MANUSCRIT DU NIEDERMUENSTER, PL. T.
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une faucille brisée par le milieu de la lame1. Sa puissance paraît donc bien anéantie;
mais le pied de la croix pousse en outre vers la Mort un rameau étrange terminé
par une tête farouche qui dévore le bras droit de l’adversaire. On reconnaît bien là
cette pensée de saint Paul (I Cor. xv, 54-56) : «La mort s’est perdue dans sa victoire.
Où est ta victoire, ô mort? Où est la force de tes armes? La force de la mort est
dans le péché... Dieu merci! pourtant, nous l’avons vaincue par Notre - Seigneur
Jésus-Christ. » C’est ce que disent aussi les inscriptions tracées autour de l’ellipse
inférieure :
A gauche du crucifix,
« Mors devicta péris, quia Christum vincere gestis. »
A droite,
ô Sperat post Dominum sanctorum vilaper ævum. »
en attribuant cette version à P. Corneille, qui rend parfois
si chrétiennement (bien qu’avec rédondance) les paroles
consacrées par l’usage de l’Église.
Voici d’ailleurs Corneille, assurément, dans la traduction
du Te Deum (strophes Tu rex gloriœ, etc.) :
« 0 Jésus, roi de gloire et rédempteur du monde;
Fils, avant tous les temps, de ce Père éternel ;
Qui t’enfermas au sein d’une vierge féconde
Pour rendre l’innocence à l’homme criminel.
L’aiguillon de la mort brisé par ta victoire
T’a laissé nous ouvrir les royaumes des cieux,
A la dextre du Père on t’y voit dans ta gloire.
D’où tu viendras un jour juger tous ces bas-lieux. »
Mais ne laissons pas tellement le moyen âge de côté, que
nous ayons l’air d’abandonner une source où doctrine et
foi se rencontrent si souvent condensées d’une manière
saisissante. A Châlons-sur-Marne (Vitraux cle Bourges,
étude XII), cette inscription entoure le Calvaire où meurt
Jésus-Christ :
« Quod vêtus intulit, alter Adam tulit in cruce fixus. »
Sur une plaque émaillée qui appartenait à la collection
Debruge Duménil (cf. Labarte, Catalogue, p. 641), c’est :
« Quod velus exemit, novus Adam a morte redemit ;
Suscitât inde Deus, corruit unde reus.
Yita redit, mors victa périt ; homo surgere crédit,
Summaque cum Domino scandere régna suo. »
Théodulfe,à la fin de son poëme sur les péchés capitaux
(Sirmondi Opp., Venet., t. II, p. 8.47), disait :
« Ligno mors subiit, redit et vita inclyta ligno ;
Illam gustus agit, hanc crucis altus honos.
Yirgo vêtus mortem, retulit nova virgo salutem ;
Hæc suadendo virum, hæc generando Deum. Etc. »
Cf. Hermann, contract., Conflict. ovis et Uni (ap. Édél.
du Méril, Poésies... antérieures au xme siècle, p. 398,sv.).—
Mélanges d’archéologie, Ire série, t. Il, p. 45, sv.; et 52, sv.
On y verra que l’Église paraissait surtout près de la croix
comme dispensatrice ordinaire des mérites du Fils de Dieu
dans les divers sacrements, aussi bien que de son corps et
de son sang dans l’eucharistie.
Les recueils si connus vers le xve siècle sous les noms de
Biblia pauperum (prœdicatorum) et de Spéculum humanœ
salvationis, rappellent la victoire du Fils de Dieu sur la
mort, à propos du Golgotha et de la descente aux enfers.
Dans ce dernier cas, la personnification de la Mort figure
comme le Hadès grec (sépulcre, Pluton, etc., etc.) ; et je ne
pense guère que le peuple chrétien y ait jamais vu de la
mythologie proprement dite. Quoi qu’il en soit, on y trouve
jointes ces diverses inscriptions :
« Jus domuit mords tua, Chrisle, poteutia fortis.
Conteris antiquum tu, Christe potens, inimicum.
— Post triduum fortis vi calcat vincula mortis,
Ut nos de portis relevet diabolicæ (?) sortis. Etc. »
La liturgie expliquait cela au besoin, surtout pour notre
chrétienté latine, qui se souvenait assez peu du Hadès hel-
lénique. Ainsi l’office des fêtes de la sainte croix (3 mai
et 14 septembre) nous fait dire au premier répons de Ma-
tines : « Gloriosum diem sacra veneratur Ecclesia : dum
» triumphale reseratur (al. exaltalur) lignum in quo Re-
» demptor noster, mortis vincula rumpens, callidum aspi-
» dem superavit. »
Puis, notre ancien hymne pascal (Ad cœnam Agni,
providi) :
« O vere digna Hostia
Per quam fracta sunt tartara. Etc. »
J’en pourrais citer bien d’autres, sans recourir à l’Église
grecque, où l’on aurait quelque prétexte de dire qu’il avait
fallu pactiser avec les souvenirs et l’imagination poétique
des Hellènes.
Les corrections même faites au Bréviaire romain depuis
le concile de Trente sont parfois conçues avec le vieil
esprit des meilleurs temps liturgiques ; comme, par exem-
ple, cette nouvelle forme donnée à la première strophe
du Vcxilla regis :
« Futgel crucis mysterium,
Quo vita mortem pertulit
Et morte vitam protulit. »
1. Cette faucille rappelle la faux du Temps ou delaMoit,
qui persiste encore dans l’art moderne sans que je m’en
fasse le défenseur.
i. — 3
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une faucille brisée par le milieu de la lame1. Sa puissance paraît donc bien anéantie;
mais le pied de la croix pousse en outre vers la Mort un rameau étrange terminé
par une tête farouche qui dévore le bras droit de l’adversaire. On reconnaît bien là
cette pensée de saint Paul (I Cor. xv, 54-56) : «La mort s’est perdue dans sa victoire.
Où est ta victoire, ô mort? Où est la force de tes armes? La force de la mort est
dans le péché... Dieu merci! pourtant, nous l’avons vaincue par Notre - Seigneur
Jésus-Christ. » C’est ce que disent aussi les inscriptions tracées autour de l’ellipse
inférieure :
A gauche du crucifix,
« Mors devicta péris, quia Christum vincere gestis. »
A droite,
ô Sperat post Dominum sanctorum vilaper ævum. »
en attribuant cette version à P. Corneille, qui rend parfois
si chrétiennement (bien qu’avec rédondance) les paroles
consacrées par l’usage de l’Église.
Voici d’ailleurs Corneille, assurément, dans la traduction
du Te Deum (strophes Tu rex gloriœ, etc.) :
« 0 Jésus, roi de gloire et rédempteur du monde;
Fils, avant tous les temps, de ce Père éternel ;
Qui t’enfermas au sein d’une vierge féconde
Pour rendre l’innocence à l’homme criminel.
L’aiguillon de la mort brisé par ta victoire
T’a laissé nous ouvrir les royaumes des cieux,
A la dextre du Père on t’y voit dans ta gloire.
D’où tu viendras un jour juger tous ces bas-lieux. »
Mais ne laissons pas tellement le moyen âge de côté, que
nous ayons l’air d’abandonner une source où doctrine et
foi se rencontrent si souvent condensées d’une manière
saisissante. A Châlons-sur-Marne (Vitraux cle Bourges,
étude XII), cette inscription entoure le Calvaire où meurt
Jésus-Christ :
« Quod vêtus intulit, alter Adam tulit in cruce fixus. »
Sur une plaque émaillée qui appartenait à la collection
Debruge Duménil (cf. Labarte, Catalogue, p. 641), c’est :
« Quod velus exemit, novus Adam a morte redemit ;
Suscitât inde Deus, corruit unde reus.
Yita redit, mors victa périt ; homo surgere crédit,
Summaque cum Domino scandere régna suo. »
Théodulfe,à la fin de son poëme sur les péchés capitaux
(Sirmondi Opp., Venet., t. II, p. 8.47), disait :
« Ligno mors subiit, redit et vita inclyta ligno ;
Illam gustus agit, hanc crucis altus honos.
Yirgo vêtus mortem, retulit nova virgo salutem ;
Hæc suadendo virum, hæc generando Deum. Etc. »
Cf. Hermann, contract., Conflict. ovis et Uni (ap. Édél.
du Méril, Poésies... antérieures au xme siècle, p. 398,sv.).—
Mélanges d’archéologie, Ire série, t. Il, p. 45, sv.; et 52, sv.
On y verra que l’Église paraissait surtout près de la croix
comme dispensatrice ordinaire des mérites du Fils de Dieu
dans les divers sacrements, aussi bien que de son corps et
de son sang dans l’eucharistie.
Les recueils si connus vers le xve siècle sous les noms de
Biblia pauperum (prœdicatorum) et de Spéculum humanœ
salvationis, rappellent la victoire du Fils de Dieu sur la
mort, à propos du Golgotha et de la descente aux enfers.
Dans ce dernier cas, la personnification de la Mort figure
comme le Hadès grec (sépulcre, Pluton, etc., etc.) ; et je ne
pense guère que le peuple chrétien y ait jamais vu de la
mythologie proprement dite. Quoi qu’il en soit, on y trouve
jointes ces diverses inscriptions :
« Jus domuit mords tua, Chrisle, poteutia fortis.
Conteris antiquum tu, Christe potens, inimicum.
— Post triduum fortis vi calcat vincula mortis,
Ut nos de portis relevet diabolicæ (?) sortis. Etc. »
La liturgie expliquait cela au besoin, surtout pour notre
chrétienté latine, qui se souvenait assez peu du Hadès hel-
lénique. Ainsi l’office des fêtes de la sainte croix (3 mai
et 14 septembre) nous fait dire au premier répons de Ma-
tines : « Gloriosum diem sacra veneratur Ecclesia : dum
» triumphale reseratur (al. exaltalur) lignum in quo Re-
» demptor noster, mortis vincula rumpens, callidum aspi-
» dem superavit. »
Puis, notre ancien hymne pascal (Ad cœnam Agni,
providi) :
« O vere digna Hostia
Per quam fracta sunt tartara. Etc. »
J’en pourrais citer bien d’autres, sans recourir à l’Église
grecque, où l’on aurait quelque prétexte de dire qu’il avait
fallu pactiser avec les souvenirs et l’imagination poétique
des Hellènes.
Les corrections même faites au Bréviaire romain depuis
le concile de Trente sont parfois conçues avec le vieil
esprit des meilleurs temps liturgiques ; comme, par exem-
ple, cette nouvelle forme donnée à la première strophe
du Vcxilla regis :
« Futgel crucis mysterium,
Quo vita mortem pertulit
Et morte vitam protulit. »
1. Cette faucille rappelle la faux du Temps ou delaMoit,
qui persiste encore dans l’art moderne sans que je m’en
fasse le défenseur.
i. — 3