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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
L’initiative de la révolution qui faillit transformer la Russie
deux siècles avant Pierre le Grand est due au tsar Iwan III le
Grand (1440-1505), énergiquement secondé par son épouse Sophie
ou Zoé Paléologue, fille de Thomas Paléologue, l’ancien despote de la
Morée, élevée à Rome à la cour de Paul II et de Sixte IY.
Iwan comprit, — j’emprunte ces appréciations au R. P. Pierling,
— qu’il fallait avant tout, « l’unité territoriale étant à peu près faite,
s’affranchir du joug des infidèles, et, après avoir refoulé les Bar-
bares en Asie, respirer l’air vivifiant de la Renaissance qui traver-
sait l’Europe. L’unique moyen de regagner le temps perdu et de se
remettre au pas avec l’Occident, c’était, ajoute le P. Pierling, d’aller
à son école et de profiter de ses progrès, sitôt que la liberté nationale
aurait été reconquise1 ».
Aucun esprit de méthode ne présida d’ailleurs à ces tentatives.
Iwan, le P. Pierling l’a constaté formellement, ne songea jamais à
fonder une école, à répandre l’instruction, à introduire l’imprimerie.
Jamais, malgré la communauté des croyances religieuses et des inté-
rêts politiques, aucun de ces Grecs qui faisaient alors fureur en
Italie ne fut invité à enseigner à Moscou.
Ce fut toute une épopée diplomatique que le mariage du tsar avec
l’héritière des Paléologue. Les négociations n’exigèrent pas moins
de quatre ans. Elles furent menées par l’illustre cardinal grec Bes-
sarion et par un aventurier italien établi à Moscou en qualité de
maître de la monnaie du tsar, un certain Gian Battista délia Yolpe
de Yicence, désigné dans les documents moscovites sous le nom
d’Iwan Friazine2.
Le mariage fut enfin célébré à Rome, par procuration, le
1er juin 1472. Le 12 du même mois, la princesse, accompagnée de
délia Volpe, d’Antonio Bonumbre, évêque d’Accia en Corse, et
d’une suite assez nombreuse, partit pour sa nouvelle et lointaine
Pétersbourg, 1864), l'Histoire des Beaux-Arts de Schnaase (t. III), le Kremlin de
Moscou, de M. Fabricius (Moscou, 1883), Y Album-Guide de Moscou, de M. Charles
Normand (Paris, 1890), enfin les deux intéressantes monographies du R. P. Pier-
ling : le Mariage d’un Tsar au Vatican, Iwan III et Zoé Paléologue (Paris, 1887;
extrait de la Revue des Questions historiques) et la Russie et l’Orient (édition entiè-
rement refondue du travail précédent; Paris, Leroux, 1891).
1. La Russie et l’Orient, p. 107-108.
2. On a vu à tort un nom propre dans le mot Friazine. C’est un terme générique
servant à désigner les étrangers d’origine latine, quelque chose comme le mot
Franc appliqué par les Orientaux à tous les Européens sans distinction.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
L’initiative de la révolution qui faillit transformer la Russie
deux siècles avant Pierre le Grand est due au tsar Iwan III le
Grand (1440-1505), énergiquement secondé par son épouse Sophie
ou Zoé Paléologue, fille de Thomas Paléologue, l’ancien despote de la
Morée, élevée à Rome à la cour de Paul II et de Sixte IY.
Iwan comprit, — j’emprunte ces appréciations au R. P. Pierling,
— qu’il fallait avant tout, « l’unité territoriale étant à peu près faite,
s’affranchir du joug des infidèles, et, après avoir refoulé les Bar-
bares en Asie, respirer l’air vivifiant de la Renaissance qui traver-
sait l’Europe. L’unique moyen de regagner le temps perdu et de se
remettre au pas avec l’Occident, c’était, ajoute le P. Pierling, d’aller
à son école et de profiter de ses progrès, sitôt que la liberté nationale
aurait été reconquise1 ».
Aucun esprit de méthode ne présida d’ailleurs à ces tentatives.
Iwan, le P. Pierling l’a constaté formellement, ne songea jamais à
fonder une école, à répandre l’instruction, à introduire l’imprimerie.
Jamais, malgré la communauté des croyances religieuses et des inté-
rêts politiques, aucun de ces Grecs qui faisaient alors fureur en
Italie ne fut invité à enseigner à Moscou.
Ce fut toute une épopée diplomatique que le mariage du tsar avec
l’héritière des Paléologue. Les négociations n’exigèrent pas moins
de quatre ans. Elles furent menées par l’illustre cardinal grec Bes-
sarion et par un aventurier italien établi à Moscou en qualité de
maître de la monnaie du tsar, un certain Gian Battista délia Yolpe
de Yicence, désigné dans les documents moscovites sous le nom
d’Iwan Friazine2.
Le mariage fut enfin célébré à Rome, par procuration, le
1er juin 1472. Le 12 du même mois, la princesse, accompagnée de
délia Volpe, d’Antonio Bonumbre, évêque d’Accia en Corse, et
d’une suite assez nombreuse, partit pour sa nouvelle et lointaine
Pétersbourg, 1864), l'Histoire des Beaux-Arts de Schnaase (t. III), le Kremlin de
Moscou, de M. Fabricius (Moscou, 1883), Y Album-Guide de Moscou, de M. Charles
Normand (Paris, 1890), enfin les deux intéressantes monographies du R. P. Pier-
ling : le Mariage d’un Tsar au Vatican, Iwan III et Zoé Paléologue (Paris, 1887;
extrait de la Revue des Questions historiques) et la Russie et l’Orient (édition entiè-
rement refondue du travail précédent; Paris, Leroux, 1891).
1. La Russie et l’Orient, p. 107-108.
2. On a vu à tort un nom propre dans le mot Friazine. C’est un terme générique
servant à désigner les étrangers d’origine latine, quelque chose comme le mot
Franc appliqué par les Orientaux à tous les Européens sans distinction.