BULLETIN DE L’ART POUR TOUS
N° 222
FRAGMENTS D’ART GREC
Tanagra et Myrina
Par J. Damelli
Suite (I)
Pour qui connaît ces charmantes figurines, on
sait que le plus grand nombre tiennent à la main
des objels divers : masques,
bourses, balles, osselets,
fleurs, fruits, couronnes, am-
phores miroirs, luths, lyres,
lympanon ou sorte de tam-
bour de basque, elc., lesquels
devaient constituer autant
d’attributs ayant un iôle sym-
bolique en ce qu’ils préci-
saient : un acte, un goût, un
jeu, une profession, une in-
clination ou une prédisposi-
tion <1 ue l’attitude seule de
la figure était insuffisante à
traduire. Mais il en est un particulièrement
qui, par la fréquence avec laquelle il se répète,
mérite une mention spéciale: c’est un éven-
tail ayant invariablement la forme d'une feuille
de liseron, mais qui, chez les Grecs, devait
•être celle d’une variété de lotus, sorte de
nénuphar qui aurait eu l’Egypte pour origine.
■Objet d’utilité et de contenance pour les Tana-
gréennes, il était l’accessoire presque obligé
non seulement pour tempérer les chauds ef-
fluves d’un climat soumis à toutes les ardeurs
du soleil, mais aussi, et à l’exemple de l’éventail
moderne de nos mondaines, pour occuper à la
promenade, au repos et dans les lieux de plai-
sir, les loisirs des mains en venant contribuer
à la grâce des altitudes et des poses.
On a écrit que toutes ces figurines avaient été
peintes. Pour des raisons qu’il sérail trop long
d’exposer, nous nous en tiendrons à la croyance
que le plus grand nombre seulement l’ont été.
Cette peinture consistait en deux applications
parfaitement distinctes : l’une, sorte d’engobe
assez semblable à un de nos enduits à la chaux,
d’un ton uniforme dont toute la terre cuite était
recouverte, était invariablement blanche ou jau-
nâtre; l’autre consistait dans l’application de
couleurs, en nombre d’ailleurs assez limité,
mais où le bleu clair ou bleu ciel et le rose re-
viennent avec fréquence, alternant sans règle
ni méthode pour les draperies de dessus ou de
dessous. Sur un assez grand nombre également,
lc-s chairs sont recouvertes d’une teinte rosée
sur laquelle parfois aussi des fraîcheurs aux
tons parfaitement fondus sont appliquées. De
même que les sourcils, les yeux sont accentués
par un trait fin sur le bord des paupières, et sur
le globe de l’œil, détaché en blanc, se dessine
la pupille, en bleu, brun ou noir. Mais les che-
velures, particulièrement, appellent l’attention,
en ce que presque toutes celles qui sont peintes,
et elles sont nombreuses, le sont d’une teinte
uniformément rouge brun, souvent légèrement
violacé. Il y a évidemment là une raison, et celle-
ci serait que les Béotiennes, déjà belles par
nature, avaient les cheveux de couleur châtain
clair, aux reflets brillants et dorés, dont les
dames tanagréennes étaient éprises au point
que celles que la nature n’avait pas favorisées
n’hésitaient pas à recourir aux spécifiques pour
l’obtenir — ce qui démonlrerail une fois de plus
que rien n’est nouveau dans l’art du truquage
de la beauté. — Aussi les coroplasles s’effor-
çaienl-ils d’en donner la sensation à l’aide de
leur palette, d’ailleurs fort restreinte. Enfin,
parfois, à l’ensemble de cette décoration venait
s’ajouter des rehauts d’or, soit sur les bijoux et
les accessoires, soit en bordure de draperies.
Notons qu’il existe des exemples de dorures
complètes delà statuette, mais ils sont fortrares.
Mais le temps, ce grand facteur des forma-
tions et des transformations, est venu à son tour
mettre son sceau sur toute cette décoration qui
devait être, à l’origine, quelque peu clinquante, 1
(1) Voir l'Art pour tous, n"‘ cl avril et de mai 190-5.
criarde même, et le résultat de celte inlerven- j
tion, sous le nom de patine, a été d’adoucir, de
niveler et d’harmoniser cet ensemble de cou-
leurs, au point de nous permettre de les pouvoir ;
considérer aussi longtemps qu’il peut nous être j
donné de le faire, sans que notre nerf optique,
dans son réfléchissement sur notre cerveau, ait
à en souffrir. Bien au contraire, il semble que la j
vue se repose dans cette contemplation médita- j
tive qui nous reporte à plus de vingt-deux siècles (
aux deuxorigines celte parenté reste plus appa-
rente que réelle.
Quant aux différents caractères de celle res-
semblance, d’ailleurs moins nombreux que
ceux de leur dissemblance, nous allons les défi-
nir dès maintenant alors que nous laisserons
venir à leur place, mais en les soulignant cha-
cun de ceux propres à marquer cette dernière.
C’est tout d’abord, en outre d'une similitude
de créations, d’arrangements et d’attitudes d’un
en arrière. Grâceà celtemodificalionap-
porlée par le temps, toutes ces figurines
ont acquis une sorte de lonali’é d’ensem-
ble dont la caractéristique est une teinte
d'un blanc gris ou jaunâtre et d’aspect,
non pas graisseux, comme tout ce qui a
subit le contact prolongé du toucher,
mais, au contraire, mat et poudreux.
II. Myrina. — Si de nos jours les terres-cui-
tes de Tanagra sont relativement connues, on
n’en pourrait dire autant de celles de Myrina
avec lesquelles, d’ail.eurs, et non sans quelque
raison ainsi qu’on va le voir, elles peuvent être
volontiers confondues. Pourtant, si les fouilles
auxquelles on en doit les principales collections
formées aujourd’hui sont de quelques années
postérieures à celles de Tanagra, leur décou-
verte proprement dite, c’est-à-dire la' connais-
sance de leur existence, en remonte à peu près
vers la même époque.
Mais à Paris, particulièrement, on est d’au-
tant moins excusable de les ignorer, que le mu-
sée du Louvre en abrite la collection qui, par le
choix et par le nombre, est non seulement la
plus importante, mais encore d’une authenti-
cité incontestable; collection formée par
MM. E. Pollier et S. Reinach, au cours d’explo-
rations qu’ils pratiquèrent, de 1880 à 1882, sur
l’emplacement de cette nécropole située dans
le vaste domaine d’Ali-Aga, province de Smyrne
et propriété de M. Aristide bey Balttazzi.
Ge qui frappe surtout lorsque pour la pre-
mière fois on se trouve en présenced’un ensem-
ble de ces figurines, c’est la ressemblance, l’air
de famille qu’elles paraissent avoir avec celles
de Tanagra. 11 semble en effetqu’il y fit là c ) n n 3
une sorte de filiation qui les rattache à ces der-
nières. Cependant, disons de suite que s’il est
des particularités inconlcslablement communes
certain nombre de ces figurines, la présence
parmi elles de quelques-unes paraissant n’être
ni plus ni moins que des répliques de modèles
de Tanagra. C’est aussi le décor qui, sans en
excepter l’engobe préalable, est identiquement
le même dans ses coloris comme dans ses ap-
plications, sauf une cependant que nous note-
rons à son heure. C’est enfin, la patine, cette
œuvre capricieuse du temps, qui s’y retrouve
également semblable, particularité qui pour-
rait surprendre si elle n’était expliquée par ce
fait, que les causes de transformations opérant
sur des matières et des applications sembla-
bles, il a suffi que la nature du sol, et avec elle
les conditions climatériques ne fussent pas sen-
siblement différentes pour que leur action res-
pective se maintienne dans une égale limite.
Quoi qu’il en soil, si on considère la distance
qui séparait les deux villes, situées : l’une en
Béolie, l’autre dans l’Eolide, ce n’est pas sans
étonnement qu’on constate une telle similitude
de production pour laquelle il apparaît comme
bien improbable que ce puisse ôLre là le fait seul
d’une simple coïncidence.
Alors, convient-il de l’attribuer à une impor-
tation des Myrinéens ou à une exportation des
Tanagriens; ou bien doit-on y voir la consé-
quence de relations plus ou moins suivies entre
les deux pays, et dans ce cas quelles raisons
purent les motiver? Question complexe que
nous n’entreprendrons pas d’élucider, car, outre
qu’il y a là quelque chose de déconcertant, qui
déroute, et qu’on ne possède aucun élément
pour faire la lumière, on n’a pas même de don-
nées pouvant permettre d’édifier sur quelque
base solide une hypothèse plausible. Dès lors,
il faut constater le fait sans tenter de l’approfon-
dir. Toutefois il est un point qui paraît acquis :
c’est que les terres cuites de Myrina seraient
postérieures à celles de Tanagra, au moins pour
la généralité, en ce que le plus grand nombre
appartiennent à la période dite hellénistique,
époqueau cours de laquelle, où sous prétexte de
faire plus élégant, on s’éloigna de plus en plus
des proportions normales pour tomber parfois
jusque dans la maigreur. El ce point paraît éta-
blir, implicitement tout au moins, que si l’un
des deux peuples fut tributaire de l’autre, ce ne
put être que celui de Myrina.
(A suivre.)
N° 222
FRAGMENTS D’ART GREC
Tanagra et Myrina
Par J. Damelli
Suite (I)
Pour qui connaît ces charmantes figurines, on
sait que le plus grand nombre tiennent à la main
des objels divers : masques,
bourses, balles, osselets,
fleurs, fruits, couronnes, am-
phores miroirs, luths, lyres,
lympanon ou sorte de tam-
bour de basque, elc., lesquels
devaient constituer autant
d’attributs ayant un iôle sym-
bolique en ce qu’ils préci-
saient : un acte, un goût, un
jeu, une profession, une in-
clination ou une prédisposi-
tion <1 ue l’attitude seule de
la figure était insuffisante à
traduire. Mais il en est un particulièrement
qui, par la fréquence avec laquelle il se répète,
mérite une mention spéciale: c’est un éven-
tail ayant invariablement la forme d'une feuille
de liseron, mais qui, chez les Grecs, devait
•être celle d’une variété de lotus, sorte de
nénuphar qui aurait eu l’Egypte pour origine.
■Objet d’utilité et de contenance pour les Tana-
gréennes, il était l’accessoire presque obligé
non seulement pour tempérer les chauds ef-
fluves d’un climat soumis à toutes les ardeurs
du soleil, mais aussi, et à l’exemple de l’éventail
moderne de nos mondaines, pour occuper à la
promenade, au repos et dans les lieux de plai-
sir, les loisirs des mains en venant contribuer
à la grâce des altitudes et des poses.
On a écrit que toutes ces figurines avaient été
peintes. Pour des raisons qu’il sérail trop long
d’exposer, nous nous en tiendrons à la croyance
que le plus grand nombre seulement l’ont été.
Cette peinture consistait en deux applications
parfaitement distinctes : l’une, sorte d’engobe
assez semblable à un de nos enduits à la chaux,
d’un ton uniforme dont toute la terre cuite était
recouverte, était invariablement blanche ou jau-
nâtre; l’autre consistait dans l’application de
couleurs, en nombre d’ailleurs assez limité,
mais où le bleu clair ou bleu ciel et le rose re-
viennent avec fréquence, alternant sans règle
ni méthode pour les draperies de dessus ou de
dessous. Sur un assez grand nombre également,
lc-s chairs sont recouvertes d’une teinte rosée
sur laquelle parfois aussi des fraîcheurs aux
tons parfaitement fondus sont appliquées. De
même que les sourcils, les yeux sont accentués
par un trait fin sur le bord des paupières, et sur
le globe de l’œil, détaché en blanc, se dessine
la pupille, en bleu, brun ou noir. Mais les che-
velures, particulièrement, appellent l’attention,
en ce que presque toutes celles qui sont peintes,
et elles sont nombreuses, le sont d’une teinte
uniformément rouge brun, souvent légèrement
violacé. Il y a évidemment là une raison, et celle-
ci serait que les Béotiennes, déjà belles par
nature, avaient les cheveux de couleur châtain
clair, aux reflets brillants et dorés, dont les
dames tanagréennes étaient éprises au point
que celles que la nature n’avait pas favorisées
n’hésitaient pas à recourir aux spécifiques pour
l’obtenir — ce qui démonlrerail une fois de plus
que rien n’est nouveau dans l’art du truquage
de la beauté. — Aussi les coroplasles s’effor-
çaienl-ils d’en donner la sensation à l’aide de
leur palette, d’ailleurs fort restreinte. Enfin,
parfois, à l’ensemble de cette décoration venait
s’ajouter des rehauts d’or, soit sur les bijoux et
les accessoires, soit en bordure de draperies.
Notons qu’il existe des exemples de dorures
complètes delà statuette, mais ils sont fortrares.
Mais le temps, ce grand facteur des forma-
tions et des transformations, est venu à son tour
mettre son sceau sur toute cette décoration qui
devait être, à l’origine, quelque peu clinquante, 1
(1) Voir l'Art pour tous, n"‘ cl avril et de mai 190-5.
criarde même, et le résultat de celte inlerven- j
tion, sous le nom de patine, a été d’adoucir, de
niveler et d’harmoniser cet ensemble de cou-
leurs, au point de nous permettre de les pouvoir ;
considérer aussi longtemps qu’il peut nous être j
donné de le faire, sans que notre nerf optique,
dans son réfléchissement sur notre cerveau, ait
à en souffrir. Bien au contraire, il semble que la j
vue se repose dans cette contemplation médita- j
tive qui nous reporte à plus de vingt-deux siècles (
aux deuxorigines celte parenté reste plus appa-
rente que réelle.
Quant aux différents caractères de celle res-
semblance, d’ailleurs moins nombreux que
ceux de leur dissemblance, nous allons les défi-
nir dès maintenant alors que nous laisserons
venir à leur place, mais en les soulignant cha-
cun de ceux propres à marquer cette dernière.
C’est tout d’abord, en outre d'une similitude
de créations, d’arrangements et d’attitudes d’un
en arrière. Grâceà celtemodificalionap-
porlée par le temps, toutes ces figurines
ont acquis une sorte de lonali’é d’ensem-
ble dont la caractéristique est une teinte
d'un blanc gris ou jaunâtre et d’aspect,
non pas graisseux, comme tout ce qui a
subit le contact prolongé du toucher,
mais, au contraire, mat et poudreux.
II. Myrina. — Si de nos jours les terres-cui-
tes de Tanagra sont relativement connues, on
n’en pourrait dire autant de celles de Myrina
avec lesquelles, d’ail.eurs, et non sans quelque
raison ainsi qu’on va le voir, elles peuvent être
volontiers confondues. Pourtant, si les fouilles
auxquelles on en doit les principales collections
formées aujourd’hui sont de quelques années
postérieures à celles de Tanagra, leur décou-
verte proprement dite, c’est-à-dire la' connais-
sance de leur existence, en remonte à peu près
vers la même époque.
Mais à Paris, particulièrement, on est d’au-
tant moins excusable de les ignorer, que le mu-
sée du Louvre en abrite la collection qui, par le
choix et par le nombre, est non seulement la
plus importante, mais encore d’une authenti-
cité incontestable; collection formée par
MM. E. Pollier et S. Reinach, au cours d’explo-
rations qu’ils pratiquèrent, de 1880 à 1882, sur
l’emplacement de cette nécropole située dans
le vaste domaine d’Ali-Aga, province de Smyrne
et propriété de M. Aristide bey Balttazzi.
Ge qui frappe surtout lorsque pour la pre-
mière fois on se trouve en présenced’un ensem-
ble de ces figurines, c’est la ressemblance, l’air
de famille qu’elles paraissent avoir avec celles
de Tanagra. 11 semble en effetqu’il y fit là c ) n n 3
une sorte de filiation qui les rattache à ces der-
nières. Cependant, disons de suite que s’il est
des particularités inconlcslablement communes
certain nombre de ces figurines, la présence
parmi elles de quelques-unes paraissant n’être
ni plus ni moins que des répliques de modèles
de Tanagra. C’est aussi le décor qui, sans en
excepter l’engobe préalable, est identiquement
le même dans ses coloris comme dans ses ap-
plications, sauf une cependant que nous note-
rons à son heure. C’est enfin, la patine, cette
œuvre capricieuse du temps, qui s’y retrouve
également semblable, particularité qui pour-
rait surprendre si elle n’était expliquée par ce
fait, que les causes de transformations opérant
sur des matières et des applications sembla-
bles, il a suffi que la nature du sol, et avec elle
les conditions climatériques ne fussent pas sen-
siblement différentes pour que leur action res-
pective se maintienne dans une égale limite.
Quoi qu’il en soil, si on considère la distance
qui séparait les deux villes, situées : l’une en
Béolie, l’autre dans l’Eolide, ce n’est pas sans
étonnement qu’on constate une telle similitude
de production pour laquelle il apparaît comme
bien improbable que ce puisse ôLre là le fait seul
d’une simple coïncidence.
Alors, convient-il de l’attribuer à une impor-
tation des Myrinéens ou à une exportation des
Tanagriens; ou bien doit-on y voir la consé-
quence de relations plus ou moins suivies entre
les deux pays, et dans ce cas quelles raisons
purent les motiver? Question complexe que
nous n’entreprendrons pas d’élucider, car, outre
qu’il y a là quelque chose de déconcertant, qui
déroute, et qu’on ne possède aucun élément
pour faire la lumière, on n’a pas même de don-
nées pouvant permettre d’édifier sur quelque
base solide une hypothèse plausible. Dès lors,
il faut constater le fait sans tenter de l’approfon-
dir. Toutefois il est un point qui paraît acquis :
c’est que les terres cuites de Myrina seraient
postérieures à celles de Tanagra, au moins pour
la généralité, en ce que le plus grand nombre
appartiennent à la période dite hellénistique,
époqueau cours de laquelle, où sous prétexte de
faire plus élégant, on s’éloigna de plus en plus
des proportions normales pour tomber parfois
jusque dans la maigreur. El ce point paraît éta-
blir, implicitement tout au moins, que si l’un
des deux peuples fut tributaire de l’autre, ce ne
put être que celui de Myrina.
(A suivre.)