340
GAZETTE DES BEAUX-AtlTS.
Aux bâtiments d’habitation, toutes les fenêtres sont rectangulaires,
inégales, à meneaux croisés. Les toits pointus se coupent d’irrégu-
lières tourelles d’un art fleuri. Sous la baie à quatre divisions de la
chapelle, le balcon saillant couvrait jadis de son baldaquin de den-
telle, une statue équestre de Charles VII. A droite et à gauche,
sculptés à mi-corps, en de fausses fenêtres, un homme et une femme
semblant épier qui entre — détail un peu bizarre, où se trahit
l’humeur du bourgeois. La cour d’honneur nous enchante de ses
tourelles d’escalier, de ses lucarnes à pinacles, de ses combles aigus,
d’où les cheminées émergent, de ses balustrades et de ses fleurons.
Point de surcharge. Toute cette richesse demeure simple parce qu’elle
s’étale exactement où il convient. Dans la décoration, rien que des
sujets familiers et des devises pleines de bonhomie : « A cœurs vail-
lans, rien impossible. — En bouche close n’entre mousche. » Nous
aurons à revenir sur la naïve et fine sculpture de cet hôtel, chef-
d’œuvre de gothique intime, accueillant et cordial.
La charmante habitation, encore, que l’hôtel des abbés de Cluny,
construit à Paris de 1490 à 1500! Quelle distinction dans tous ses
pimfils! Quelle plantation curieuse! Quel soin scrupuleux, quelle
franchise, quel sens pratique en ses moindres détails! On ne sait que
louer davantage de la tourelle d’escalier, du promenoir, de l’oratoire
aux nervures ramassées sur un pilier central! Tout est délicat, d’une
appropriation éminemment spirituelle, d’une structure excellente.
Il y a là une architecture vivante, féconde, rationnaliste, fidèle aux
programmes qu’on lui donne, attentive aux besoins de l’existence,
éprise de l’inattendu des combinaisons de lignes qui résultent des
distributions intérieures. Et je transcris avec conviction le jugement
de M. Louis Gonse sur ce suprême épanouissement de notre vieille
école : « Ce que j’admire, par-dessus tout, dans l’art français
du xve siècle, c’est la liberté du plan, l’imprévu des dispositions, ces
coupures pittoresques, d’une irrégularité piquante, qui apportent
tant de vie et de souplesse aux formes architecturales, — toutes ces
qualités, enfin, qui étaient l’essence de l’esprit gothique et que
l’influence des idées antiques a, depuis, étouffées sous la tyrannie
de la ligne droite. »
Comment ces idées antiques nous ont, peu à peu, débordés;
comment l’Italie s’est emparée de nous au point de confisquer nos
propres traditions, on le sait trop pour que j’y revienne. L’unité
nationale faite, les caractères se sont amollis; le peuple n’a point
assez gardé des rudes susceptibilités de ses pères; le zèle des Bour-
GAZETTE DES BEAUX-AtlTS.
Aux bâtiments d’habitation, toutes les fenêtres sont rectangulaires,
inégales, à meneaux croisés. Les toits pointus se coupent d’irrégu-
lières tourelles d’un art fleuri. Sous la baie à quatre divisions de la
chapelle, le balcon saillant couvrait jadis de son baldaquin de den-
telle, une statue équestre de Charles VII. A droite et à gauche,
sculptés à mi-corps, en de fausses fenêtres, un homme et une femme
semblant épier qui entre — détail un peu bizarre, où se trahit
l’humeur du bourgeois. La cour d’honneur nous enchante de ses
tourelles d’escalier, de ses lucarnes à pinacles, de ses combles aigus,
d’où les cheminées émergent, de ses balustrades et de ses fleurons.
Point de surcharge. Toute cette richesse demeure simple parce qu’elle
s’étale exactement où il convient. Dans la décoration, rien que des
sujets familiers et des devises pleines de bonhomie : « A cœurs vail-
lans, rien impossible. — En bouche close n’entre mousche. » Nous
aurons à revenir sur la naïve et fine sculpture de cet hôtel, chef-
d’œuvre de gothique intime, accueillant et cordial.
La charmante habitation, encore, que l’hôtel des abbés de Cluny,
construit à Paris de 1490 à 1500! Quelle distinction dans tous ses
pimfils! Quelle plantation curieuse! Quel soin scrupuleux, quelle
franchise, quel sens pratique en ses moindres détails! On ne sait que
louer davantage de la tourelle d’escalier, du promenoir, de l’oratoire
aux nervures ramassées sur un pilier central! Tout est délicat, d’une
appropriation éminemment spirituelle, d’une structure excellente.
Il y a là une architecture vivante, féconde, rationnaliste, fidèle aux
programmes qu’on lui donne, attentive aux besoins de l’existence,
éprise de l’inattendu des combinaisons de lignes qui résultent des
distributions intérieures. Et je transcris avec conviction le jugement
de M. Louis Gonse sur ce suprême épanouissement de notre vieille
école : « Ce que j’admire, par-dessus tout, dans l’art français
du xve siècle, c’est la liberté du plan, l’imprévu des dispositions, ces
coupures pittoresques, d’une irrégularité piquante, qui apportent
tant de vie et de souplesse aux formes architecturales, — toutes ces
qualités, enfin, qui étaient l’essence de l’esprit gothique et que
l’influence des idées antiques a, depuis, étouffées sous la tyrannie
de la ligne droite. »
Comment ces idées antiques nous ont, peu à peu, débordés;
comment l’Italie s’est emparée de nous au point de confisquer nos
propres traditions, on le sait trop pour que j’y revienne. L’unité
nationale faite, les caractères se sont amollis; le peuple n’a point
assez gardé des rudes susceptibilités de ses pères; le zèle des Bour-