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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
ils n’auront plus, pour se relever, la ressource des temps anciens,
l’autorité absolue devant laquelle chacun se courbe. Dans la société
nouvelle, fondée par les bourgeois sur la liberté et le travail, leur
avenir est de se former en noblesse de cour, n’attendant rien que du
monarque, n’agissant que par lui et pour lui. Pour avoir écarté
d’eux, à la bataille d’Azincourt, les compagnies communales, ils
feront peser sur la France une horrible défaite, et nul ne l’oubliera.
On comprend que le baronnage ne se mêle point au branle de
l’érection des cathédrales. Si ce n’est pas contre lui qu’elles s’élèvent,
elles marquent, au moins, que son règne Unit. Les cathédrales sont
l’œuvre de l’épiscopat, qui en décide et en facilite la construction, et
du peuple, qui les édifie et les fait siennes. L’élan populaire est
d’autant plus vif, après l’an 1200, que les évêques (je crois devoir le
répéter) sont, pplitiquement, amoindris. Plus le peuple sent s’affermir
ses franchises, plus il a de zèle à rehausser la cité. L’auteur de
l’Art gothique constate, à propos de la cathédrale de Laon, que les
travaux, longtemps conduits avec mollesse, s’activent résolument
en 1191, date de la confirmation des privilèges de la Commune. Il
note aussi, à l’occasion du jubé de Chartres, que « les évêques et les
chapitres, dépossédés d’une partie de leur juridiction, éprouvent, au
commencement du xme siècle, le besoin de se clore dans les
sanctuaires ». Tout concorde, de la sorte, avec ce que nous avons
avancé. On multiplierait sans peine et l’on généraliserait les
preuves de cette proposition historique : l’érection des grandes cathé-
drales atteste la dissolution de la féodalité sous sa double forme
militaire et religieuse. Et j’ajoute, pour supplément, que l’élan
redouble, précisément, sous les deux rois du moyen âge qui ont le
plus développé la vie civile : Philippe-Auguste et Louis IX.
Veut-on savoir, cela posé, comment on se procure les énormes
sommes nécessaires? Les prélats, d’abord, ont donné abondamment;
Maurice de Sully, entre autres, a pu subvenir, avec ses seuls
revenus, aux frais du chœur de Notre-Dame. A Chartres, lieu de
pèlerinage séculaire où la monarchie a des traditions, et, semblable-
ment à Paris et à Reims, la générosité royale n’a pas fait défaut.
Mais c’est, par-dessus tout, sur les fidèles qu’on a compté de toutes
parts. Pas un évêque qui n’ait pu dire le mot d’Alberic de Humbert,
au moment de creuser les fondations de l’église de Reims, en 1112,
et n’osant presque pas envisager l’immensité de l’entreprise : « Allez
toujours. Dieu et les hommes nous aideront. » Des quêteurs, portant
quelquefois les reliques les plus vénérées du pays, parcourent les
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
ils n’auront plus, pour se relever, la ressource des temps anciens,
l’autorité absolue devant laquelle chacun se courbe. Dans la société
nouvelle, fondée par les bourgeois sur la liberté et le travail, leur
avenir est de se former en noblesse de cour, n’attendant rien que du
monarque, n’agissant que par lui et pour lui. Pour avoir écarté
d’eux, à la bataille d’Azincourt, les compagnies communales, ils
feront peser sur la France une horrible défaite, et nul ne l’oubliera.
On comprend que le baronnage ne se mêle point au branle de
l’érection des cathédrales. Si ce n’est pas contre lui qu’elles s’élèvent,
elles marquent, au moins, que son règne Unit. Les cathédrales sont
l’œuvre de l’épiscopat, qui en décide et en facilite la construction, et
du peuple, qui les édifie et les fait siennes. L’élan populaire est
d’autant plus vif, après l’an 1200, que les évêques (je crois devoir le
répéter) sont, pplitiquement, amoindris. Plus le peuple sent s’affermir
ses franchises, plus il a de zèle à rehausser la cité. L’auteur de
l’Art gothique constate, à propos de la cathédrale de Laon, que les
travaux, longtemps conduits avec mollesse, s’activent résolument
en 1191, date de la confirmation des privilèges de la Commune. Il
note aussi, à l’occasion du jubé de Chartres, que « les évêques et les
chapitres, dépossédés d’une partie de leur juridiction, éprouvent, au
commencement du xme siècle, le besoin de se clore dans les
sanctuaires ». Tout concorde, de la sorte, avec ce que nous avons
avancé. On multiplierait sans peine et l’on généraliserait les
preuves de cette proposition historique : l’érection des grandes cathé-
drales atteste la dissolution de la féodalité sous sa double forme
militaire et religieuse. Et j’ajoute, pour supplément, que l’élan
redouble, précisément, sous les deux rois du moyen âge qui ont le
plus développé la vie civile : Philippe-Auguste et Louis IX.
Veut-on savoir, cela posé, comment on se procure les énormes
sommes nécessaires? Les prélats, d’abord, ont donné abondamment;
Maurice de Sully, entre autres, a pu subvenir, avec ses seuls
revenus, aux frais du chœur de Notre-Dame. A Chartres, lieu de
pèlerinage séculaire où la monarchie a des traditions, et, semblable-
ment à Paris et à Reims, la générosité royale n’a pas fait défaut.
Mais c’est, par-dessus tout, sur les fidèles qu’on a compté de toutes
parts. Pas un évêque qui n’ait pu dire le mot d’Alberic de Humbert,
au moment de creuser les fondations de l’église de Reims, en 1112,
et n’osant presque pas envisager l’immensité de l’entreprise : « Allez
toujours. Dieu et les hommes nous aideront. » Des quêteurs, portant
quelquefois les reliques les plus vénérées du pays, parcourent les