BAS-RELIEFS MYSTÉRIEUX : CHAPITEAUX d’AMBOISE.
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du monde. D’ailleurs, dans l’église d’Amboise, nous avons rencontré déjà la danseuse
accompagnée d’une musique de bas étage; et à Boscherville encore on voyait la baladine
exécutant ses tours de force, quoique au son d’un orchestre presque entier1. Malgré la
différence d’accompagnement, c’était néanmoins le même sujet, et nous avons quelque
droit de rechercher une parenté entre les pensers qui inspiraient le maître de l’œuvre
dans chacune de ces deux églises.
Gela étant, il y a peut-être moyen de s’éclaircir sur l’intention du sculpteur, quand nous
voyons à Amboi.se, dans la moulure, cet oiseau (fig. G) qui fouille la cervelle d’une
tête détachée. Pour nous faire comprendre qu’il s’agit d’un animal aquatique, on a tracé
des ondes derrière lui. Ce doit donc être quelque chose comme l’ibis du Bestiaire dont
nous avons signalé un exemple plus haut [supra, p. 147, sv.; et planche X, p. 127, Ybeæ).
C’est la bête rapace qui ne sait pas pousser au large, et attend sur le bord de l’eau
les charognes rejetées par la A'ague. L’homme qui aura suivi par lâcheté ce vilain
régime deviendra lui-même la proie des démons. Philippe de Thaun, avec beaucoup
de longueurs, exposait cela comme les autres versions du Physioloyus :
« Or oez, hom de Dé,
Ki en baptesme es né:
Entre en eve entendable,
En mer espiritable ;
Par eve entent saveir,
Tceo sacez pur veir;
Par mer, Saint Escripture,
Li saveirs est viande
Que saint hume demande;
E la Saint Escripture
Est a Eanme pulture.
E hom ki le n’entent,
Cil blasme ceo dit,
Cumme cigonie vit.
E ki ceo ne ferat,
Mais defors volerat,
De caruine vivrat
E fruit de charn avrat.
Fruit de charn par raisun,
Par fornicaliun.
Usure u malveis vice,
Perjurie, avarice;
Ceo funt li carnel, etc.
Ilom ki volt surmunter,
Ses eles deit lever;
Li home dous mains unt,
Ki pur eles lur sunt;
Ses mains deit hum lever
Al cel Deu aurer 2
Ke del cel vint vertut
Dunt Satan fud vencud;
E par signum cruels,
Ceo entendum tut dis. Etc.
Issi deit hum noer [nager),
Ses mains ver Deu lever;
Ceo est Dés deprier,
De la croiz sei seigner.
E ki ceo ne ferat,
E carnalment vivrat,
En sun péché murât,
A diable en irat. Etc. »
La moralité de cet oiseau est donc que le chrétien qui n’exerce pas son âme par la
prière prendra inévitablement goût aux œuvres charnelles et sera livré aux supplices sans
fin, après avoir plus ou moins joui des plaisirs de ce monde durant quelques courtes
années. Comme dit un saint Père : A quelques moments de plaisir succéderont des tour-
1. Cela, s’il m’en souvient, a paru dans les Instructions
du comité des arts et monuments pour la musique, pl. VI.
2. Cf. Mélanges, Ire série, t. II, p. 201-207. La prière
avec bras étendus rappelle les Orantes des Catacombes, et
par conséquent les premiers siècles comme époque du
Bestiaire grec (de Tatien), car j’y persiste. Aux citations
de Pères que j’ai données déjà sur cette attitude, on
pourrait ajouter ce que dit Muratori dans son édition de
S. Paulin de Noie : Natal. XI, v. 613; et nott. 245, 246,
248, in Poem. XVI ad Nicet.
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du monde. D’ailleurs, dans l’église d’Amboise, nous avons rencontré déjà la danseuse
accompagnée d’une musique de bas étage; et à Boscherville encore on voyait la baladine
exécutant ses tours de force, quoique au son d’un orchestre presque entier1. Malgré la
différence d’accompagnement, c’était néanmoins le même sujet, et nous avons quelque
droit de rechercher une parenté entre les pensers qui inspiraient le maître de l’œuvre
dans chacune de ces deux églises.
Gela étant, il y a peut-être moyen de s’éclaircir sur l’intention du sculpteur, quand nous
voyons à Amboi.se, dans la moulure, cet oiseau (fig. G) qui fouille la cervelle d’une
tête détachée. Pour nous faire comprendre qu’il s’agit d’un animal aquatique, on a tracé
des ondes derrière lui. Ce doit donc être quelque chose comme l’ibis du Bestiaire dont
nous avons signalé un exemple plus haut [supra, p. 147, sv.; et planche X, p. 127, Ybeæ).
C’est la bête rapace qui ne sait pas pousser au large, et attend sur le bord de l’eau
les charognes rejetées par la A'ague. L’homme qui aura suivi par lâcheté ce vilain
régime deviendra lui-même la proie des démons. Philippe de Thaun, avec beaucoup
de longueurs, exposait cela comme les autres versions du Physioloyus :
« Or oez, hom de Dé,
Ki en baptesme es né:
Entre en eve entendable,
En mer espiritable ;
Par eve entent saveir,
Tceo sacez pur veir;
Par mer, Saint Escripture,
Li saveirs est viande
Que saint hume demande;
E la Saint Escripture
Est a Eanme pulture.
E hom ki le n’entent,
Cil blasme ceo dit,
Cumme cigonie vit.
E ki ceo ne ferat,
Mais defors volerat,
De caruine vivrat
E fruit de charn avrat.
Fruit de charn par raisun,
Par fornicaliun.
Usure u malveis vice,
Perjurie, avarice;
Ceo funt li carnel, etc.
Ilom ki volt surmunter,
Ses eles deit lever;
Li home dous mains unt,
Ki pur eles lur sunt;
Ses mains deit hum lever
Al cel Deu aurer 2
Ke del cel vint vertut
Dunt Satan fud vencud;
E par signum cruels,
Ceo entendum tut dis. Etc.
Issi deit hum noer [nager),
Ses mains ver Deu lever;
Ceo est Dés deprier,
De la croiz sei seigner.
E ki ceo ne ferat,
E carnalment vivrat,
En sun péché murât,
A diable en irat. Etc. »
La moralité de cet oiseau est donc que le chrétien qui n’exerce pas son âme par la
prière prendra inévitablement goût aux œuvres charnelles et sera livré aux supplices sans
fin, après avoir plus ou moins joui des plaisirs de ce monde durant quelques courtes
années. Comme dit un saint Père : A quelques moments de plaisir succéderont des tour-
1. Cela, s’il m’en souvient, a paru dans les Instructions
du comité des arts et monuments pour la musique, pl. VI.
2. Cf. Mélanges, Ire série, t. II, p. 201-207. La prière
avec bras étendus rappelle les Orantes des Catacombes, et
par conséquent les premiers siècles comme époque du
Bestiaire grec (de Tatien), car j’y persiste. Aux citations
de Pères que j’ai données déjà sur cette attitude, on
pourrait ajouter ce que dit Muratori dans son édition de
S. Paulin de Noie : Natal. XI, v. 613; et nott. 245, 246,
248, in Poem. XVI ad Nicet.