• LA CHRONIQUE DES ARTS
154
semble qui embrasse de haut les grandes
questions qui touchent au développement de
notre activité nationale mise en comparaison
avec les efforts tentés par les autres nations.
Le rapport particulier est réservé à l’appré-
ciation des mérites spéciaux qui motivent les
récompenses à décerner dans chaque classe.
Or, il y a des questions de tout premier ordre
pour une nation comme la nôtre, qui ne peu-
vent trouver place ni dans le rapport général,
ni dans les rapports de classes. Dans le pre-
mier, qui est fait pour les chefs politiques et
administratifs du pays, les travailleurs ne
trouvent rien qui, d’une façon pratique,
puisse les guider à mieux faire. Quant aux
rapports des classes, ils sont faits dans une
donnée technique toute spéciale , très-pré-
cieuse, il est vrai, pour le classement par mé-
rite des concurrents, mais presque toujours
incomplète, pour ne pas dire absolument
muette, sur les considérations supérieures qui,
dans certaines industries, devraient tout domi-
ner ; nous voulons dire celles qui ont trait à
l’invention et au choix d<-s modèles, au goût
et à l’élégance apportés dans la composition
des dessins à reproduire. En effet, s’il suffit
dans la plupart des classes, pour être un bon
juré d’industrie, d’avoir l’expérience des af-
faires, la compétence technique de la fabrica-
tion et aussi l’intégrité du caractère, ces qua-
lités, si nécessaires qu’elles soient, deviennent
insuffisantes pour le jugement de nos indus-
tries d’art; à ces qualités, il conviendrait tou-
jours d’ajouter celle d’artiste ou au moins
d’homme de goût, et par artiste nous n’en-
tendons pas seulement exécutant, ruais encore
artiste par l’étude et l’éducation, artiste par
l’habitude de traiter et de raisonner les pro-
blèmes si délicats de l’esthétique. Il faudrait
enfin que nos jurés des industries d’art fus-
sent rompus à des études spéciales de cri-
tique artistique, dont la plupart de nos in-
dustriels, même les plus émérites, ignorent
jusqu’à l’existence.
Nos fabricants, nos ouvriers se fient d’ins-
tinct au bon goût naturel de notre race. C’est
la plus dangereuse illusion. Qu’on lise les rap-
ports spéciaux de nos précédentes expositions,
on y verra que les questions d’harmonie de
formes et de couleurs, de convenance et de
noblesse dans la décoration, d’emploi judi-
cieux des différents styles, bref de tout ce qui
constitue la philosophie de l’art sans laquelle
rien de grand ne se peut faire, y sont traitées
avec la plus incroyable légèreté, la plus fu-
neste insouciance. Cette légèreté et cette in-
souciance conduiront infailliblement à la dé-
cadence du goût. Ainsi, l’on semble, dans la
masse, avoir perdu toute notion de la simpli-
cité et de la mesure dans la décoration. Si
quelques-uns de nos fabricants, qui sont d’émi-
nentes exceptions, tiennent encore bien haut
nos antiques traditions de goût et d’esprit dé-
coratif, ils rendent plus frappante cette ab-
sence de direction et de discipline dans le
choix des modèles chez la plupart. L'Angle-
terre, qui est loin cependant d’avoir notre
goût naturel, nous donne en ce sens plus d’un
exemple à suivre.
Donc, sans vouloir rien changer à l’organi-
; sation actuelle des jurys de récompenses, nous
demandons instamment que l’on adjoigne au
jury de chaque classe des industries qui tou-
chent à l’art un juré artiste, critique ou
amateur, qui, par son sentiment tout à fait af-
franchi des questions de personnes, par son
goût éprouvé et son éducation générale, soit à
même de remplir cette difficile mission. Le
but serait moins de discuter des mérites ac-
quis que de montrer la voie où chacun devrait
s’engager, en indiquant sur les œuvres mêmes
ce que l’on doit poursuivre ou ce que l’on doit
éviter pour répondre à ces principes généraux
de la décoration qui demeurent éternels, que
l’on soit du Japon ou de la France.
Ainsi, à côté d’un- bon et solide enseigne-
ment du dessin, qu’il faut d’abord appeler de
tous nos vœux, nous souhaiterions une haute
direction du goût. Nous sommes encore les
premiers, grâce à Dieu, mais n’oublions pas
les efforts qui partout sont faits pour nous dé-
posséder de notre royauté ; l’Angleterre, l’Au-
triche, la Belgique gagnent chaque jour du
terrain. Nous pouvons leur résister à merveille,
mais encore faut-il que nous le voulions et
surtout que nous ne négligions rien pour con-
server et développer cette qualité de race que
tout le monde nous envie : le goût. Par ce
temps que nous prévoyons de cosmopolitisme
universel, le goût pourra seul établir une su-
prématie parce qu’il ne s’acquiert pas.
Le juré auxiliaire que nous demandons
pourrait être désigné par le conseil supérieur
des beaux-arts. Nous admettrions même, pour
ne léser aucun des droits légitimes créés par
l’excellence technique de l’exécution, que le
rapport de ce juré ne tût publié qu’après la
distribution des récompenses; mais, encore
une fois, nous demaudons instamment que
quelque chose soit fait en ce sens pour la di-
rection artistique de nos industries.
Louis Gonse.
---
NOUVELLES
¥*¥ L’Académie des Beaux-Arts vient de
décerner un certain nombre de prix de la fonda-
tion Montyon. à des ouvrages de librairie
récemment publiés. Parmi les lauréats, nous
remarquons avec plaisir MM. Arthur Rhoné et
A. Bougot qui ont obtenu un prix de 1.000 fr.,
M. Rhoné pour le livre dont nous rendions
compte dernièrement : l'Egypte à petites jour-
nées, et àM. Bougot pour son Essai sur la criti-
que d’art.
¥*¥ M. le ministre des beaux-arts vient de
commander à M. Chassevent une copie du célè-
bre portrait de Corneille par Lebrun.
Cette copie est destinée à figurer dans la
maison qu’habitait Pierre Corneille à Petit-
Couronne (Rouen).
¥*¥ MM. Protais, Thirion et Machard ont été
chargés par M. Bardoux d’exécuter les pein-
154
semble qui embrasse de haut les grandes
questions qui touchent au développement de
notre activité nationale mise en comparaison
avec les efforts tentés par les autres nations.
Le rapport particulier est réservé à l’appré-
ciation des mérites spéciaux qui motivent les
récompenses à décerner dans chaque classe.
Or, il y a des questions de tout premier ordre
pour une nation comme la nôtre, qui ne peu-
vent trouver place ni dans le rapport général,
ni dans les rapports de classes. Dans le pre-
mier, qui est fait pour les chefs politiques et
administratifs du pays, les travailleurs ne
trouvent rien qui, d’une façon pratique,
puisse les guider à mieux faire. Quant aux
rapports des classes, ils sont faits dans une
donnée technique toute spéciale , très-pré-
cieuse, il est vrai, pour le classement par mé-
rite des concurrents, mais presque toujours
incomplète, pour ne pas dire absolument
muette, sur les considérations supérieures qui,
dans certaines industries, devraient tout domi-
ner ; nous voulons dire celles qui ont trait à
l’invention et au choix d<-s modèles, au goût
et à l’élégance apportés dans la composition
des dessins à reproduire. En effet, s’il suffit
dans la plupart des classes, pour être un bon
juré d’industrie, d’avoir l’expérience des af-
faires, la compétence technique de la fabrica-
tion et aussi l’intégrité du caractère, ces qua-
lités, si nécessaires qu’elles soient, deviennent
insuffisantes pour le jugement de nos indus-
tries d’art; à ces qualités, il conviendrait tou-
jours d’ajouter celle d’artiste ou au moins
d’homme de goût, et par artiste nous n’en-
tendons pas seulement exécutant, ruais encore
artiste par l’étude et l’éducation, artiste par
l’habitude de traiter et de raisonner les pro-
blèmes si délicats de l’esthétique. Il faudrait
enfin que nos jurés des industries d’art fus-
sent rompus à des études spéciales de cri-
tique artistique, dont la plupart de nos in-
dustriels, même les plus émérites, ignorent
jusqu’à l’existence.
Nos fabricants, nos ouvriers se fient d’ins-
tinct au bon goût naturel de notre race. C’est
la plus dangereuse illusion. Qu’on lise les rap-
ports spéciaux de nos précédentes expositions,
on y verra que les questions d’harmonie de
formes et de couleurs, de convenance et de
noblesse dans la décoration, d’emploi judi-
cieux des différents styles, bref de tout ce qui
constitue la philosophie de l’art sans laquelle
rien de grand ne se peut faire, y sont traitées
avec la plus incroyable légèreté, la plus fu-
neste insouciance. Cette légèreté et cette in-
souciance conduiront infailliblement à la dé-
cadence du goût. Ainsi, l’on semble, dans la
masse, avoir perdu toute notion de la simpli-
cité et de la mesure dans la décoration. Si
quelques-uns de nos fabricants, qui sont d’émi-
nentes exceptions, tiennent encore bien haut
nos antiques traditions de goût et d’esprit dé-
coratif, ils rendent plus frappante cette ab-
sence de direction et de discipline dans le
choix des modèles chez la plupart. L'Angle-
terre, qui est loin cependant d’avoir notre
goût naturel, nous donne en ce sens plus d’un
exemple à suivre.
Donc, sans vouloir rien changer à l’organi-
; sation actuelle des jurys de récompenses, nous
demandons instamment que l’on adjoigne au
jury de chaque classe des industries qui tou-
chent à l’art un juré artiste, critique ou
amateur, qui, par son sentiment tout à fait af-
franchi des questions de personnes, par son
goût éprouvé et son éducation générale, soit à
même de remplir cette difficile mission. Le
but serait moins de discuter des mérites ac-
quis que de montrer la voie où chacun devrait
s’engager, en indiquant sur les œuvres mêmes
ce que l’on doit poursuivre ou ce que l’on doit
éviter pour répondre à ces principes généraux
de la décoration qui demeurent éternels, que
l’on soit du Japon ou de la France.
Ainsi, à côté d’un- bon et solide enseigne-
ment du dessin, qu’il faut d’abord appeler de
tous nos vœux, nous souhaiterions une haute
direction du goût. Nous sommes encore les
premiers, grâce à Dieu, mais n’oublions pas
les efforts qui partout sont faits pour nous dé-
posséder de notre royauté ; l’Angleterre, l’Au-
triche, la Belgique gagnent chaque jour du
terrain. Nous pouvons leur résister à merveille,
mais encore faut-il que nous le voulions et
surtout que nous ne négligions rien pour con-
server et développer cette qualité de race que
tout le monde nous envie : le goût. Par ce
temps que nous prévoyons de cosmopolitisme
universel, le goût pourra seul établir une su-
prématie parce qu’il ne s’acquiert pas.
Le juré auxiliaire que nous demandons
pourrait être désigné par le conseil supérieur
des beaux-arts. Nous admettrions même, pour
ne léser aucun des droits légitimes créés par
l’excellence technique de l’exécution, que le
rapport de ce juré ne tût publié qu’après la
distribution des récompenses; mais, encore
une fois, nous demaudons instamment que
quelque chose soit fait en ce sens pour la di-
rection artistique de nos industries.
Louis Gonse.
---
NOUVELLES
¥*¥ L’Académie des Beaux-Arts vient de
décerner un certain nombre de prix de la fonda-
tion Montyon. à des ouvrages de librairie
récemment publiés. Parmi les lauréats, nous
remarquons avec plaisir MM. Arthur Rhoné et
A. Bougot qui ont obtenu un prix de 1.000 fr.,
M. Rhoné pour le livre dont nous rendions
compte dernièrement : l'Egypte à petites jour-
nées, et àM. Bougot pour son Essai sur la criti-
que d’art.
¥*¥ M. le ministre des beaux-arts vient de
commander à M. Chassevent une copie du célè-
bre portrait de Corneille par Lebrun.
Cette copie est destinée à figurer dans la
maison qu’habitait Pierre Corneille à Petit-
Couronne (Rouen).
¥*¥ MM. Protais, Thirion et Machard ont été
chargés par M. Bardoux d’exécuter les pein-