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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
•1445 à l’hôtel de ville de Borgo-San-Sepolcro, fresque admirable de science et
d’expression, que Mantegna devait imiter dans son retable de San-Zeno*.
Aux trois murailles nues de la salle du Cenacolo sont accrochées les fresques,
reportées sur toile, de la villa Pandolfîni. Un dessin d’ensemble reproduit la dispo-
sition primitive des figures, avant qu’on les eût très sottement séparées de leur
encadrement architectural. Andrea, ayant à décorer une longue paroi, percée en
son milieu d'une porte, l’avait divisée par des pilastres peints en neuf panneaux
couronnés d’une large corniche, au dessus de laquelle s’ébattaient en trois comparti-
ments neuf putti soutenant des guirlandes de laurier. Au haut de la porte, et au
centre de la décoration, était la demi-figure de la reine Esther, ayant à sa droite,
debout en quatre panneaux voisins, la charmante Sibylle deCumes et trois guerriers
hommes d’Etat, Niccolo Acciajuoli, Farinata degli U-berti et Filippo Scolari, à sa
gauche la reine Thomyris et les trois grands écrivains d’Italie, Dante, Pétrarque
et Boccace. Je ne sais si les fresques d’Andrea ont souffert de leur transport d’un
musée à l’autre, mais elles auraient grand besoin d’une restauration habile; la
plus belle de toutes, le Filippo Scolari, ce fier Pippo Spano si rudement campé,
jambes ouvertes, tenant des deux mains et faisant fléchir sa large épée, et regar-
dant au loin, l’œil pensif sous ses cheveux noirs, comme attentif à un bruit de
guerre, Pippo Spano, placé dans un coin sombre de cette salle déjà mal éclairée,
se meurt de nombreuses blessures; l’enduit, mal fixé sur la toile, s'en va par larges
écailles.
La petite salle attenante renferme quelques peintures qui méritent attention et
sympathie. Je cite tout d’abord une Adoration de l’Enfant Jésus dans la forêt,
composition exquise exécutée sinon de la main de Fra Filippo Lippi, du moins
en son atelier et sous son inspiration directe. C’est la quatrième œuvre de ce
genre que l’on peut attribuer à ce peintre inégal qui a eu parfois les plus délicates
idées. Deux tableaux analogues sont à l’Académie de Florence, un autre au Musée
de Berlin; ce dernier serait, au jugement de M. Bode, « l’expression la plus com-
plète du talent de l’artiste, dont le charme incomparable réside précisément dans
le calme religieux des personnages associé à un profond sentiment de la nature,
surtout dans la représentation délicieusement finie de la forêt et de toutes ses
beautés 1 2 ». Je ne sais si la peinture de Sant’ Apollonia aurait droit aux mêmes
éloges, mais la Vierge y est bien gracieuse dans sa robe verte bordée d’or. Elle
s’agenouille avec une tendresse chaste et si grave devant Jésus couché à terre !
En haut apparaissent le Père Éternel et la Colombe rayonnante de l’Esprit saint.
A quelque distance vers la gauche, parmi les rocs et les cyprès, on aperçoit saint
Bernard accoudé. Près de la Vierge s’épanouit toute une moisson de charmantes
fleurs, lis, iris et roses, peintes avec une précision et une fidélité que Botticelli
égalera, mais ne surpassera point. Une riche bordure claire de fruits et de feuilles
se détachant sur un fond d’or entoure ce petit chef-d’œuvre encore intact, malgré
quelques piqûres dans le panneau et une patine un peu sombre.
Une Adoration des Mages, de Domenico Ghirlandajo, réunit de très aimables
1. Panneau du Musée de Tours, reproduit par M. Mimtz dans son Histoire de l’art
pendant la Renaissance, tome II, page 593. La fresque do Piero est gravée au tome Dr,
page 344.
2. Gazelle des Beaux-Arts, t. XXXVII, 2' période, p. 478.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
•1445 à l’hôtel de ville de Borgo-San-Sepolcro, fresque admirable de science et
d’expression, que Mantegna devait imiter dans son retable de San-Zeno*.
Aux trois murailles nues de la salle du Cenacolo sont accrochées les fresques,
reportées sur toile, de la villa Pandolfîni. Un dessin d’ensemble reproduit la dispo-
sition primitive des figures, avant qu’on les eût très sottement séparées de leur
encadrement architectural. Andrea, ayant à décorer une longue paroi, percée en
son milieu d'une porte, l’avait divisée par des pilastres peints en neuf panneaux
couronnés d’une large corniche, au dessus de laquelle s’ébattaient en trois comparti-
ments neuf putti soutenant des guirlandes de laurier. Au haut de la porte, et au
centre de la décoration, était la demi-figure de la reine Esther, ayant à sa droite,
debout en quatre panneaux voisins, la charmante Sibylle deCumes et trois guerriers
hommes d’Etat, Niccolo Acciajuoli, Farinata degli U-berti et Filippo Scolari, à sa
gauche la reine Thomyris et les trois grands écrivains d’Italie, Dante, Pétrarque
et Boccace. Je ne sais si les fresques d’Andrea ont souffert de leur transport d’un
musée à l’autre, mais elles auraient grand besoin d’une restauration habile; la
plus belle de toutes, le Filippo Scolari, ce fier Pippo Spano si rudement campé,
jambes ouvertes, tenant des deux mains et faisant fléchir sa large épée, et regar-
dant au loin, l’œil pensif sous ses cheveux noirs, comme attentif à un bruit de
guerre, Pippo Spano, placé dans un coin sombre de cette salle déjà mal éclairée,
se meurt de nombreuses blessures; l’enduit, mal fixé sur la toile, s'en va par larges
écailles.
La petite salle attenante renferme quelques peintures qui méritent attention et
sympathie. Je cite tout d’abord une Adoration de l’Enfant Jésus dans la forêt,
composition exquise exécutée sinon de la main de Fra Filippo Lippi, du moins
en son atelier et sous son inspiration directe. C’est la quatrième œuvre de ce
genre que l’on peut attribuer à ce peintre inégal qui a eu parfois les plus délicates
idées. Deux tableaux analogues sont à l’Académie de Florence, un autre au Musée
de Berlin; ce dernier serait, au jugement de M. Bode, « l’expression la plus com-
plète du talent de l’artiste, dont le charme incomparable réside précisément dans
le calme religieux des personnages associé à un profond sentiment de la nature,
surtout dans la représentation délicieusement finie de la forêt et de toutes ses
beautés 1 2 ». Je ne sais si la peinture de Sant’ Apollonia aurait droit aux mêmes
éloges, mais la Vierge y est bien gracieuse dans sa robe verte bordée d’or. Elle
s’agenouille avec une tendresse chaste et si grave devant Jésus couché à terre !
En haut apparaissent le Père Éternel et la Colombe rayonnante de l’Esprit saint.
A quelque distance vers la gauche, parmi les rocs et les cyprès, on aperçoit saint
Bernard accoudé. Près de la Vierge s’épanouit toute une moisson de charmantes
fleurs, lis, iris et roses, peintes avec une précision et une fidélité que Botticelli
égalera, mais ne surpassera point. Une riche bordure claire de fruits et de feuilles
se détachant sur un fond d’or entoure ce petit chef-d’œuvre encore intact, malgré
quelques piqûres dans le panneau et une patine un peu sombre.
Une Adoration des Mages, de Domenico Ghirlandajo, réunit de très aimables
1. Panneau du Musée de Tours, reproduit par M. Mimtz dans son Histoire de l’art
pendant la Renaissance, tome II, page 593. La fresque do Piero est gravée au tome Dr,
page 344.
2. Gazelle des Beaux-Arts, t. XXXVII, 2' période, p. 478.