176
MÉLANGES ü’ARCHÉOLOGIE.
et la Grande-Bretagne du vieux temps ont tout l’air de se tendre la main par-dessus
mers, fleuves, montagnes, idiomes, civilisations et races.
Le griffon groupait autour de lui des histoires sans nombre dans l’Orient, jusqu’au
moyen âge. Les Mille et une Nuits ne manquent pas de lui faire un rôle curieux (sous
le nom de rokh), et Benjamin de Tudèle 1 raconte sans sourciller que les naviga-
teurs trouvaient moyen d’échapper aux typhons de Chine en se faisant porter à terre
par cet énorme volatile dont ils se défaisaient ensuite à coups de poignard. Certains
temples de l’IIindoustan septentrional montrent encore (en sculpture) un oiseau à huit
jambes (pour quatre peut-être, par artifice de perspective asiatique), qui tient en
chacune de ses serres un éléphant. Le griffon au poulain y est donc bien dépassé,
tout comme dans les monstrueux oiseaux mentionnés par le Talmucl. Les Grecs étaient
déjà bien un peu sur la voie du griffon quand ils donnaient à l’autruche le nom
cfoiseau-clumieaii (ou chameau ailé) crtpovOoxâu.Yi'koq.
Il nous reste à rendre raison des singularités qui complètent le chapiteau d’Abraham
(p. 166, sv. ; grav. E-H). Qu’est-ce que ces deux serpents ailés qui semblent baiser l’homme
assis, tout en lui bouchant les oreilles avec leurs pattes? Ce que le manuscrit d’Arundel
disait de l’humilité comme base des vertus, nous pouvons bien le modifier en disant que
c’est l’obéissance; et l’Annonciation qui est donnée comme type de cette vertu fonda-
mentale par le miniateur du xive siècle est précisément expliquée par de graves Pères
comme type d’obéissance2. Aussi ce que sainte Élisabeth préconise en Marie, c’est la
docilité qui l’a élevée au rang de mère du Verbe 3. De là était venue la fréquente
insistance de maint écrivain ecclésiastique sur une soi-disant conception de Notre-
Seigneur par l’oreille de la très-sainte Vierge4 ; expression qui surprendra moins, si
l’on sait que l’ouïe symbolisait l’obéissance5 (Rom. x, 17; Gai. ht, 2; etc.).
D’autre part, c’est l’obéissance également que saint Augustin vante dans Abrahamc.
1. Itinerarium, ed. L’Empereur (1633), p. 110, sq.; et 217.
— Cf J. P. Baratier, in h. /., t. I, p. 213-216.
2. Pseudo-Augustin (Fulbert. ?), Serm. de Annuntiat.
(Opp. t. V, append., p. 322, etc.). « Eva occidendo obfuit,
» Maria vivificando profuit; ilia percussit, ista sanavit.
» Pro inobedientia enim obedientia commutatur; fides
» pro perfidiacompensatur... Circumdat'virum Maria, An-
» gelo fidem dando ; quia Eva perdidit virum, serpenti
» consentiendo... Ilia dixitiÆ’cce ancilla Domini, fiat mihi
» secundum verbum tuum. O felix obedientia, oinsignis gra-
» tia ! quæ dum fidem humiliter dédit, cœli iu se opificem
» corporavit! Implevit in ea Dominus quod dudum præ-
» dixerat: Obedientiam malo quam sacrificium. Etc.»
3. Luc. i, 45.
4. Le P. A. Martin en a cité plusieurs exemples dans un
article publié après sa mort par la Société des antiquaires
de France (t. XXIII, p. 857, svv.), sur deux chapiteaux du
prieuré de Cunault en Anjou.
5. Cela se trouve déjà quelque peu expliqué dans les
Vitraux de Bourges, à l’occasion du Bon Samaritain, pi. VI;
et texte, n° 124 (p. 215, sv.). Sans qu’il y eût raison urgente
pour revenir encore une fois sur ce symbolisme, le rappeler
était au moins utile.
A la Bibliothèque du roi (Cf. Paulin Paris, Mss. français...
t. VII, p. 22), des miniatures du xive siècle, accompagnant
les prophéties relatives à Notre-Seigneur, peignent des
docteurs auxquels le démon, sous figure de renard ou de
loup, ferme les yeux et bouche les oreilles, pour qu’ils ne
se rendent pas à la doctrine de l’Écriture sainte.
L’organe de l’ouïe figure donc, chez les interprètes des
Livres saints, la docilité d’esprit et de cœur, partant la
droite intelligence de ce que Dieu enseigne. C’est d’après
ces données que saint Augustin explique (in Joann., trac-
tat.cxu)lamutilationet la guérison de Malchus (Joann. xvm,
10; — Luc. xxn, 49-51): «...Malchus interpretatur regna-
» turus. Quid ergo auris pro Domino amputata, et a Do-
» minosanata, significat? nisi auditum, amputata vetustate
» renovatum; ut sit in novitate spiritus, et non litteræ.
» Quod cui præstitum fuerit a Christo, quis dubitet regna-
» turum esse cum Christo? etc. »
D’autres veulent que ce serviteur du grand prêtre ait
perdu l’oreille droite, et que ce soit symboliquement l’in-
dice de la Synagogue perdant la droite intelligence des
saintes Écritures. C’est toujours, quoiqu’il en soit, l’oreille
prise pour figure d’obéissance ou de foi divine. Toute autre
adhésion revêtue de ce nom de foi ne le porterait qu’abu-
sivement, malgré les entorses que subit notre langue.
'6 August. serm. ii, De tentatione Abrahœ (Opp. t. V,
p. 5, sq.): «Credidit nasciturum, et non plangit moritu-
» rum. Ejus dextera eligitur ad sacrificium, ut moreretur ;
» cujus cor electum est ad fidem, ut nasceretur... Pius
» ergo Abrahamobtemperando, quid Deus, jubendo?.... sed
MÉLANGES ü’ARCHÉOLOGIE.
et la Grande-Bretagne du vieux temps ont tout l’air de se tendre la main par-dessus
mers, fleuves, montagnes, idiomes, civilisations et races.
Le griffon groupait autour de lui des histoires sans nombre dans l’Orient, jusqu’au
moyen âge. Les Mille et une Nuits ne manquent pas de lui faire un rôle curieux (sous
le nom de rokh), et Benjamin de Tudèle 1 raconte sans sourciller que les naviga-
teurs trouvaient moyen d’échapper aux typhons de Chine en se faisant porter à terre
par cet énorme volatile dont ils se défaisaient ensuite à coups de poignard. Certains
temples de l’IIindoustan septentrional montrent encore (en sculpture) un oiseau à huit
jambes (pour quatre peut-être, par artifice de perspective asiatique), qui tient en
chacune de ses serres un éléphant. Le griffon au poulain y est donc bien dépassé,
tout comme dans les monstrueux oiseaux mentionnés par le Talmucl. Les Grecs étaient
déjà bien un peu sur la voie du griffon quand ils donnaient à l’autruche le nom
cfoiseau-clumieaii (ou chameau ailé) crtpovOoxâu.Yi'koq.
Il nous reste à rendre raison des singularités qui complètent le chapiteau d’Abraham
(p. 166, sv. ; grav. E-H). Qu’est-ce que ces deux serpents ailés qui semblent baiser l’homme
assis, tout en lui bouchant les oreilles avec leurs pattes? Ce que le manuscrit d’Arundel
disait de l’humilité comme base des vertus, nous pouvons bien le modifier en disant que
c’est l’obéissance; et l’Annonciation qui est donnée comme type de cette vertu fonda-
mentale par le miniateur du xive siècle est précisément expliquée par de graves Pères
comme type d’obéissance2. Aussi ce que sainte Élisabeth préconise en Marie, c’est la
docilité qui l’a élevée au rang de mère du Verbe 3. De là était venue la fréquente
insistance de maint écrivain ecclésiastique sur une soi-disant conception de Notre-
Seigneur par l’oreille de la très-sainte Vierge4 ; expression qui surprendra moins, si
l’on sait que l’ouïe symbolisait l’obéissance5 (Rom. x, 17; Gai. ht, 2; etc.).
D’autre part, c’est l’obéissance également que saint Augustin vante dans Abrahamc.
1. Itinerarium, ed. L’Empereur (1633), p. 110, sq.; et 217.
— Cf J. P. Baratier, in h. /., t. I, p. 213-216.
2. Pseudo-Augustin (Fulbert. ?), Serm. de Annuntiat.
(Opp. t. V, append., p. 322, etc.). « Eva occidendo obfuit,
» Maria vivificando profuit; ilia percussit, ista sanavit.
» Pro inobedientia enim obedientia commutatur; fides
» pro perfidiacompensatur... Circumdat'virum Maria, An-
» gelo fidem dando ; quia Eva perdidit virum, serpenti
» consentiendo... Ilia dixitiÆ’cce ancilla Domini, fiat mihi
» secundum verbum tuum. O felix obedientia, oinsignis gra-
» tia ! quæ dum fidem humiliter dédit, cœli iu se opificem
» corporavit! Implevit in ea Dominus quod dudum præ-
» dixerat: Obedientiam malo quam sacrificium. Etc.»
3. Luc. i, 45.
4. Le P. A. Martin en a cité plusieurs exemples dans un
article publié après sa mort par la Société des antiquaires
de France (t. XXIII, p. 857, svv.), sur deux chapiteaux du
prieuré de Cunault en Anjou.
5. Cela se trouve déjà quelque peu expliqué dans les
Vitraux de Bourges, à l’occasion du Bon Samaritain, pi. VI;
et texte, n° 124 (p. 215, sv.). Sans qu’il y eût raison urgente
pour revenir encore une fois sur ce symbolisme, le rappeler
était au moins utile.
A la Bibliothèque du roi (Cf. Paulin Paris, Mss. français...
t. VII, p. 22), des miniatures du xive siècle, accompagnant
les prophéties relatives à Notre-Seigneur, peignent des
docteurs auxquels le démon, sous figure de renard ou de
loup, ferme les yeux et bouche les oreilles, pour qu’ils ne
se rendent pas à la doctrine de l’Écriture sainte.
L’organe de l’ouïe figure donc, chez les interprètes des
Livres saints, la docilité d’esprit et de cœur, partant la
droite intelligence de ce que Dieu enseigne. C’est d’après
ces données que saint Augustin explique (in Joann., trac-
tat.cxu)lamutilationet la guérison de Malchus (Joann. xvm,
10; — Luc. xxn, 49-51): «...Malchus interpretatur regna-
» turus. Quid ergo auris pro Domino amputata, et a Do-
» minosanata, significat? nisi auditum, amputata vetustate
» renovatum; ut sit in novitate spiritus, et non litteræ.
» Quod cui præstitum fuerit a Christo, quis dubitet regna-
» turum esse cum Christo? etc. »
D’autres veulent que ce serviteur du grand prêtre ait
perdu l’oreille droite, et que ce soit symboliquement l’in-
dice de la Synagogue perdant la droite intelligence des
saintes Écritures. C’est toujours, quoiqu’il en soit, l’oreille
prise pour figure d’obéissance ou de foi divine. Toute autre
adhésion revêtue de ce nom de foi ne le porterait qu’abu-
sivement, malgré les entorses que subit notre langue.
'6 August. serm. ii, De tentatione Abrahœ (Opp. t. V,
p. 5, sq.): «Credidit nasciturum, et non plangit moritu-
» rum. Ejus dextera eligitur ad sacrificium, ut moreretur ;
» cujus cor electum est ad fidem, ut nasceretur... Pius
» ergo Abrahamobtemperando, quid Deus, jubendo?.... sed