BAS-RELIEFS MYSTÉRIEUX :
RATISBONNE.
239
des textes 1 dont on se passera aisément en matière si simple. Moines et chanoines, à cause
des longs offices, de la nuit surtout, avaient besoin en hiver de se défendre contre le froid.
Aussi voit-on encore quelque reste d’une espèce de brasero ambulant porté sur un chariot de
fer qui pouvait être poussé le long du chœur, afin que chacun y dégourdît ses doigts tour à
tour2. C’était pourtant assez pauvre ressource, et bonne tout au plus pour les cas extrêmes
(l’onglée, par exemple). Une chape fourrée, et même des bottes garnies, faisaient bien mieux
l’affaire de gens obligés à se tenir immobiles pendant trois ou quatre heures dans des églises
où l’on n’avait pas encore introduit le calorifère. S. Bernard s’indignait énormément de ce
que les religieux de Cluny se permettaient pareilles douceurs. Quant aux chanoines, non-
seulement ils s’accordaient le droit naturel de ne pas geler habituellement pour l’amour
de Dieu; mais leurs fourrures devinrent peu à peu véritable objet de luxe3. Une fois
cette dépense faite, on ne se soucia plus de quitter le menu vair ou le petit-gris, qui
sentaient son grand seigneur, et qui avaient coûté assez cher pour qu’on en fît montre toute
l’année. Aussi, malgré les coutumiers anciens qui voulaient que l’on dépouillât l’aumusse
au chœur vers le printemps, on se contenta de ne plus s’en envelopper les épaules ou la
tête. En conséquence, même en plein été, la fourrure se portait sur le bras gauche, comme
un insigne canonial. Par manière d’excuse pour cette superfétation, on y ménagea une poche
qui servait à mettre le bréviaire. Il nous en reste bien encore quelque chose même en
France, quoique Pau musse ne serve plus guère cà protéger le dos ou la poitrine pendant
les temps froids. Mais ce qui serait bien le comble de la bizarrerie où peut parvenir
un usage dévoyé de sa source, c’est ce qui (vrai ou faux) est raconté par Mme de Sévigné
à sa fille sur des chanoines nègres ayant pour tout insigne de civilisation quelconque
des bonnets carrés et des aumusses qui descendaient de l’avant-bras gauche4. Notons
néanmoins que l’histoire ne lui venait pas directement du prétendu témoin oculaire5.
En somme, néanmoins le comte J. d’Estrées, vice-amiral français aux îles d’Amérique
1. Cf. Du Gange, Glosscir... mediœ et infimœ latinitatis,
vlS Almucium, Armutia, Amicia et Pellicium chorale. — Mo-
léon, Voyages liturgiques, passim. Voyez la table des ma-
tières, v° Aumusse. — Bock, Liturgische Gewœnder, t. II,
p. 360, et pl. XLIX, L.
On ne voit pas très-clairement pourquoi le Glossary of
ecclesiastical Ornament reproche à du Gange d’avoir con-
fondu l’aumusse avec l’amict.
2. M. Peigné-Delacourt lisait, il y a quelques années, à
la Société archéologique de Noyon, un petit mémoire sur
cette espèce de meuble dont l’échantillon se conserve dans
la sacristie de la cathédrale. On peut en trouver la réim-
pression dans la Revue de l’art chrétien, t. V, p. 17Z|, sv.
J’entends dire qu’il existe un monument de cette vieille
coutume à la collégiale de Saint-Ursanne en Porentruy.
3. Que cela fût en plein usage au xue siècle, nous ne le
voyons pas seulement par les philippiques de saint Bernard
contre l’ordre de Cluny. 'Un témoignage populaire le
montre dans le poème des Aliscans (éd. F. Guessard,
p. 237, sv.), lorsque Guillaume au court nez presse Rai-
nouart de recevoir le baptême. Celui-ci lui répond, en l’en-
gageant à se faire homme d’Église :
« Sire Guillames qui savés de sermon,
Vous déusiés avoir un pelichon
Lonc traînant desci ke au talon ;
Et puis le froc, el ciefle caperon,
Les grandes botes forrées environ,
Et le cief res [et] corouné en son.
Et sesisiés tous dis sor un leson.
En cel moustier fesisiés orison. »
Beaucoup plus tard, mais toujours en confirmation du
même usage, un concile de Sens (13Zi7), tenu à Paris, décide
que les chanoines porteront l’aumusse de couleur noire
mouchetée de blanc. Il s’agissait de ne pas prêter à ce qu’on
pût confondre ces dignitaires avec les simples bénéficiers,
dont l’aumusse devait être entièrement noire.
h. Lettres de Mme de Sévigné, éd. Hachette, t. II, p. 121,
sv. : «Le comte d’Fstrées lui a conté [à M. de la Rochefou-
cauld) qu’en son voyage de Guinée, il se trouva parmi des
chrétiens. Il y trouva une église; il y trouva vingt chanoines
nègres tout nus avec des bonnets carrés et une aumusse
au bras gauche, qui chantaient les louanges de Dieu. Il vous
prie de réfléchir sur cette rencontre, et de ne pas croire
qu’ils eussent le moindre surplis, car ils étaient comme
quand on sort du ventre de sa mère, et noirs comme des
diables. »
La marquise tient pour très-divertissant un costume si
strictement liturgique, en sorte qu’elle y revient à plu-
sieurs reprises dans sa correspondance (cf. ihid,, p. 123,
155, 160).
5. M. de la Rochefoucauld, l’intermédiaire, ne se serait
peut-être pas tenu pour offensé si on l’avait cru capable de
RATISBONNE.
239
des textes 1 dont on se passera aisément en matière si simple. Moines et chanoines, à cause
des longs offices, de la nuit surtout, avaient besoin en hiver de se défendre contre le froid.
Aussi voit-on encore quelque reste d’une espèce de brasero ambulant porté sur un chariot de
fer qui pouvait être poussé le long du chœur, afin que chacun y dégourdît ses doigts tour à
tour2. C’était pourtant assez pauvre ressource, et bonne tout au plus pour les cas extrêmes
(l’onglée, par exemple). Une chape fourrée, et même des bottes garnies, faisaient bien mieux
l’affaire de gens obligés à se tenir immobiles pendant trois ou quatre heures dans des églises
où l’on n’avait pas encore introduit le calorifère. S. Bernard s’indignait énormément de ce
que les religieux de Cluny se permettaient pareilles douceurs. Quant aux chanoines, non-
seulement ils s’accordaient le droit naturel de ne pas geler habituellement pour l’amour
de Dieu; mais leurs fourrures devinrent peu à peu véritable objet de luxe3. Une fois
cette dépense faite, on ne se soucia plus de quitter le menu vair ou le petit-gris, qui
sentaient son grand seigneur, et qui avaient coûté assez cher pour qu’on en fît montre toute
l’année. Aussi, malgré les coutumiers anciens qui voulaient que l’on dépouillât l’aumusse
au chœur vers le printemps, on se contenta de ne plus s’en envelopper les épaules ou la
tête. En conséquence, même en plein été, la fourrure se portait sur le bras gauche, comme
un insigne canonial. Par manière d’excuse pour cette superfétation, on y ménagea une poche
qui servait à mettre le bréviaire. Il nous en reste bien encore quelque chose même en
France, quoique Pau musse ne serve plus guère cà protéger le dos ou la poitrine pendant
les temps froids. Mais ce qui serait bien le comble de la bizarrerie où peut parvenir
un usage dévoyé de sa source, c’est ce qui (vrai ou faux) est raconté par Mme de Sévigné
à sa fille sur des chanoines nègres ayant pour tout insigne de civilisation quelconque
des bonnets carrés et des aumusses qui descendaient de l’avant-bras gauche4. Notons
néanmoins que l’histoire ne lui venait pas directement du prétendu témoin oculaire5.
En somme, néanmoins le comte J. d’Estrées, vice-amiral français aux îles d’Amérique
1. Cf. Du Gange, Glosscir... mediœ et infimœ latinitatis,
vlS Almucium, Armutia, Amicia et Pellicium chorale. — Mo-
léon, Voyages liturgiques, passim. Voyez la table des ma-
tières, v° Aumusse. — Bock, Liturgische Gewœnder, t. II,
p. 360, et pl. XLIX, L.
On ne voit pas très-clairement pourquoi le Glossary of
ecclesiastical Ornament reproche à du Gange d’avoir con-
fondu l’aumusse avec l’amict.
2. M. Peigné-Delacourt lisait, il y a quelques années, à
la Société archéologique de Noyon, un petit mémoire sur
cette espèce de meuble dont l’échantillon se conserve dans
la sacristie de la cathédrale. On peut en trouver la réim-
pression dans la Revue de l’art chrétien, t. V, p. 17Z|, sv.
J’entends dire qu’il existe un monument de cette vieille
coutume à la collégiale de Saint-Ursanne en Porentruy.
3. Que cela fût en plein usage au xue siècle, nous ne le
voyons pas seulement par les philippiques de saint Bernard
contre l’ordre de Cluny. 'Un témoignage populaire le
montre dans le poème des Aliscans (éd. F. Guessard,
p. 237, sv.), lorsque Guillaume au court nez presse Rai-
nouart de recevoir le baptême. Celui-ci lui répond, en l’en-
gageant à se faire homme d’Église :
« Sire Guillames qui savés de sermon,
Vous déusiés avoir un pelichon
Lonc traînant desci ke au talon ;
Et puis le froc, el ciefle caperon,
Les grandes botes forrées environ,
Et le cief res [et] corouné en son.
Et sesisiés tous dis sor un leson.
En cel moustier fesisiés orison. »
Beaucoup plus tard, mais toujours en confirmation du
même usage, un concile de Sens (13Zi7), tenu à Paris, décide
que les chanoines porteront l’aumusse de couleur noire
mouchetée de blanc. Il s’agissait de ne pas prêter à ce qu’on
pût confondre ces dignitaires avec les simples bénéficiers,
dont l’aumusse devait être entièrement noire.
h. Lettres de Mme de Sévigné, éd. Hachette, t. II, p. 121,
sv. : «Le comte d’Fstrées lui a conté [à M. de la Rochefou-
cauld) qu’en son voyage de Guinée, il se trouva parmi des
chrétiens. Il y trouva une église; il y trouva vingt chanoines
nègres tout nus avec des bonnets carrés et une aumusse
au bras gauche, qui chantaient les louanges de Dieu. Il vous
prie de réfléchir sur cette rencontre, et de ne pas croire
qu’ils eussent le moindre surplis, car ils étaient comme
quand on sort du ventre de sa mère, et noirs comme des
diables. »
La marquise tient pour très-divertissant un costume si
strictement liturgique, en sorte qu’elle y revient à plu-
sieurs reprises dans sa correspondance (cf. ihid,, p. 123,
155, 160).
5. M. de la Rochefoucauld, l’intermédiaire, ne se serait
peut-être pas tenu pour offensé si on l’avait cru capable de