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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
les mites ne peuvent ronger les pièces de monnaie. » Il passait tous
ses étés dans une campagne voisine de Dordrecht, à Dordwyck, dont
il était seigneur, sans que cependant il y possédât un grand domaine.
Là, au coeur de ce beau pays qu’il aimait, il était bien posé pour se
livrer à ses chères études. Dans un tableau de la galerie du duc
de Bedford, dont on voyait une répétition à la collection Secrétan, il
s’est peint lui-même occupé à dessiner non loin d’un village, dans une
campagne riante, traversée par un cours d’eau et agréablement entre-
coupée de prairies, de champs et de bois. A droite, au premier plan,
un domestique tient par la bride deux beaux chevaux qui ont amené
son maître et lui dans ce joli coin. L’artiste, on le voit, était devenu
un personnage et ce n’est pas en pareil équipage que nous sommes
habitués à rencontrer les paysagistes de ce temps-là, des maîtres tels
que Van der Neer, Ruysdael, Hobbema et d’autres encore restés
méconnus et besogneux pendant leur vie, voués sur leurs vieux jours
à la misèreou à l’hôpital. Cuyp ne connut jamais ces difficultés. Sur ses
dernières années, les informations nous font défaut; nous savons
seulement qu’après avoir perdu sa femme au mois de novembre 1689,
et marié un an plus tard, le 19 novembre 1690, sa fille avec un veuf
nommé Pierre Oudewater, il mourait lui-même le 10 ou le 11 novem
bre 1691. Dans l’acte de son enterrement il était ainsi qualifié ;
« Monsieur Albert Kuyp, ancien membre élu de la Cour et du Haut
Tribunal de Sud-Hollande, enterré dans l’église des Augustins. »
La maison que Cuyp habitait alors et qui jusqu’à nos jours a con-
servé à peu près son caractère, appartenait à son gendre, chez lequel
il s’était retiré après la mort de sa femme. Elle était connue sous le
nom de Brasserie des Lys, à cause des fleurs sculptées dans un écusson
qu’on y voit encore au-dessus de la porte, et c’est probablement cette
particularité qui avait fait croire que Cuyp avait été brasseur. Une
peinture exécutée par lui, sans doute quand il demeurait encore dans
la Wynstraat, et qui est entrée récemment au Ryksmuseum, nous
offre un témoignage significatif de la bienveillance que le maître
apportait dans ses rapports avec ses concitoyens. C’est une enseigne
de marchand de vin, largement brossée par lui sur les deux faces
d’une plaque de cuivre, et destinée apparemment à son fournisseur
attitré ou à l’un de ses voisins. Nous y voyons d’un côté la maison de
ce négociant, sur le bord d’un quai où des bateaux ont amené des
tonneaux qu’on décharge, et de l’autre le cellier même dans lequel le
marchand, ayant tiré un verre de vin blanc, le montre à un jeune
seigneur très élégamment vêtu qui l’examine attentivement à la
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
les mites ne peuvent ronger les pièces de monnaie. » Il passait tous
ses étés dans une campagne voisine de Dordrecht, à Dordwyck, dont
il était seigneur, sans que cependant il y possédât un grand domaine.
Là, au coeur de ce beau pays qu’il aimait, il était bien posé pour se
livrer à ses chères études. Dans un tableau de la galerie du duc
de Bedford, dont on voyait une répétition à la collection Secrétan, il
s’est peint lui-même occupé à dessiner non loin d’un village, dans une
campagne riante, traversée par un cours d’eau et agréablement entre-
coupée de prairies, de champs et de bois. A droite, au premier plan,
un domestique tient par la bride deux beaux chevaux qui ont amené
son maître et lui dans ce joli coin. L’artiste, on le voit, était devenu
un personnage et ce n’est pas en pareil équipage que nous sommes
habitués à rencontrer les paysagistes de ce temps-là, des maîtres tels
que Van der Neer, Ruysdael, Hobbema et d’autres encore restés
méconnus et besogneux pendant leur vie, voués sur leurs vieux jours
à la misèreou à l’hôpital. Cuyp ne connut jamais ces difficultés. Sur ses
dernières années, les informations nous font défaut; nous savons
seulement qu’après avoir perdu sa femme au mois de novembre 1689,
et marié un an plus tard, le 19 novembre 1690, sa fille avec un veuf
nommé Pierre Oudewater, il mourait lui-même le 10 ou le 11 novem
bre 1691. Dans l’acte de son enterrement il était ainsi qualifié ;
« Monsieur Albert Kuyp, ancien membre élu de la Cour et du Haut
Tribunal de Sud-Hollande, enterré dans l’église des Augustins. »
La maison que Cuyp habitait alors et qui jusqu’à nos jours a con-
servé à peu près son caractère, appartenait à son gendre, chez lequel
il s’était retiré après la mort de sa femme. Elle était connue sous le
nom de Brasserie des Lys, à cause des fleurs sculptées dans un écusson
qu’on y voit encore au-dessus de la porte, et c’est probablement cette
particularité qui avait fait croire que Cuyp avait été brasseur. Une
peinture exécutée par lui, sans doute quand il demeurait encore dans
la Wynstraat, et qui est entrée récemment au Ryksmuseum, nous
offre un témoignage significatif de la bienveillance que le maître
apportait dans ses rapports avec ses concitoyens. C’est une enseigne
de marchand de vin, largement brossée par lui sur les deux faces
d’une plaque de cuivre, et destinée apparemment à son fournisseur
attitré ou à l’un de ses voisins. Nous y voyons d’un côté la maison de
ce négociant, sur le bord d’un quai où des bateaux ont amené des
tonneaux qu’on décharge, et de l’autre le cellier même dans lequel le
marchand, ayant tiré un verre de vin blanc, le montre à un jeune
seigneur très élégamment vêtu qui l’examine attentivement à la