Overview
Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

La chronique des arts et de la curiosité — 1878

DOI issue:
Nr. 20 (18 Mai)
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.26617#0165
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
ET DE LA CURIOSITÉ

157

se voit mieux le courant de l’art. On est là comme
dans l’atelier, au milieu du déshabillé des prépa-
tions, et cela n’a pas l’importance apprêtée des
expositions officielles. Cependant, j’éprouve un peu
d’ennui. Nous qui, par notre âge et nos convic-
tions, sommes les amis des jeunes, nous nous at-
tendions à un effort, et il y a lassitude au con-
traire. Est-ce bien lassitude après tout? Et ne
serait-ce pas cette effroyable paresse qui pèse si
lourdement sur la plupart des jeunes peintres bel-
ges ? J’ai à m’expliquer. Le labeur du tableau, la
recherche d’un grand caractère et d’une forte
expression manquent à la jeune école. Il y a une
tendance presque universelle à se satisfaire de
l’impression. C’est-à-dire que l’esprit s'arrête au
moment où il a le plus besoin de s’exercer. Je ne
sais s’il est un autre mot que paresse pour expri-
mer cela. Je ne voudrais pourtant pas dire impuis-
sance.

Non, l’impuissance n’aurait pas ce beau jet de
quelques-unes des préparations du Cercle. On
sent seulement qu’on est en présence d’artistes
dont l’éducation a été mal faite.

Il est certain que la Marine de M. Artan, par
exemple a des qualités exceptionnelles de finesse,
et cependant, aucun amateur sérieux ne l’accepte-
rait si ce n’est comme une grosse indication
incapable de donner la continuation dans le
plaisir qui fait l’attrait des œuvres d’art. M.
Ch. Ilermans, à propos de qui l’on a fait du
bruit, n’arrive pas davantage à se formuler. Ses
deux figures de femme se ressentent plus de l’ate-
lier que de la rue. Une chose m’étonne chez ce
peintre, c’est que son exécution s’accorde si peu
avec ses tendances. Il a une énergie dans le cer-
veau qui ne va pas avec la médiocrité de son exé-
cution. L’esquisse qui s’appelle Tête de jeune fille,
est brossée dans des pâtes grasses ; mais le blanc
rosé de la chair se fait brun dans la demi-
teinte sans ces adorables finesses qui sont dans la
nature. C’est le portrait d’une femme par un
homme qui ne voit pas la femme. L’autre étude,
Femme aux bocks, mérite un reproche plus grave
encore : elle est commune. Cette figure a des
tons de buis sec sur un fond de sirop, et le des-
sin n’existe pas plus dans les bras que dans la
ête. Une Fantaisie de M. Emile Sacré est tout
aussi mal dessinée. En outre, les rose, les bleu,
les caroubier, qui forment l’accord du tableau
manquent d’harmonie. Une qualité rachèle en par-
tie ces défauts : la chair a une pulpe nacrée, qui
rendrait presque attrayante cette fille mal bâ-
tie.

Je suis plus à l’aise pour parler des deux toiles
de Smits. Il peut manquer de dessin et de modelé
par moments, mais il n’est jamais vulgaire et il a
à demeure un sentiment fin dans la couleur et
l’expression de ses figures de femme. Catherine
mêle le rose pâle de ses joues aux bleus
éteints du fond, avec des douceurs tout à fait par-
ticulières à l’artiste. Mélancolie est dans la même
note tranquille et harmonique : c’est un peu de la
couleur de Véronèse et des Vénitiens dans les gris
brumeux du Nord.

M. Camille Van Camp semble partir d’un même
principe. Il a des élégances minces qui, parfois,
tournent au poitrinaire, avec un sentiment déli-
cat de l’expression. Il garde une personnalité
fine, une honnêteté de travail, au milieu des bru-
talités lâchées des peintres de son milieu. Je me

plais à reconnaître chez M. Louis Verxvée un soin
pareil dans l’exécution de ses tableaux. L'Anneau
est l’œuvre d’un esprit tenace qui mauque de sou-
plesse mais nullement d’émotion. A M. Wilson,
qui envoie une Tête d'étucle, je ferai le reproche
de pousser la chair au ton lie de vin, et puis la
touche est molle. M. Wilson avait une meilleure
exposition au cercle de la Chrysalide, on s’en
souvient M. Cardon sait camper une figure; mais
le ton est toujours un peu froid. M. Cogen, au
contraire, cherche les tons clairs et jolis; j’avoue
n’avoir jamais rencontré de pêcheurs aussi lus-
trés que ceux qu’il peint. Cela doit dépendre des
points de vue?-Je signalerai des tendances excel-
lentes chez MM. Th. Gérard, Fontaine, Reinhei-
mer, Ringel, Raeymalkers, qui indiquent très-
nettement la figure en plein air, et chez MUe Clé-
mence Van der Broeck. U y a aussi des portraits à
citer, ceux de MM. Hennebicq, Bourson et Lam-
brichs.

J’arrive aux peintres de la gaieté. C’est un mot
qu’il faudrait définir. Les peintres croient avoir
reculé les limites de la gaieté quand ils ont fait
un vieux monsieur dormant les pouces entrecroi-
sés sur le ventre, ou un jeune monsieur pris du mal
de mer devant deux marins qui se le montrent
du doigt. Cela n’est ni comique ni gai. Il faut se
reporter à la grimace humaine de Jean Steen, à
l’énorme plaisanterie de Jordaens, pour savoir
combien la gaieté a changé. L’époque n’est plus à
la farce haute en gueule, et Jean Steen aurait de
la peine à faire accepter ses gaillardises dans une
scène de genre contemporaine.

La société moderne a une drôlerie froide, une
gaieté sans rire, et cela est devenu le vrai comi-
que aujourd’hui. Il faudrait consulter à cet égard
certains acteurs de ce temps, qui ont merveilleu-
sement exprimé la tenue correcte de cette gaieté
à part. Or, je trouve que la plupart des peintres
qui se croient gais ne cherchent pas assez la note
comique là où elle existe vraiment. Souvenez-
vous du Ventre ■parlementaire de Daumier, de la
Comédie humaine de Gavarni, de quelques plan-
ches mordantes de Félicien Rops : il y a là un
comique intense, terrible, qui vous emporte. Au
rebours, les artistes font de l’esprit, peignent des
intentions, réalisent des mots, des situations, un
comique littéraire qui est le contre-coup des vau-
devilles. Ou bien ils tirent la langue pour nous
obliger à rire. Je trouve, par exemple, que M. Eu-
gène Verdyen, qui donne une note si heureuse
dans son Coin du Boulevard, n’a plus le même
bonheur dans ses Affiches, une aquarelle amusante
qui souligne trop ce qu’elle veut dire. Les deux
frères Oyens n’ont pas cet esprit pointu, mais ils
ont une tendance à grossir la grimace de leurs
personnages, comme s’ils se défiaient du public.
Chose singulière, j’ai grandi en même temps
qu’eux et il y a bientôt quinze ans que je les suis à
travers les expositions. Nous avons tous changé
eux seuls sont demeurés au même point, traitant
les mêmes sujets, peignant de la même manière,
progressant dans un cercle qui ne s’est pas
élargi. C’est encore de la force, cela. Quelque
chose expliquerait cette immobilité : MM. D. et P
Oyens sont Hollandais.

(A suivre.)

Camille Lemonnier.
 
Annotationen