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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
devrait faire effort pour retrouver, dans l’exubérance d’un triomphe
qu’aucun.sinistre pressentiment ne vient assombrir. Les Vercingé-
torix et les Arminius qu’on nous donne sont conçus suivant le modèle
romain : ils ont beau brandir leur épée, on sent comme un cliquetis de
chaînes autour d’eux. Ce serait un grand artiste celui qui, sans copier
une statue antique, nous ferait voirBrennus déposant sa lourde épée
sur le plateau de la balance au Capitole ! Grecs et Romains se sont
donné garde de représenter les pareils de Brennus à de tels moments.
X.
Ce réalisme de bon aloi propre à l’art romain se montre aussi
dans une tête de vieille femme, de matrone, qui est un des plus sai-
sissants portraits de la collection *. Elle n’a jamais été jolie, ayant
la bouche trop grande et les pommettes trop osseuses, mais elle a
toujours eu et elle conserve l’air pincé et un peu dédaigneux que
l’on qualifie parfois de « distingué ». Cette « dame âgée » n’a pas
renoncé à la parure ; sous le bandeau qui ceint son front et le grand
voile qui enveloppe sa tête, ses cheveux émergent, artistement divisés
en boucles collées sur les tempes par un cosmétique. On sent la
persistance des soins personnels, qui est un signe de race, et je n’ai
pas trouvé mauvais, devant l’original, qu’un plaisant qualifiât de
« vieille duchesse romaine » l’inconnue qui a posé pour ce portrait.
Voici un autre rejeton de noble famille, peut-être même de
famille impériale. Tout jeune encore, il porte les stigmates de la
dégénérescence physique, qui sont la rançon de la fortune continue
et la Némésis des races illustres. Rien de plus pénétrant, dans son
indolence maladive prise sur le vif, que l'expression de cet enfant,
âgé de trois ou quatre ans à peine, sur lequel pèse une lassitude
précoce et comme le poids anticipé du tombeau. De toutes les figures
d’enfant que nous a laissées l’antiquité, celle-ci est la plus réaliste
et je dirais presque la plus touchante. Aussi le sentiment de répulsion
qu’inspire d’abord cette face de petite vieille ou de petit vieux, se
mêle-t-il bien vite d’une nuance de sympathie, et l’on s’attache à ce
pauvre être disgracié, aux oreilles déformées, aux joues flasques
et pendantes, à la lèvre scrofuleuse, victime d’une fatalité qu’il
ignore. On songe, en le regardant, à ces tristes infantes de Velasquez
et au sang vicié de Philippe III...
■1. Sacken, Die antiken Sculpluren, pl. XXIX, 1.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
devrait faire effort pour retrouver, dans l’exubérance d’un triomphe
qu’aucun.sinistre pressentiment ne vient assombrir. Les Vercingé-
torix et les Arminius qu’on nous donne sont conçus suivant le modèle
romain : ils ont beau brandir leur épée, on sent comme un cliquetis de
chaînes autour d’eux. Ce serait un grand artiste celui qui, sans copier
une statue antique, nous ferait voirBrennus déposant sa lourde épée
sur le plateau de la balance au Capitole ! Grecs et Romains se sont
donné garde de représenter les pareils de Brennus à de tels moments.
X.
Ce réalisme de bon aloi propre à l’art romain se montre aussi
dans une tête de vieille femme, de matrone, qui est un des plus sai-
sissants portraits de la collection *. Elle n’a jamais été jolie, ayant
la bouche trop grande et les pommettes trop osseuses, mais elle a
toujours eu et elle conserve l’air pincé et un peu dédaigneux que
l’on qualifie parfois de « distingué ». Cette « dame âgée » n’a pas
renoncé à la parure ; sous le bandeau qui ceint son front et le grand
voile qui enveloppe sa tête, ses cheveux émergent, artistement divisés
en boucles collées sur les tempes par un cosmétique. On sent la
persistance des soins personnels, qui est un signe de race, et je n’ai
pas trouvé mauvais, devant l’original, qu’un plaisant qualifiât de
« vieille duchesse romaine » l’inconnue qui a posé pour ce portrait.
Voici un autre rejeton de noble famille, peut-être même de
famille impériale. Tout jeune encore, il porte les stigmates de la
dégénérescence physique, qui sont la rançon de la fortune continue
et la Némésis des races illustres. Rien de plus pénétrant, dans son
indolence maladive prise sur le vif, que l'expression de cet enfant,
âgé de trois ou quatre ans à peine, sur lequel pèse une lassitude
précoce et comme le poids anticipé du tombeau. De toutes les figures
d’enfant que nous a laissées l’antiquité, celle-ci est la plus réaliste
et je dirais presque la plus touchante. Aussi le sentiment de répulsion
qu’inspire d’abord cette face de petite vieille ou de petit vieux, se
mêle-t-il bien vite d’une nuance de sympathie, et l’on s’attache à ce
pauvre être disgracié, aux oreilles déformées, aux joues flasques
et pendantes, à la lèvre scrofuleuse, victime d’une fatalité qu’il
ignore. On songe, en le regardant, à ces tristes infantes de Velasquez
et au sang vicié de Philippe III...
■1. Sacken, Die antiken Sculpluren, pl. XXIX, 1.