FÉVRIER 1900
H. OBRIST
LA FRAYEUR DES ELFES , RELIEF POUR UNE FONTAINE
bon. Combien s'égarèrent ainsi dans les fausses
voies, et gaspillèrent leurs forces !
Nous ne prétendons pas faire arriver le
montagnard à la cime sans peine. Mais à
quoi bon lui laisser faire la route dans le
brouillard ?
C'est à ceux qui savent de prendre l'initiative
d'enseigner aux autres. Et dans cet enseignement,
nous l'avons vu, la parole n'est pas écoutée
ni l'écrit lu par l'artiste; c'est à la leçon de
choses qu'il faut s'adresser. Mais comment?
Les musées n'y font rien, l'artiste n'y va pas.
Les expositions ne lui font que du mal. Alors?
Il n'y a qu'un bon moyen: la comparaison.
Un exemple. Nos fabriques de meubles font
d'innombrables chaises, laides, incommodes,
banales, qui prétendent faire de l'effet et coûter
peu. Ces chaises sont dessinées par les dessina-
teurs de fabriques, jeunes gens dont les facultés
s'étiolent à ce métier et qu'on ne peut rendre
responsables de ces attentats au goût et au
confort. Ils obéissent aux ordres de leurs
patrons. Toute velléité d'invention est bien
vite étouhée; ou bien, s'il iaut quelque chose
de nouveau, c'est tout de suite, sans le temps
de le chercher; ils peuvent tout juste bâcler un
croquis pseudo-moderne quelconque. Ils finissent
du reste par se figurer qu'ils ont fait quelque
chose d'éminent. Supposons maintenant que
chaque fois qu'ils doivent faire un projet, vingt
chaises des meilleures et des pires époques
leur apparaissent soudain. Cette vision ne
serait sûrement pas sans effet sur leur travail;
on ne peut guère supposer qu'après qu'elle se
serait renouvelée dix fois, un homme de facultés
moyennes continue à copier servilement les
chaises vulgaires et incommodes.
Pourquoi cette proposition ne recevrait-elle
pas suite? On objectera que les écoles et musées
d'art industriel ont des collections magnifiques,
que les jeunes gens peuvent y aller, dessiner
d'après ces modèles, compléter leur instruction
eux-mêmes. Ils le font. Pourquoi cela leur
profite-t-il si peu ? Parceque cela reste un acte
purement extérieur. Quelque chose leur plaît, ils
le copient pour s'en servir ensuite sans discerne-
ment, au hasard. Il ne sert pas plus de
faire défiler, sous leurs veux une série de belles
oeuvres anciennes, avec conférence historique.
Cela ne les met pas à même de conclure pour-
quoi le canapé qu'ils font à la fabrique est un
vilain objet.
Mais qu'on fasse l'essai suivant. Qu'on
rassemble les chaises les plus vulgaires, et â
côté, les meilleures chaises gothiques, renaissance,
Louis XV, néo-anglaises et autres qu'on pourra
se procurer, toujours une laide près d'une belle,
une incommode près d'une confortable, une chaise
de la maison X. près d'une chaise de Riemer-
schmid. Qu'on questionne maintenant les
jeunes gens, sans les influencer; qu'on leur
fasse dire laquelle leur plait le mieux. Sans
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H. OBRIST
LA FRAYEUR DES ELFES , RELIEF POUR UNE FONTAINE
bon. Combien s'égarèrent ainsi dans les fausses
voies, et gaspillèrent leurs forces !
Nous ne prétendons pas faire arriver le
montagnard à la cime sans peine. Mais à
quoi bon lui laisser faire la route dans le
brouillard ?
C'est à ceux qui savent de prendre l'initiative
d'enseigner aux autres. Et dans cet enseignement,
nous l'avons vu, la parole n'est pas écoutée
ni l'écrit lu par l'artiste; c'est à la leçon de
choses qu'il faut s'adresser. Mais comment?
Les musées n'y font rien, l'artiste n'y va pas.
Les expositions ne lui font que du mal. Alors?
Il n'y a qu'un bon moyen: la comparaison.
Un exemple. Nos fabriques de meubles font
d'innombrables chaises, laides, incommodes,
banales, qui prétendent faire de l'effet et coûter
peu. Ces chaises sont dessinées par les dessina-
teurs de fabriques, jeunes gens dont les facultés
s'étiolent à ce métier et qu'on ne peut rendre
responsables de ces attentats au goût et au
confort. Ils obéissent aux ordres de leurs
patrons. Toute velléité d'invention est bien
vite étouhée; ou bien, s'il iaut quelque chose
de nouveau, c'est tout de suite, sans le temps
de le chercher; ils peuvent tout juste bâcler un
croquis pseudo-moderne quelconque. Ils finissent
du reste par se figurer qu'ils ont fait quelque
chose d'éminent. Supposons maintenant que
chaque fois qu'ils doivent faire un projet, vingt
chaises des meilleures et des pires époques
leur apparaissent soudain. Cette vision ne
serait sûrement pas sans effet sur leur travail;
on ne peut guère supposer qu'après qu'elle se
serait renouvelée dix fois, un homme de facultés
moyennes continue à copier servilement les
chaises vulgaires et incommodes.
Pourquoi cette proposition ne recevrait-elle
pas suite? On objectera que les écoles et musées
d'art industriel ont des collections magnifiques,
que les jeunes gens peuvent y aller, dessiner
d'après ces modèles, compléter leur instruction
eux-mêmes. Ils le font. Pourquoi cela leur
profite-t-il si peu ? Parceque cela reste un acte
purement extérieur. Quelque chose leur plaît, ils
le copient pour s'en servir ensuite sans discerne-
ment, au hasard. Il ne sert pas plus de
faire défiler, sous leurs veux une série de belles
oeuvres anciennes, avec conférence historique.
Cela ne les met pas à même de conclure pour-
quoi le canapé qu'ils font à la fabrique est un
vilain objet.
Mais qu'on fasse l'essai suivant. Qu'on
rassemble les chaises les plus vulgaires, et â
côté, les meilleures chaises gothiques, renaissance,
Louis XV, néo-anglaises et autres qu'on pourra
se procurer, toujours une laide près d'une belle,
une incommode près d'une confortable, une chaise
de la maison X. près d'une chaise de Riemer-
schmid. Qu'on questionne maintenant les
jeunes gens, sans les influencer; qu'on leur
fasse dire laquelle leur plait le mieux. Sans
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