UNION CENTRALE DES ARTS DÉCORATIFS
La huitième Exposition de l'Union centrale des Arts déco-
ratifs s'est ouverte le 14 août dernier. Le besoin s'en faisait-il
sentir? C'est, à mon avis, douteux. L'art plastique propre-
ment dit, celui qui a pour moyens d'expression la peinture
et la sculpture, est une manifestation de la pensée qui a à sa
disposition des combinaisons infinies et une variété de moyens
aussi simples qu'illimités. 11 n'est entravé par rien, sort tout
armé du cerveau, et le procédé n'ajoute que peu de chose à
ses chances de réussite. Cet art direct, absolu, se renouvelle
sans cesse et il est toujours neuf, parce qu'il dérive immédia-
tement de la faculté de sentir et qu'il est pour ainsi dire
l'image réalisée, sans intervention étrangère, d'une pensée, d'un
sentiment, inspirés par la nature mais préalablement formés de
toutes pièces. Tout autre est l'art décoratif. Celui-ci, comme
on eût dit autrefois, ne jaillit pas des hauts sommets de l'Hélicon,
il n'est qu'un des ruisseaux secondaires émanés des neiges pures
qui le couronnent, un des affluents du Permesse. Le beau, le
grand beau, le beau moral et idéal, il n'y peut atteindre. Tou-
jours esclave du monument qu'il embellit, de la matière quel-
conque qu'il doit orner, il n'est pas l'art libre et fie'r, fils
légitime de la pensée. En dépit de ses efforts souvent héroïques,
{Manufacture nationale de Sèvres.)
Modèle de m. Canier-Beiieuse. force lui est de se traîner à la remorque de ses puissants aînés,
Sculpture de mm. Roger et Legay. sans lesquels il ne saurait vivre et auxquels il emprunte ses
Composition et exécution de M. Belet. r , .
moyens et ses qualités qui ne sont jamais que des reflets. Et
cependant, pour qu'un progrès sensible s'accomplisse dans cet art, il faut une somme de
conditions réunies très malaisées à obtenir. Le sentiment, l'émotion, la faculté créatrice, le
génie, oui le génie même ne suffisent pas pour produire spontanément une oeuvre décorative ; la
pensée y est perpétuellement entravée par ses moyens d'expression, laborieux et compliqués.
Avant qu'elle puisse se faire jour sous une forme claire et parfaitement déterminée, il faut
triompher de mille obstacles et rester victorieux dans cette terrible lutte engagée avec la matière,
lutte patiente, ardue, semée de pièges et de déboires, où le talent n'est jamais sûr de forcer le
succès, où les incidents décevants fourmillent, où les mécomptes sont la monnaie courante. En
un mot, le peintre ou le sculpteur qui possède bien son métier n'a pas à se colleter avec les
moyens d'exécution. Il n'éprouve, pour exprimer sa pensée, aucune gêne provenant des matières
qu'il emploie, matières en quelque sorte immuables, qui ont toujours été et sont les mêmes pour
tous. L'artiste décorateur, au contraire, est aux prises avec une matière toujours plus ou moins
rebelle qu'il doit assouplir, transformer, remplacer au besoin par d'autres matières similaires afin
de produire les effets nouveaux qu'il a rêvés. Pour réaliser son rêve, il lui faut souvent imaginer
des amalgames qui constituent de véritables substances nouvelles et les harmoniser avec de
Vase Théodore de Bry.
La huitième Exposition de l'Union centrale des Arts déco-
ratifs s'est ouverte le 14 août dernier. Le besoin s'en faisait-il
sentir? C'est, à mon avis, douteux. L'art plastique propre-
ment dit, celui qui a pour moyens d'expression la peinture
et la sculpture, est une manifestation de la pensée qui a à sa
disposition des combinaisons infinies et une variété de moyens
aussi simples qu'illimités. 11 n'est entravé par rien, sort tout
armé du cerveau, et le procédé n'ajoute que peu de chose à
ses chances de réussite. Cet art direct, absolu, se renouvelle
sans cesse et il est toujours neuf, parce qu'il dérive immédia-
tement de la faculté de sentir et qu'il est pour ainsi dire
l'image réalisée, sans intervention étrangère, d'une pensée, d'un
sentiment, inspirés par la nature mais préalablement formés de
toutes pièces. Tout autre est l'art décoratif. Celui-ci, comme
on eût dit autrefois, ne jaillit pas des hauts sommets de l'Hélicon,
il n'est qu'un des ruisseaux secondaires émanés des neiges pures
qui le couronnent, un des affluents du Permesse. Le beau, le
grand beau, le beau moral et idéal, il n'y peut atteindre. Tou-
jours esclave du monument qu'il embellit, de la matière quel-
conque qu'il doit orner, il n'est pas l'art libre et fie'r, fils
légitime de la pensée. En dépit de ses efforts souvent héroïques,
{Manufacture nationale de Sèvres.)
Modèle de m. Canier-Beiieuse. force lui est de se traîner à la remorque de ses puissants aînés,
Sculpture de mm. Roger et Legay. sans lesquels il ne saurait vivre et auxquels il emprunte ses
Composition et exécution de M. Belet. r , .
moyens et ses qualités qui ne sont jamais que des reflets. Et
cependant, pour qu'un progrès sensible s'accomplisse dans cet art, il faut une somme de
conditions réunies très malaisées à obtenir. Le sentiment, l'émotion, la faculté créatrice, le
génie, oui le génie même ne suffisent pas pour produire spontanément une oeuvre décorative ; la
pensée y est perpétuellement entravée par ses moyens d'expression, laborieux et compliqués.
Avant qu'elle puisse se faire jour sous une forme claire et parfaitement déterminée, il faut
triompher de mille obstacles et rester victorieux dans cette terrible lutte engagée avec la matière,
lutte patiente, ardue, semée de pièges et de déboires, où le talent n'est jamais sûr de forcer le
succès, où les incidents décevants fourmillent, où les mécomptes sont la monnaie courante. En
un mot, le peintre ou le sculpteur qui possède bien son métier n'a pas à se colleter avec les
moyens d'exécution. Il n'éprouve, pour exprimer sa pensée, aucune gêne provenant des matières
qu'il emploie, matières en quelque sorte immuables, qui ont toujours été et sont les mêmes pour
tous. L'artiste décorateur, au contraire, est aux prises avec une matière toujours plus ou moins
rebelle qu'il doit assouplir, transformer, remplacer au besoin par d'autres matières similaires afin
de produire les effets nouveaux qu'il a rêvés. Pour réaliser son rêve, il lui faut souvent imaginer
des amalgames qui constituent de véritables substances nouvelles et les harmoniser avec de
Vase Théodore de Bry.