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RELIQUAIRE DE TONGRES (PL. VIIl).
Reprenons-les rapidement une à une, pour eu rappeler le sens à ceux qui n’auraient
pas saisi du premier coup d’œil la portée qu’y voyait le moyen âge après les docteurs
ecclésiastiques. Isaac sur le bûcher qu’il vient de porter lui-même, et prêt à se laisser
immoler par son père, c’est un type (comme parle la science théologique) trop trans-
parent pour qu’il faille employer beaucoup de paroles à y faire apercevoir le Fils
de Dieu montré par avance *. Quant au serpent du désert, Notre-Seigneur lui-même
nous apprend à y reconnaître son crucifiement2, d’où découle le salut pour tous
Jacob croisant ses mains pour bénir les deux fils de Joseph :
« Transversæ palmæ recitant speciem crucis almæ. »
Le sang de l’agneau pascal servant à marquer les portes
des Hébreux pour écarter l’ange exterminateur :
« Sanguis in hoc poste populum tutatur ab hoste. »
Moïse frappant le rocher de sa baguette, pour en faire
couler le ruisseau qui abreuvera le peuple d’Israël :
« Fons silicis solidi, cruor est salvans Crucifixi. »
Moïse montrant le serpent d’airain arboré pour sauver
les Israélites de la mort :
« Àspice serpentem typicum, populos redimentem. »
La grappe monstrueuse de la Terre promise, que deux
hommes portent suspendue à un bâton :
« Vecte crucem, Christum botro die in cruce üxum, »
Le signe mystérieux (T) marqué sur le front des élus,
par un envoyé divin (Ezecli. îx, 3-6) :
« Mors devitatur per Tau, dum fronte notatur. »
La veuve de Sarepta tenant croisés deux morceaux de
bois qu’elle \ient de ramasser :
« Lecta duo ligna, crucis edunt mystica signa. »
il ne faut pas, on le voit bien, un grand effort d’esprit
pour reconnaître là le même ordre d’idées qui dirigeait
l’orfévre liégeois dans l’exécution du reliquaire de Ton-
gres, et qui avait présidé ailleurs à tant d’autres : comme
la croix de saint Berlin (Vitraux de Bourges, étude I, D),
et diverses verrières de Bourges, de Chartres, du Mans, de
Rouen, de Saint-Denis et de Tours (ibid., pl. I; études 1,
II, VI, VII, XII). On retrouverait encore les mêmes leçons
présentées au peuple par l’ancien peintre-verrier de Can-
torbéry (.,Hints of glasspainting..., Oxford, 1847,1.1, p. 350,
svv. ; Fenesira XII) :
« Christus portai crucem;— Isaac, ligna;— Mulier
colligit ligna.
Ligna puer gestat, crucis typum manifestât ;
Fert, crucis in signum, duplex muliercula lignum.
Christus suspenditur in ligno; — Serpensæneus elevatur
in columna; — Vacca rufa comburitur.
Mors est exsanguis, dum cernitur æreus anguis ;
Sic Deus in ligno nos salvat ab hoste maligno.
Ut Moyses jussit, vitulam rufam rogus ussit ;
Sic tua, Christe, caro crucis igné crematur amaro.
Dominus deponitur de ligno; — Abel occiditur; — Eli-
sæus expandit se super puerum.
Nos a morte Deus revocavit, et hune Elisæus ;
Signât Abel Christi pia funera, funere tristi.
Moses [sic) scribit Thau in fronlibus in porta [sic) de
sanguine agni ; — Dominus in sepulcro ; — Samson dormit
eum arnica sua ; — Jonas in ventre ceti.
Fronlibus infixum Tliau, præcinuit Crucifixum.
Ut Samson typice causa dormivit amicæ,
Ecclesiæ causa Christi caro marmore clausa.
Dum jacet absorptus Jonas, sol triplicat ortus ;
Sic Deus arctatur tumulo, triduoque moratur.
Dominus ligans diabolum, spoliavit infernum; — David
eripuit oves ; — Samson [discerpsit leonem] et tulit portas.
Salvat ovem David, sic Christum significavit.
Est Samson fortis qui rupit vincula mortis,
Instar Samsonis frangit Deus ossa Leonis ;
Dum Satan stravit Christus, regulum jugulavit.
Surgit Dominus de sepulcro; — Jonas ejicitur de pisce ;
— David emissus per fenestram.
Redditur ut salvus quem ceti clauserat alvus, ,
Sic redit illæsus a mortis carcere Jésus.
Hinc abit illæsus David; sic invida Jésus
Agmina conturbat, ut vicia morte resurgat.
Angélus alloquitur Mariam ad sepulcrum ; — Joseph
extrahitur e carcere ; — et leo suscitât filium.
Ad vitam Christum Deus, ut leo suscitât istum.
Te signât, Christe, Joseph ; te, mors, locus iste. »
J’ai voulu donner toute la description de cette verrière,
quoique le but du peintre n’y fût pas exactement le même
que celui de l’orfévre liégeois. Mais on en peut tirer des
inductions utiles pour l’intelligence complète des divers
monuments qui viennent d'être indiqués dans les Vitraux
de Bourges, et qui ont incontestablement une parenté
étroite avec le reliquaire de Tongres.
1. Sans renvoyer à ce que nous en avons dit ailleurs,
montrons, dans un Manuel rédigé en France au moyen âge,
comment les moindres circonstances de ce fait étaient
expliquées en vue de Jésus-Christ. \roici l’interprétation
populaire donnée par Pierre de Riga, qui ne fait que résu-
mer les grands écrivains ecclésiastiques :
« Imperat heic Abrahæ Deus ut sibi victimet Isac ;
Christus homo patitur, Pâtre jubente, crucem.
Nil Isaac patitur, aries fit victima ; Christi
Nil patitur deitas, quum moriatur homo.
Exspectant Abraham pueri quos ille reliquit (v. 5)
Servantes asinum qui cornes unus erat;
Stultus stultitiam Synagogæ signât asellus,
Quæ nunc exspectans, nescit adesse Deum. »
2. Joann. m, 1 Zi. Cf. ibid., vin, 28 ; xn, 32-34.
Augustin, in Joann., Tractat. t. XII, § li [opp. III, 387,
RELIQUAIRE DE TONGRES (PL. VIIl).
Reprenons-les rapidement une à une, pour eu rappeler le sens à ceux qui n’auraient
pas saisi du premier coup d’œil la portée qu’y voyait le moyen âge après les docteurs
ecclésiastiques. Isaac sur le bûcher qu’il vient de porter lui-même, et prêt à se laisser
immoler par son père, c’est un type (comme parle la science théologique) trop trans-
parent pour qu’il faille employer beaucoup de paroles à y faire apercevoir le Fils
de Dieu montré par avance *. Quant au serpent du désert, Notre-Seigneur lui-même
nous apprend à y reconnaître son crucifiement2, d’où découle le salut pour tous
Jacob croisant ses mains pour bénir les deux fils de Joseph :
« Transversæ palmæ recitant speciem crucis almæ. »
Le sang de l’agneau pascal servant à marquer les portes
des Hébreux pour écarter l’ange exterminateur :
« Sanguis in hoc poste populum tutatur ab hoste. »
Moïse frappant le rocher de sa baguette, pour en faire
couler le ruisseau qui abreuvera le peuple d’Israël :
« Fons silicis solidi, cruor est salvans Crucifixi. »
Moïse montrant le serpent d’airain arboré pour sauver
les Israélites de la mort :
« Àspice serpentem typicum, populos redimentem. »
La grappe monstrueuse de la Terre promise, que deux
hommes portent suspendue à un bâton :
« Vecte crucem, Christum botro die in cruce üxum, »
Le signe mystérieux (T) marqué sur le front des élus,
par un envoyé divin (Ezecli. îx, 3-6) :
« Mors devitatur per Tau, dum fronte notatur. »
La veuve de Sarepta tenant croisés deux morceaux de
bois qu’elle \ient de ramasser :
« Lecta duo ligna, crucis edunt mystica signa. »
il ne faut pas, on le voit bien, un grand effort d’esprit
pour reconnaître là le même ordre d’idées qui dirigeait
l’orfévre liégeois dans l’exécution du reliquaire de Ton-
gres, et qui avait présidé ailleurs à tant d’autres : comme
la croix de saint Berlin (Vitraux de Bourges, étude I, D),
et diverses verrières de Bourges, de Chartres, du Mans, de
Rouen, de Saint-Denis et de Tours (ibid., pl. I; études 1,
II, VI, VII, XII). On retrouverait encore les mêmes leçons
présentées au peuple par l’ancien peintre-verrier de Can-
torbéry (.,Hints of glasspainting..., Oxford, 1847,1.1, p. 350,
svv. ; Fenesira XII) :
« Christus portai crucem;— Isaac, ligna;— Mulier
colligit ligna.
Ligna puer gestat, crucis typum manifestât ;
Fert, crucis in signum, duplex muliercula lignum.
Christus suspenditur in ligno; — Serpensæneus elevatur
in columna; — Vacca rufa comburitur.
Mors est exsanguis, dum cernitur æreus anguis ;
Sic Deus in ligno nos salvat ab hoste maligno.
Ut Moyses jussit, vitulam rufam rogus ussit ;
Sic tua, Christe, caro crucis igné crematur amaro.
Dominus deponitur de ligno; — Abel occiditur; — Eli-
sæus expandit se super puerum.
Nos a morte Deus revocavit, et hune Elisæus ;
Signât Abel Christi pia funera, funere tristi.
Moses [sic) scribit Thau in fronlibus in porta [sic) de
sanguine agni ; — Dominus in sepulcro ; — Samson dormit
eum arnica sua ; — Jonas in ventre ceti.
Fronlibus infixum Tliau, præcinuit Crucifixum.
Ut Samson typice causa dormivit amicæ,
Ecclesiæ causa Christi caro marmore clausa.
Dum jacet absorptus Jonas, sol triplicat ortus ;
Sic Deus arctatur tumulo, triduoque moratur.
Dominus ligans diabolum, spoliavit infernum; — David
eripuit oves ; — Samson [discerpsit leonem] et tulit portas.
Salvat ovem David, sic Christum significavit.
Est Samson fortis qui rupit vincula mortis,
Instar Samsonis frangit Deus ossa Leonis ;
Dum Satan stravit Christus, regulum jugulavit.
Surgit Dominus de sepulcro; — Jonas ejicitur de pisce ;
— David emissus per fenestram.
Redditur ut salvus quem ceti clauserat alvus, ,
Sic redit illæsus a mortis carcere Jésus.
Hinc abit illæsus David; sic invida Jésus
Agmina conturbat, ut vicia morte resurgat.
Angélus alloquitur Mariam ad sepulcrum ; — Joseph
extrahitur e carcere ; — et leo suscitât filium.
Ad vitam Christum Deus, ut leo suscitât istum.
Te signât, Christe, Joseph ; te, mors, locus iste. »
J’ai voulu donner toute la description de cette verrière,
quoique le but du peintre n’y fût pas exactement le même
que celui de l’orfévre liégeois. Mais on en peut tirer des
inductions utiles pour l’intelligence complète des divers
monuments qui viennent d'être indiqués dans les Vitraux
de Bourges, et qui ont incontestablement une parenté
étroite avec le reliquaire de Tongres.
1. Sans renvoyer à ce que nous en avons dit ailleurs,
montrons, dans un Manuel rédigé en France au moyen âge,
comment les moindres circonstances de ce fait étaient
expliquées en vue de Jésus-Christ. \roici l’interprétation
populaire donnée par Pierre de Riga, qui ne fait que résu-
mer les grands écrivains ecclésiastiques :
« Imperat heic Abrahæ Deus ut sibi victimet Isac ;
Christus homo patitur, Pâtre jubente, crucem.
Nil Isaac patitur, aries fit victima ; Christi
Nil patitur deitas, quum moriatur homo.
Exspectant Abraham pueri quos ille reliquit (v. 5)
Servantes asinum qui cornes unus erat;
Stultus stultitiam Synagogæ signât asellus,
Quæ nunc exspectans, nescit adesse Deum. »
2. Joann. m, 1 Zi. Cf. ibid., vin, 28 ; xn, 32-34.
Augustin, in Joann., Tractat. t. XII, § li [opp. III, 387,