MARS 1901
sont de petites merveilles, et devant elles, le
mot de Chardin, grand harmoniste en clair-
obscur, se précise dans toute sa force : (( On se
sert de couleurs ; on peint avec le sentiment. ))
Au point de vue technique, on ne peut
qu'admirer les pièces de MM. Daum ; toutes se
recommandent par une facture habile, plusieurs
valent par les subtils stratagèmes qui masquent
les difficultés vaincues. Avec un décor plus
ornemental, beaucoup de ces vases prendraient
place parmi les œuvres de haut goût.
Le naturisme était nécessaire pour rénover
nos arts intimes tombés dans le rabâchage et le
vieux neuf II serait temps aujourd'hui d'en
limiter et d'en transformer l'emploi, sinon son
action finira par devenir malfaisante. Que les
intéressés interrogent l'histoire, ils s'aper-
cevront vite qu'aucun décorateur en plénitude
de ses dons n'a négligé la recherche orne-
mentale. Sans doute comprendront-ils mieux
alors qu'il est préférable de doter les verreries
d'illustrations peu compliquées, peu envahis-
santes, et de conserver aux images tracées une
apparence légère, presque aérienne, en concor-
dance avec la qualité de la matière qui leur sert
de fond.
Il ne serait pas moins sage de s'inciter, en
toute occasion, à ne rien créer sans d'harmo-
nieuses structures. Des vases, par exemple,
devraient avant tout présenter un ensemble
d'excellentes proportions. Déroulé sur des
galbes vulgaires ou disgracieux, le plus réjouis-
sant des décors perd de son intérêt et de sa
valeur. Une belle silhouette, au contraire, est
déjà décorative par elle-même et il suffit d'un
jeu de lumière pour la rendre tout à fait exquise.
C'est dans la configuration des objets, le
dessin de leurs contours, que s'affirme le génie
inventif de l'artiste. Que de verriers des siècles
passés ont affirmé leur maîtrise par de simples
créations de formes! Or, c'est justement,
pourquoi le taire? parles contours et les pro-
portions que pèchent les ouvrages contem-
porains.
MM. Daum, hâtons-nous de le dire, ont
apporté un soin visible à la délinéation de leurs
pièces. Beaucoup se profilent avec d'élégantes
courbes ou se recommandent par une origi-
nalité de bon aloi. Certain vase aux cyclamens
a la noblesse d'une amphore de belle époque,
tel autre historié d'orchidées séduit par la
pureté et la sveltesse de sa contexture.
Mais combien d'autres, toujours prêts à se
satisfaire de peu, s'en remettent au hasard quand
ils composent, quand ils construisent! Combien
s'appliquent à vêtir leurs œuvres avec magnifi-
cence, à les adorer comme des idoles, avant
d'avoir assuré leur statique et tout ce qui consti-
tue leur beauté! Les uns n'ont pas le goût assez
LOUIS C. TIFFANY
affiné pour équilibrer avec grâce. Ils élargissent
à l'excès les panses, s'ils ne les ratatinent sans
pitié. Ils haussent les cols ou amincissent dé-
mesurément les parties centrales lorsqu'ils pré-
tendent à d'inédits dandysmes. Et quand leurs
ambitions sont plus modestes, ils se contentent
de modifier, de maquiller selon le goût mo-
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sont de petites merveilles, et devant elles, le
mot de Chardin, grand harmoniste en clair-
obscur, se précise dans toute sa force : (( On se
sert de couleurs ; on peint avec le sentiment. ))
Au point de vue technique, on ne peut
qu'admirer les pièces de MM. Daum ; toutes se
recommandent par une facture habile, plusieurs
valent par les subtils stratagèmes qui masquent
les difficultés vaincues. Avec un décor plus
ornemental, beaucoup de ces vases prendraient
place parmi les œuvres de haut goût.
Le naturisme était nécessaire pour rénover
nos arts intimes tombés dans le rabâchage et le
vieux neuf II serait temps aujourd'hui d'en
limiter et d'en transformer l'emploi, sinon son
action finira par devenir malfaisante. Que les
intéressés interrogent l'histoire, ils s'aper-
cevront vite qu'aucun décorateur en plénitude
de ses dons n'a négligé la recherche orne-
mentale. Sans doute comprendront-ils mieux
alors qu'il est préférable de doter les verreries
d'illustrations peu compliquées, peu envahis-
santes, et de conserver aux images tracées une
apparence légère, presque aérienne, en concor-
dance avec la qualité de la matière qui leur sert
de fond.
Il ne serait pas moins sage de s'inciter, en
toute occasion, à ne rien créer sans d'harmo-
nieuses structures. Des vases, par exemple,
devraient avant tout présenter un ensemble
d'excellentes proportions. Déroulé sur des
galbes vulgaires ou disgracieux, le plus réjouis-
sant des décors perd de son intérêt et de sa
valeur. Une belle silhouette, au contraire, est
déjà décorative par elle-même et il suffit d'un
jeu de lumière pour la rendre tout à fait exquise.
C'est dans la configuration des objets, le
dessin de leurs contours, que s'affirme le génie
inventif de l'artiste. Que de verriers des siècles
passés ont affirmé leur maîtrise par de simples
créations de formes! Or, c'est justement,
pourquoi le taire? parles contours et les pro-
portions que pèchent les ouvrages contem-
porains.
MM. Daum, hâtons-nous de le dire, ont
apporté un soin visible à la délinéation de leurs
pièces. Beaucoup se profilent avec d'élégantes
courbes ou se recommandent par une origi-
nalité de bon aloi. Certain vase aux cyclamens
a la noblesse d'une amphore de belle époque,
tel autre historié d'orchidées séduit par la
pureté et la sveltesse de sa contexture.
Mais combien d'autres, toujours prêts à se
satisfaire de peu, s'en remettent au hasard quand
ils composent, quand ils construisent! Combien
s'appliquent à vêtir leurs œuvres avec magnifi-
cence, à les adorer comme des idoles, avant
d'avoir assuré leur statique et tout ce qui consti-
tue leur beauté! Les uns n'ont pas le goût assez
LOUIS C. TIFFANY
affiné pour équilibrer avec grâce. Ils élargissent
à l'excès les panses, s'ils ne les ratatinent sans
pitié. Ils haussent les cols ou amincissent dé-
mesurément les parties centrales lorsqu'ils pré-
tendent à d'inédits dandysmes. Et quand leurs
ambitions sont plus modestes, ils se contentent
de modifier, de maquiller selon le goût mo-
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