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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 2,1.1899/​1900

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No. 16 (Janvier 1900)
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Jacques, G. M.: Les limites du décor
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https://doi.org/10.11588/diglit.34203#0166

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L'ART DÉCORATIF

indique suffisamment qu'on voulait une œuvre
de premier ordre en son genre. Le premier
pouvait sculpter un petit chef d'œuvre à chaque
coin des meubles. Il s'est contenté de poser
— et si discrètement! — une toute mignonne
guirlande de boutons de rose le long des princi-
paux longerons de meubles de formes simples,
relevées par le plus sobre des modelés. Dans
cet effacement volontaire du sculpteur devant
son collaborateur auquel il remet le soin de
«tirer l'œil» par la décoration murale, le cha-
toiement des étoffes des sièges, le gai ramage
des tentures, des tapis, il y a plus de science
que dans l'étalage que d'autres n'eussent pas
manqué de faire de leur fécondité. i ^
La salle à manger de la même maison, com-
posée par les mêmes artistes, est un modèle
presque parfait de bonne entente du décor. La
décoration murale d'Aubert, faite dans des tons
mats et riches à la fois sur un dessin véri-
tablement magistral, est comprise entre une
large et brillante frise où les fruits de pom-
miers en espalier se jouent dans les caprices
d'un feuillage touffu, et, en bas, une bordure
de carreaux de faïence où les pommes re-
viennent par grappes de deux. Cette décoration
superbe et les vitraux de la double fenêtre, où
les Reurs de soleil s'épanouissent sur leurs tiges
droites dans un flamboiement de couleurs, ser-
vent de cadre à deux grands meubles de Char-
pentier en bois de cerisier, le buffet et la
crédence, qui se dressent aux deux bouts de
la salle avec la table et les chaises entre les
deux. On ne saurait trouver de formes plus
noblement simples et fortes, de proportions
plus harmonieuses, de modelé plus riche dans
sa sobriété que ceux de ces meubles. En un
seul point le tact de Charpentier s'est trouvé
en défaut, lorsqu'aux supports du corps su-
périeur du buffet, il a marié des branches de
cerisier admirablement sculptées, mais dont les
tortuosités jettent un trouble dans la vision
tranquille de ce pur ensemble de lignes régu-
lières. Un point faible, un seul, s'est introduit
dans cette belle composition des deux artistes,
l'une des plus parfaites qu'aie produit jusqu'ici
l'art domestique français, selon moi; et cela,
parceque la juste limite du décor a été dé-
passée en ce point.
S'il n'était dangereux de vouloir établir des
règles dans l'art, c'est à dire dans celui de
tous les domaines qui en admet le moins, on
pourrait dire qu'en général l'importance du
décor doit être en raison inverse de l'utilité
des objets, de l'activité de leur intervention
dans nos besoins matériels. De la statuette qui
se dresse sur la sellette à la table sur laquelle
on écrit, il y a tous les degrés du sentiment

que les objets peuvent éveiller en nous, aux-
quels doivent correspondre tous les degrés de
la décoration. Une potiche en céramique, un
bibelot en métal, qui ne sont là que pour
intéresser l'esprit, ont un but voisin de celui
de l'art pur; sur eux, le décor est forcé; il
n'est pas l'accessoire, il est le principal; sans
lui, il n'y a plus rien — si ce n'est, dans de
rares cas, la caresse de l'œil par une matière
exceptionnellement variée, par exemple les grès.
Sur le vase dans lequel la maîtresse de la
maison entretient avec amour ses heurs pré-
férées, il est déjà moins nécessaire; ce sont
les heurs, non lui, qui doivent parler à l'âme.
On s'accomode assez bien de marqueteries sur
un guéridon, qui ne sert guère, le plus souvent,
qu'à combler un vide. Mais sur les meubles
auxquels l'idée des actes essentiels de notre
vie s'associe intimement, sur la table et le
fauteuil de travail, la bibliothèque, le buffet,
le lit, les mêmes fantaisies sont toujours inu-
tiles, et le plus souvent choquantes pour l'esprit
délicat.
Encore une fois, je ne prétends pas formuler
une règle. Je reconnais le premier qu'on peut
indiquer de suite des cas où ce qui vient d'être
dit serait trop rigoureux si l'on voulait l'appliquer
à la lettre. En matière de beauté, il n'y a pas
de principes absolus; il y a seulement des
vérités relatives dictées par la raison, et dont
ce sens intime du trop et du trop peu, de ce
qui est à sa place et de ce qui ne l'est pas,
que nous appelons A gavîy, sait seul révéler la
mesure. Tout artiste, toute école qui entre-
prend de redresser une erreur tombe fatalement
dans une autre erreur en voulant être inflexible
dans la logique, ou, plus exactement, dans
l'apparence de la logique. Les exemples ne
manquent pas de nos jours pour confirmer ceci.
Indispensable aux grandes surfaces inertes
d'un intérieur, le décor l'est d'autant moins,
sur les objets, que l'idée de leurs fonctions
se lie plus étroitement à leur vue. Le sentiment
même de la part active que les plus impor-
tants prennent à notre existence leur com-
munique en quelque sorte une vie qui suffit
à les rendre parlants, et rend inutile tout ar-
tifice pour nous intéresser à eux. En même
temps, mieux est déterminée la fonction de
l'objet, plus elle se précise en une forme
à lui propre: l'objet possède la beauté géo-
métrique, celle que la nature a mise dans
toutes ses œuvres, depuis le cristal jusqu'à la
montagne, depuis la cellule jusqu'à la heur,
et dont l'homme, depuis les premiers âges,
guidé par l'instinct avant de l'être par la
science, a fait la loi primordiale des siennes.
Que ceux dont les yeux n'éprouvent aucune

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