célimène, se faire peindre par Whistler ou Ribot, « dans un petit
coin sombre, avec son noir chagrin ».

Si M. Delaunay est incapable de ces flatteries, qui ne sont que de fades mensonges, il pro-
fesse qu'un portrait est une œuvre d'art en même temps que de vérité, et il excelle à trouver à
chaque figure l'accompagnement le plus harmonieux. Il n'est pas de ces bourreaux de beauté qui
imposent à chaque modèle le même cadre, peignent de la même touche un vieillard et une jeune
fibe, un agent de change et un poète, un homme d'État et une jolie femme. Il sait dans un
Portrait résumer une existence; les accessoires qu'il juge bon de peindre ne sont pas là pour
donner une contenance au sujet, mais parce qu'ils tiennent une place dans sa vie et expliquent son
caractère. Dans le beau portrait de M. Régnier, il nous le montre assis dans un cabinet de
travail, aux tentures sobres et éteintes; toute la clarté est concentrée sur la tête admirablement

Portrait.
 
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