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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
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Anatomia ab ortu ad luinc usque diem, progressum habuil non interruptum,
vcl saltem per tcmpus exiguum , et nunc ad majorera pei feclionem proccdil.
Quam ob rem spero illam duraturam quàmdiu hommes erunt cuiiosi, et morbis
obnoxii. Et si forte hœc ncjilis facilitas periret, cum sit rcs humana, id non
accideret quia inntilis est ac superflua.
MAi.riGiu, Opéra postbnma. Amstelodaml, 1700. — De récent, medic.
studio, p. 382.
Après une longue interruption, commandée par des
événemens de force majeure, je reprends le cours de cet
ouvrage pour le finir. Dans la pénible et ingrate carrière
scientifique que j'ai parcourue depuis vingt ans, la pensée
de ce dernier volume ne m'a pas quitté ; c'est dire qu'elle
a subi d'année en année, dans mon esprit, de nombreuses
modifications. Sans doute le public savant n'attend pas de
moi que je m'en tienne à un programme écrit en 1829. Ma
tâche n'est pas de reproduire l'état de la science, tel qu'il était
ou que je le comprenais alors, mais tel qu'il est ou que je le
comprends aujourd'hui; et combien tous ses aspects n'ont-ils
pas changé depuis vingt ans ! Ce sujet me rappelle un sou-
venir qui m'est cher. Le grand Cuvier,dont les sympathies
étaient acquises à tous les travaux scientifiques, s'intéres-
sait vivement aux premiers débuts de cet ouvrage, et me
pria de lui soumettre, avant de le faire imprimer, le manus-
crit du discours d'introduction. Il le garda quelques jours
et le lut avec attention. La grandeur du plan avait plu à
ce vaste esprit encyclopédique, le seul qui aurait pu con-
venablement le remplir. En me remettant le manuscrit, il
y joignit ses conseils donnés avec cette bienveillance affec-
tueuse et cette physionomie pleine de délicatesse qui don-
naient un si grand charme à ses paroles.
« Le travail que vous entreprenez, me dit-il, est co-
lossal, mais il n'est pas impossible. Toutefois, sachez-le
bien à l'avance, et, croyez-en ma vieille expérience, cet
ouvrage vous entraînera beaucoup plus loin que peut-être
vous ne le pensez; ce sera l'emploi de votre vie. Toutefois,
puisque vous avez conçu ce plan et que vous l'envisagez
sans effroi, suivez votre instinct. Les probabilités sont en
votre faveur. Vous avez-la ferme résolution de bien faire;
vous êtes doué d'une force physique sans laquelle je vous
détournerait d'un si grand travail, et comme auxiliaire
pour l'exécution de vos figures, vous avez eu le bonheur
t. vin.
de rencontrer, dans M. Jacob, un artiste dont le talent de
dessinateur fait école en ce genre. Vous tenez la fin et les
moyens. Courage donc ! et marchez droit devant vous
sans vous laisser arrêter par aucun obstacle.
«Votre plan me paraît bon, je l'approuve. En embras-
sant tous les aspects, il est riche en applications de toutes
sortes. Mais avant d'appliquer il faut beaucoup et bien
voir. Attachez-vous principalement à la recherche de faits
bien positifs et faites-les dessiner avec une grande netteté,
de manière à éclairer vivement l'esprit et qu'on puisse les
retrouver sans peine sur la nature. Dans des études si
générales et si variées, vous trouverez certainement de ces
faits en grand nombre, qui s'éclaireront les uns par les
autres; et il devra en résulter des découvertes importantes
pour la science. Suivez toujours cette direction ; c'est le
moyen de laisser des travaux durables. Tout ce que vous
ferez en ce genre restera.
k Dans l'interprétation des faits que vous observez, ne
soyez ni trop hardi ni trop timide. Quand un sens clair
et naturel se présente à votre esprit, dites-le sans détour;
mais ne courez pas après les explications. Dans l'histoire
de l'anatomie, comme dans celle de toutes les sciences
physiques et naturelles, beaucoup de faits réels et bien
observés n'ont trouvé d'abord aucune créance parce que
leurs auteurs les avaient accompagnés d'explications témé-
raires ou hasardées.
« Je ne suis point inquiet de ce que vous pourrez foiré
dans les cinq premiers volumes d'anatomie de votre ou-
vrage. Ici les faits certains, soit reproduits, soit originaux,
mais partout bien observés et bien dessinés, peuvent se
trouver à toutes les pages. Cela dépend de vous entière-
ment. Vous n'y sauriez donc apporter trop de soin et de
persévérante attention, car ce sera là à tout jamais le fon-
dement solide de votre œuvre. Je crois que vous y réussirez.
D'une part, le goût vif dont vous témoignez pour les idées
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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.
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Anatomia ab ortu ad luinc usque diem, progressum habuil non interruptum,
vcl saltem per tcmpus exiguum , et nunc ad majorera pei feclionem proccdil.
Quam ob rem spero illam duraturam quàmdiu hommes erunt cuiiosi, et morbis
obnoxii. Et si forte hœc ncjilis facilitas periret, cum sit rcs humana, id non
accideret quia inntilis est ac superflua.
MAi.riGiu, Opéra postbnma. Amstelodaml, 1700. — De récent, medic.
studio, p. 382.
Après une longue interruption, commandée par des
événemens de force majeure, je reprends le cours de cet
ouvrage pour le finir. Dans la pénible et ingrate carrière
scientifique que j'ai parcourue depuis vingt ans, la pensée
de ce dernier volume ne m'a pas quitté ; c'est dire qu'elle
a subi d'année en année, dans mon esprit, de nombreuses
modifications. Sans doute le public savant n'attend pas de
moi que je m'en tienne à un programme écrit en 1829. Ma
tâche n'est pas de reproduire l'état de la science, tel qu'il était
ou que je le comprenais alors, mais tel qu'il est ou que je le
comprends aujourd'hui; et combien tous ses aspects n'ont-ils
pas changé depuis vingt ans ! Ce sujet me rappelle un sou-
venir qui m'est cher. Le grand Cuvier,dont les sympathies
étaient acquises à tous les travaux scientifiques, s'intéres-
sait vivement aux premiers débuts de cet ouvrage, et me
pria de lui soumettre, avant de le faire imprimer, le manus-
crit du discours d'introduction. Il le garda quelques jours
et le lut avec attention. La grandeur du plan avait plu à
ce vaste esprit encyclopédique, le seul qui aurait pu con-
venablement le remplir. En me remettant le manuscrit, il
y joignit ses conseils donnés avec cette bienveillance affec-
tueuse et cette physionomie pleine de délicatesse qui don-
naient un si grand charme à ses paroles.
« Le travail que vous entreprenez, me dit-il, est co-
lossal, mais il n'est pas impossible. Toutefois, sachez-le
bien à l'avance, et, croyez-en ma vieille expérience, cet
ouvrage vous entraînera beaucoup plus loin que peut-être
vous ne le pensez; ce sera l'emploi de votre vie. Toutefois,
puisque vous avez conçu ce plan et que vous l'envisagez
sans effroi, suivez votre instinct. Les probabilités sont en
votre faveur. Vous avez-la ferme résolution de bien faire;
vous êtes doué d'une force physique sans laquelle je vous
détournerait d'un si grand travail, et comme auxiliaire
pour l'exécution de vos figures, vous avez eu le bonheur
t. vin.
de rencontrer, dans M. Jacob, un artiste dont le talent de
dessinateur fait école en ce genre. Vous tenez la fin et les
moyens. Courage donc ! et marchez droit devant vous
sans vous laisser arrêter par aucun obstacle.
«Votre plan me paraît bon, je l'approuve. En embras-
sant tous les aspects, il est riche en applications de toutes
sortes. Mais avant d'appliquer il faut beaucoup et bien
voir. Attachez-vous principalement à la recherche de faits
bien positifs et faites-les dessiner avec une grande netteté,
de manière à éclairer vivement l'esprit et qu'on puisse les
retrouver sans peine sur la nature. Dans des études si
générales et si variées, vous trouverez certainement de ces
faits en grand nombre, qui s'éclaireront les uns par les
autres; et il devra en résulter des découvertes importantes
pour la science. Suivez toujours cette direction ; c'est le
moyen de laisser des travaux durables. Tout ce que vous
ferez en ce genre restera.
k Dans l'interprétation des faits que vous observez, ne
soyez ni trop hardi ni trop timide. Quand un sens clair
et naturel se présente à votre esprit, dites-le sans détour;
mais ne courez pas après les explications. Dans l'histoire
de l'anatomie, comme dans celle de toutes les sciences
physiques et naturelles, beaucoup de faits réels et bien
observés n'ont trouvé d'abord aucune créance parce que
leurs auteurs les avaient accompagnés d'explications témé-
raires ou hasardées.
« Je ne suis point inquiet de ce que vous pourrez foiré
dans les cinq premiers volumes d'anatomie de votre ou-
vrage. Ici les faits certains, soit reproduits, soit originaux,
mais partout bien observés et bien dessinés, peuvent se
trouver à toutes les pages. Cela dépend de vous entière-
ment. Vous n'y sauriez donc apporter trop de soin et de
persévérante attention, car ce sera là à tout jamais le fon-
dement solide de votre œuvre. Je crois que vous y réussirez.
D'une part, le goût vif dont vous témoignez pour les idées
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