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ACROPOLE DE LINDOS: N° 1
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aux termes de l’inscription et beaucoup mieux que
celle de K. Voici ce qu’écrit Kinch sur ce point. S’il
s’agissait, comme je l’avais cru, de la bataille d’Arbela,
Alexandre aurait dû écrire δίς μάχαι (ou μάχαις) κρα-
τήσου Δαρεϊον — objection qu’il est inutile de discuter,
à mon avis. La phrase κύριος γενόμενος τάς Ασίας
s’accorde, d’après Kinch, si bien avec les termes em-
ployés par Alexandre dans la correspondance avec
Dareios conservée chez Arrianos (2,14) et Curtius (4,2,
7-14), qu’il faut la rapporter au même événement,
c’est-à-dire à la bataille d’Issos. Mais il y a des objec-
tions assez graves à faire à cette manière de voir.
Laissons de côté la question de l’authenticité de la
lettre d’Alexandre, qui est regardée comme douteuse
par Beloch1. Dès le commencement de la guerre,
Alexandre s’était sans doute proposé de conquérir tout
le royaume de Dareios (l’Asie entière, dit-il), et on com-
prend bien que dans sa réponse à la lettre de celui-ci,
écrite après la bataille d’Issos, il prétend que Dareios
le regarde comme roi de l’Asie entière2. La réalité ne
correspondait pourtant pas à ces prétentions3, et il
paraît invraisemblable que dès 332 Alexandre aurait
pu offrir, comme »souverain de toute l’Asie« un sacri-
fice à Athana Lindia. Ce ne fut qu’après le combat
d’Arbela que le royaume de Dareios était regardé
comme complètement assujéti, et qu’Alexandre fut
proclamé roi d’Asie, proclamation suivie de grands
sacrifices aux dieux, etc.4 De plus, la bataille d’Issos
ne pouvait guère donner lieu à une offrande à la déesse
de Lindos de la part d’Alexandre, composée d’une
hécatombe et d’un certain nombre de boucliers (όπλα:
Chron. du temple, C 109), provenant sans doute d’une
bataille5 et munis d’inscriptions dédicatoires; car, lors
de la bataille d’Issos, les Rhodiens étaient encore
1 V. Griech. Geschichte, III i2, p. 637, not. 1.
2 Arrianos 2,14,8: ώς ούν εμού της Ασίας άπάσης κυρίου
όντας ήκε προς εμέ; 2,14,9: τού λοιπού όταν πέμπης παρ’ εμέ,
ώς προς βασιλέα τής Ασίας πέμπε. Curtius se sert (4,2,13) d’une
expression qui diffère essentiellement de celle d’Arrianos: magnam
partem Asiae in dicionem redegi meam, te ipsum acie vici.
3 Dans la harangue prononcée devant les troupes avant la
bataille d’Issos, Alexandre emploie (selon Arrianos 2,7,6) ces
termes: κρατεΐν τής Ασίας ξυμπάσης καί πέρας τοϊς πολλοϊς
πόνοις έπιθεϊναι. Mais la fin des fatigues ne fut pas atteinte
à Issos. Aussi voyons-nous Alexandre haranguer son armée encore
une fois, à Arbela, de la même manière : vous devez combattre,
dit-il, ύπέρ τής ξυμπάσης Ασίας (Arr. 3,9,6). Cette fois, il arriva
au but de ses combats. Peu de temps après, il put faire son entrée
à Babylone. — Notons encore la nuance qui existe entre μάχαι
κρατήσας (Chron. du temple, C 104) et μάχη νενίκηκα (Arr.
2,14,7).
4 Plutarch. Alexandr. 34: Τούτο τής μάχης εκείνης λαβούσης
τό πέρας, ή μεν αρχή παντάπασιν ή Περσών έδόκει καταλελύ-
σθαι, βασιλεύς δε τής Ασίας Αλέξανδρος άνηγορευμένος έθυε
τοϊς θεοϊς μεγαλοπρεπώς καί τοϊς φίλοις έδωρεϊτο κτλ.
5 Comme ceux qui furent dédiés à Athènes après la victoire
de Granikos (v. p. 94 n. 3).
partisans des Perses, et ce ne fut que pendant le siège
de Tyros (printemps de l’an 332) qu’ils prirent le parti
d’Alexandre, v. van Gelder p. 99.
Il y a un autre fait qui parle positivement en faveur
de notre explication et que j’ai signalé dans mon com-
mentaire de la Chronique du temple1. Dans la bataille
d’Arbela, Alexandre était revêtu du manteau célèbre
dont les Rhodiens lui avaient fait présent, œuvre du
tisserand-artiste Helikon, fils d’Arkesas, de Salamis en
Chypre2. Très probablement, ce manteau avait fait
partie du trésor d’Athana Lindia, qui comprenait tant
d’anciens travaux de Chypre. Nous savons encore par
la Chronique du temple que l’offrande d’Alexandre
était faite κατά μαντείαν. Tout cela présente une ana-
logie très proche avec les rapports qui nous sont
parvenus sur la conduite d’Alexandre lors de la bataille
de Granikos, pendant laquelle il portait un ancien
bouclier, tiré du temple d’Athana d’Ilion: prophétie
du prêtre, offrandes d'armes et d’autres dons, etc.3.
Tout bien considéré, je pense donc qu’il faut re-
garder comme établie la définition chronologique de la
prêtrise de Θεογενής Πιστοκράτευς, proposée dans mon
commentaire de la Chronique du temple.
III. En faveur de sa modification de la chronologie
des prêtres, Kinch cite encore la base IG XII 1,841
qui a porté deux statues a) Λίνδιοι 'Αγησίστρατον
Πολυκρέοντος4 νικώντα Όλύμπια παΐδας πάλαν πράτον
Λινδίων et b) Θευκλής [Φιλοστράτου]5 | καθ’ ύοθ[εσίαν
δέ Μικύθον | ίερατεύσας] | Ά6[άνας Λινδίας καί Διάς
Πολιέως]. Dans la liste des prêtres, Theukles porte le
numéro d’ordre 237, c’est-à-dire que, selon mon sys-
tème, il a exercé la fonction de prêtre en 170-169.
Kinch est d’avis que les deux statues ont formé un
groupe et que Theukles s’est tourné vers le garçon en
le couronnant. Il pense que le prêtre a dû être en
fonction pendant une année dans laquelle on célébrait
la fête d’Olympia. Tel n’est pas le cas pour l’année
170-169; en reculant à 172 l’année de fonction de
Theukles on aura une date convenable. — Mais il n’est
nullement certain que les deux statues aient formé un
groupe du genre que demande l’hypothèse de Kinch,
ni qu’Hagesistratos ait remporté la victoire à Olympia
pendant la prêtrise de Theukles. La mémoire de cette
victoire a très bien pu rester fraîche et fournir l’occasion
d’hommages d’ordre divers pendant deux ou trois
années ou plus longtemps encore. Sur une grande base
1 ED. I, p. 386; ED. II, p. 33.
2 Plutarch. Alexandr. 32,6 = Overbeck, Schriftquellen ^387.
3 Arrianos 1,11,7-8: (6,9,3); Diodor. 17,18,1; 17,21,2; Strabon
XIII, p. 593. — Après Granikos, Alexandre offrait encore des
boucliers (panoplies?) perses au sanctuaire athénien d Athéna.
Arrianos 1,16,7; Plutarch. Alexandr. 16.
4 Vie. 699 b.
5 Kinch a lu quelques restes des six premières lettres de
Φιλοστράτου.
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aux termes de l’inscription et beaucoup mieux que
celle de K. Voici ce qu’écrit Kinch sur ce point. S’il
s’agissait, comme je l’avais cru, de la bataille d’Arbela,
Alexandre aurait dû écrire δίς μάχαι (ou μάχαις) κρα-
τήσου Δαρεϊον — objection qu’il est inutile de discuter,
à mon avis. La phrase κύριος γενόμενος τάς Ασίας
s’accorde, d’après Kinch, si bien avec les termes em-
ployés par Alexandre dans la correspondance avec
Dareios conservée chez Arrianos (2,14) et Curtius (4,2,
7-14), qu’il faut la rapporter au même événement,
c’est-à-dire à la bataille d’Issos. Mais il y a des objec-
tions assez graves à faire à cette manière de voir.
Laissons de côté la question de l’authenticité de la
lettre d’Alexandre, qui est regardée comme douteuse
par Beloch1. Dès le commencement de la guerre,
Alexandre s’était sans doute proposé de conquérir tout
le royaume de Dareios (l’Asie entière, dit-il), et on com-
prend bien que dans sa réponse à la lettre de celui-ci,
écrite après la bataille d’Issos, il prétend que Dareios
le regarde comme roi de l’Asie entière2. La réalité ne
correspondait pourtant pas à ces prétentions3, et il
paraît invraisemblable que dès 332 Alexandre aurait
pu offrir, comme »souverain de toute l’Asie« un sacri-
fice à Athana Lindia. Ce ne fut qu’après le combat
d’Arbela que le royaume de Dareios était regardé
comme complètement assujéti, et qu’Alexandre fut
proclamé roi d’Asie, proclamation suivie de grands
sacrifices aux dieux, etc.4 De plus, la bataille d’Issos
ne pouvait guère donner lieu à une offrande à la déesse
de Lindos de la part d’Alexandre, composée d’une
hécatombe et d’un certain nombre de boucliers (όπλα:
Chron. du temple, C 109), provenant sans doute d’une
bataille5 et munis d’inscriptions dédicatoires; car, lors
de la bataille d’Issos, les Rhodiens étaient encore
1 V. Griech. Geschichte, III i2, p. 637, not. 1.
2 Arrianos 2,14,8: ώς ούν εμού της Ασίας άπάσης κυρίου
όντας ήκε προς εμέ; 2,14,9: τού λοιπού όταν πέμπης παρ’ εμέ,
ώς προς βασιλέα τής Ασίας πέμπε. Curtius se sert (4,2,13) d’une
expression qui diffère essentiellement de celle d’Arrianos: magnam
partem Asiae in dicionem redegi meam, te ipsum acie vici.
3 Dans la harangue prononcée devant les troupes avant la
bataille d’Issos, Alexandre emploie (selon Arrianos 2,7,6) ces
termes: κρατεΐν τής Ασίας ξυμπάσης καί πέρας τοϊς πολλοϊς
πόνοις έπιθεϊναι. Mais la fin des fatigues ne fut pas atteinte
à Issos. Aussi voyons-nous Alexandre haranguer son armée encore
une fois, à Arbela, de la même manière : vous devez combattre,
dit-il, ύπέρ τής ξυμπάσης Ασίας (Arr. 3,9,6). Cette fois, il arriva
au but de ses combats. Peu de temps après, il put faire son entrée
à Babylone. — Notons encore la nuance qui existe entre μάχαι
κρατήσας (Chron. du temple, C 104) et μάχη νενίκηκα (Arr.
2,14,7).
4 Plutarch. Alexandr. 34: Τούτο τής μάχης εκείνης λαβούσης
τό πέρας, ή μεν αρχή παντάπασιν ή Περσών έδόκει καταλελύ-
σθαι, βασιλεύς δε τής Ασίας Αλέξανδρος άνηγορευμένος έθυε
τοϊς θεοϊς μεγαλοπρεπώς καί τοϊς φίλοις έδωρεϊτο κτλ.
5 Comme ceux qui furent dédiés à Athènes après la victoire
de Granikos (v. p. 94 n. 3).
partisans des Perses, et ce ne fut que pendant le siège
de Tyros (printemps de l’an 332) qu’ils prirent le parti
d’Alexandre, v. van Gelder p. 99.
Il y a un autre fait qui parle positivement en faveur
de notre explication et que j’ai signalé dans mon com-
mentaire de la Chronique du temple1. Dans la bataille
d’Arbela, Alexandre était revêtu du manteau célèbre
dont les Rhodiens lui avaient fait présent, œuvre du
tisserand-artiste Helikon, fils d’Arkesas, de Salamis en
Chypre2. Très probablement, ce manteau avait fait
partie du trésor d’Athana Lindia, qui comprenait tant
d’anciens travaux de Chypre. Nous savons encore par
la Chronique du temple que l’offrande d’Alexandre
était faite κατά μαντείαν. Tout cela présente une ana-
logie très proche avec les rapports qui nous sont
parvenus sur la conduite d’Alexandre lors de la bataille
de Granikos, pendant laquelle il portait un ancien
bouclier, tiré du temple d’Athana d’Ilion: prophétie
du prêtre, offrandes d'armes et d’autres dons, etc.3.
Tout bien considéré, je pense donc qu’il faut re-
garder comme établie la définition chronologique de la
prêtrise de Θεογενής Πιστοκράτευς, proposée dans mon
commentaire de la Chronique du temple.
III. En faveur de sa modification de la chronologie
des prêtres, Kinch cite encore la base IG XII 1,841
qui a porté deux statues a) Λίνδιοι 'Αγησίστρατον
Πολυκρέοντος4 νικώντα Όλύμπια παΐδας πάλαν πράτον
Λινδίων et b) Θευκλής [Φιλοστράτου]5 | καθ’ ύοθ[εσίαν
δέ Μικύθον | ίερατεύσας] | Ά6[άνας Λινδίας καί Διάς
Πολιέως]. Dans la liste des prêtres, Theukles porte le
numéro d’ordre 237, c’est-à-dire que, selon mon sys-
tème, il a exercé la fonction de prêtre en 170-169.
Kinch est d’avis que les deux statues ont formé un
groupe et que Theukles s’est tourné vers le garçon en
le couronnant. Il pense que le prêtre a dû être en
fonction pendant une année dans laquelle on célébrait
la fête d’Olympia. Tel n’est pas le cas pour l’année
170-169; en reculant à 172 l’année de fonction de
Theukles on aura une date convenable. — Mais il n’est
nullement certain que les deux statues aient formé un
groupe du genre que demande l’hypothèse de Kinch,
ni qu’Hagesistratos ait remporté la victoire à Olympia
pendant la prêtrise de Theukles. La mémoire de cette
victoire a très bien pu rester fraîche et fournir l’occasion
d’hommages d’ordre divers pendant deux ou trois
années ou plus longtemps encore. Sur une grande base
1 ED. I, p. 386; ED. II, p. 33.
2 Plutarch. Alexandr. 32,6 = Overbeck, Schriftquellen ^387.
3 Arrianos 1,11,7-8: (6,9,3); Diodor. 17,18,1; 17,21,2; Strabon
XIII, p. 593. — Après Granikos, Alexandre offrait encore des
boucliers (panoplies?) perses au sanctuaire athénien d Athéna.
Arrianos 1,16,7; Plutarch. Alexandr. 16.
4 Vie. 699 b.
5 Kinch a lu quelques restes des six premières lettres de
Φιλοστράτου.
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