CORRESPONDANCE DE BELGIQUE.
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galerie improvisée; et elle les faisait avec une supériorité qui n’a excité de surprise
qu’au point de vue de la provenance des œuvres, toutes tirées de collections
bruxelloises. On ne se doutait pas, en effet, eu égard à l’avide recherche des
œuvres de vos chefs d’école et aux sacrifices que comporte leur possession, que la
capitale recelât de quoi constituer un ensemble si distingué d’échantillons de leur
talent. Je parle surtout des paysages; les sujets à figures étaient en minorité, ce
qui d’aileurs s’explique.
Cinq Dupré, tous de qualité supérieure, mais spécialement le Soleil couchant et
le Clair de lune, marines de la collection Dekens, ont fait sensation. La Méditer-
rannée, de Courbet (1837), n’a pas réuni de moindres suffrages, et les Bords de la
Tamise, par Daubigny, un paysage de 1873 de la collection Lyon, — représentée
à elle seule par treize peintures dont deux Delacroix : les Lions à la source et le
fleuve Sebou; trois Diaz : le Bracelet, les Conseils de l’Amour et un portrait de
grandeur naturelle, sur fond bleu-turquoise; un Fromentin : le Simoun; et un
Régnault : une admirable tête de Nubien, — évoquait sans y rien perdre de son
originalité, le souvenir de John Constable. De la collection Van den Eynden, étaient
venus les Convulsionnaires de Tanger, de Delacroix; la Veillée et la Bouillie, de
Millet, trois pages qui figurèrent avec honneur à la centennale de 1889, de même
que le curieux Garbet au baron Goethals, la Fête d’une commune près de Paris, daté
de 1837. De la collection Lyon était venu encore le beau Fromentin : les Gorges
de Cliiffa, tandis que le Lac de Bellegarde (coll. Cardon), la Chaumière (coll. Hèle),
la Campagne romaine (coll. Dutoict) et le Cavalier (coll. Lyon), faisaient à Corot
une représentation infiniment remarquable.
La présence d'un Meissonier fameux, le Guide (1883), de la collection Crabbe,
avait de quoi compenser par son importance le nombre relativement restreint des
sujets à figures. Irréprochable par la précision du détail, la justesse des attitudes
et l’entente générale de toute chose, cet épisode des guerres de l’Empire, où une
troupe de dragons descend une cèle boisée sous la conduite d’un paysan alsacien,
a plus surpris que charmé. Les figures, plus grandes que d’ordinaire, donnaient une
impression de sécheresse, d’àcreté, et la verdeur des habits d'uniforme avait
peut-être elle-même pour effet de faire naître une sensation acide. Avec cela des
prodiges de conscience et d’étude approfondie de la réalité.
Mme Cardon avait tiré de sa riche galerie un Decamps superbe, bien qu’inachevé :
le Christ dans le prétoire, page de la plus haute conception dramatique et, sous le
rapport de l’exécution, digne en tout du maître. Et puisque le mot chef-d’œuvre
a été hasardé je l’adopte sans scrupule pour la Partie d’échecs de ltoybet (coll.
Van den Eynden), assurément la plus importante des œuvres de son auteur par les
dimensions, le nombre des figures, la composition et la distribution supérieure de
la lumière.
Par sa date même, le Guet-apens d’Isabey (187o) ressuscitait un genre dont le
culte, aujourd’hui bien délaissé, s’expliquait, sachons en convenir, par de multiples
séductions. Ne compose ni ne peint avec cette adressc-là qui veut, et si rien ne paraît
moins probable qu’un retour vers le romantisme, le caractère rétrospeclif de
l’exposition n’en donnait pas moins un attrait plus vif à cette rencontre de systèmes
opposés. En dehors de l’importance des éléments elle a eu ainsi, dans ses proportions
restreintes, une valeur enseignante très considérable. Pour la plupart, les jeunes
artistes belges ne connaissent que de nom les maîtres de l’Art français; ils garde-
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galerie improvisée; et elle les faisait avec une supériorité qui n’a excité de surprise
qu’au point de vue de la provenance des œuvres, toutes tirées de collections
bruxelloises. On ne se doutait pas, en effet, eu égard à l’avide recherche des
œuvres de vos chefs d’école et aux sacrifices que comporte leur possession, que la
capitale recelât de quoi constituer un ensemble si distingué d’échantillons de leur
talent. Je parle surtout des paysages; les sujets à figures étaient en minorité, ce
qui d’aileurs s’explique.
Cinq Dupré, tous de qualité supérieure, mais spécialement le Soleil couchant et
le Clair de lune, marines de la collection Dekens, ont fait sensation. La Méditer-
rannée, de Courbet (1837), n’a pas réuni de moindres suffrages, et les Bords de la
Tamise, par Daubigny, un paysage de 1873 de la collection Lyon, — représentée
à elle seule par treize peintures dont deux Delacroix : les Lions à la source et le
fleuve Sebou; trois Diaz : le Bracelet, les Conseils de l’Amour et un portrait de
grandeur naturelle, sur fond bleu-turquoise; un Fromentin : le Simoun; et un
Régnault : une admirable tête de Nubien, — évoquait sans y rien perdre de son
originalité, le souvenir de John Constable. De la collection Van den Eynden, étaient
venus les Convulsionnaires de Tanger, de Delacroix; la Veillée et la Bouillie, de
Millet, trois pages qui figurèrent avec honneur à la centennale de 1889, de même
que le curieux Garbet au baron Goethals, la Fête d’une commune près de Paris, daté
de 1837. De la collection Lyon était venu encore le beau Fromentin : les Gorges
de Cliiffa, tandis que le Lac de Bellegarde (coll. Cardon), la Chaumière (coll. Hèle),
la Campagne romaine (coll. Dutoict) et le Cavalier (coll. Lyon), faisaient à Corot
une représentation infiniment remarquable.
La présence d'un Meissonier fameux, le Guide (1883), de la collection Crabbe,
avait de quoi compenser par son importance le nombre relativement restreint des
sujets à figures. Irréprochable par la précision du détail, la justesse des attitudes
et l’entente générale de toute chose, cet épisode des guerres de l’Empire, où une
troupe de dragons descend une cèle boisée sous la conduite d’un paysan alsacien,
a plus surpris que charmé. Les figures, plus grandes que d’ordinaire, donnaient une
impression de sécheresse, d’àcreté, et la verdeur des habits d'uniforme avait
peut-être elle-même pour effet de faire naître une sensation acide. Avec cela des
prodiges de conscience et d’étude approfondie de la réalité.
Mme Cardon avait tiré de sa riche galerie un Decamps superbe, bien qu’inachevé :
le Christ dans le prétoire, page de la plus haute conception dramatique et, sous le
rapport de l’exécution, digne en tout du maître. Et puisque le mot chef-d’œuvre
a été hasardé je l’adopte sans scrupule pour la Partie d’échecs de ltoybet (coll.
Van den Eynden), assurément la plus importante des œuvres de son auteur par les
dimensions, le nombre des figures, la composition et la distribution supérieure de
la lumière.
Par sa date même, le Guet-apens d’Isabey (187o) ressuscitait un genre dont le
culte, aujourd’hui bien délaissé, s’expliquait, sachons en convenir, par de multiples
séductions. Ne compose ni ne peint avec cette adressc-là qui veut, et si rien ne paraît
moins probable qu’un retour vers le romantisme, le caractère rétrospeclif de
l’exposition n’en donnait pas moins un attrait plus vif à cette rencontre de systèmes
opposés. En dehors de l’importance des éléments elle a eu ainsi, dans ses proportions
restreintes, une valeur enseignante très considérable. Pour la plupart, les jeunes
artistes belges ne connaissent que de nom les maîtres de l’Art français; ils garde-