DUGGIO.
107
MATER SANCTA DEI. SIS CAYSA SENIS REQYIEI ;
SIS DYCIO YITA. TE QYIA PINXIT ITA.
(Sainte Mère de Dieu, donne la paix à Sienne ; sois la vie de Duccio,
puisqu’il t'a peinte ainsi.) L’Ecole siennoise est coutumière de ces
affectueuses invocations ; déjà nous en avions rencontré une au retable
de Guido; bientôt, dans une solennelle fresque de Simone Martini, ce
sera tout un poème.
Regardez quelques instants cette vaste composition, si harmo-
nieuse et forte, et transportez-vous aux temps lointains où elle se
révéla, vous partagerez l’enthousiasme des Siennois, vous vous asso-
cierez de cœur à la fête du 9 juin 1311.
Mesurons le chemin parcouru durant cent années. L’Académie
de Sienne possède un retable provenant de l’abbaje de la Berardenga,
exactement daté du mois de novembre 1215. L’œuvre est d’une
minutie affreuse. La peinture s’y appuie d’un grossier relief : au
centre, le Christ trône dans une gloire, entre deux anges et les
animaux évangéliques; à droite et à gauche sont trois compartiments
enfermant des scènes de la Passion. C’est avec le même procédé
barbare, ce mélange de peinture et de relief, encore usité aujour-
d’hui dans l’art byzantin russe, qu’était représentée la Madone aux
gros yeux, la Madone victorieuse de Monte Aperti. Mais avec la
Madone de Guido, en 1221, un nouvel idéal apparaît, bien imparfait
encore, qui transporte dans la peinture d’atelier les majestueuses
proportions et l’expression grandiose des mosaïques. Yers la même
époque, Giunta inaugure puissamment l’École pisane, à qui va être
confié le premier décor de la nouvelle basilique d’Assise; et l’école
de Florence, qui naît enfin, ne semble être, jusqu’à Giotto, qu’une
école de mosaïstes. Tant de peintres, de qui nous ne possédons qu’une
œuvre ou que le nom seul, s’agitent dans cette pénombre du
xme siècle d’où va jaillir la vive lumière! L’art de Duccio s’est formé
de ces lentes et pénibles ébauches, ou plutôt il s’est mûri lui-même
peu à peu; et, quand nous passerons en revue ses autres peintures
aujourd’hui conservées, nous pourrons essayer de marquer les
étapes successives de son patient génie, avant que fût produit le
chef-d’œuvre définitif.
Si Duccio a séjourné à Florence, comme le fait supposer la com-
mande du tableau de Sainte-Marie Nouvelle, il a peut-être connu
Giotto, mais évidemment ce génie si neuf et si personnel n’eut
aucune action sur lui. Les madones de Giotto, petites bourgeoises
107
MATER SANCTA DEI. SIS CAYSA SENIS REQYIEI ;
SIS DYCIO YITA. TE QYIA PINXIT ITA.
(Sainte Mère de Dieu, donne la paix à Sienne ; sois la vie de Duccio,
puisqu’il t'a peinte ainsi.) L’Ecole siennoise est coutumière de ces
affectueuses invocations ; déjà nous en avions rencontré une au retable
de Guido; bientôt, dans une solennelle fresque de Simone Martini, ce
sera tout un poème.
Regardez quelques instants cette vaste composition, si harmo-
nieuse et forte, et transportez-vous aux temps lointains où elle se
révéla, vous partagerez l’enthousiasme des Siennois, vous vous asso-
cierez de cœur à la fête du 9 juin 1311.
Mesurons le chemin parcouru durant cent années. L’Académie
de Sienne possède un retable provenant de l’abbaje de la Berardenga,
exactement daté du mois de novembre 1215. L’œuvre est d’une
minutie affreuse. La peinture s’y appuie d’un grossier relief : au
centre, le Christ trône dans une gloire, entre deux anges et les
animaux évangéliques; à droite et à gauche sont trois compartiments
enfermant des scènes de la Passion. C’est avec le même procédé
barbare, ce mélange de peinture et de relief, encore usité aujour-
d’hui dans l’art byzantin russe, qu’était représentée la Madone aux
gros yeux, la Madone victorieuse de Monte Aperti. Mais avec la
Madone de Guido, en 1221, un nouvel idéal apparaît, bien imparfait
encore, qui transporte dans la peinture d’atelier les majestueuses
proportions et l’expression grandiose des mosaïques. Yers la même
époque, Giunta inaugure puissamment l’École pisane, à qui va être
confié le premier décor de la nouvelle basilique d’Assise; et l’école
de Florence, qui naît enfin, ne semble être, jusqu’à Giotto, qu’une
école de mosaïstes. Tant de peintres, de qui nous ne possédons qu’une
œuvre ou que le nom seul, s’agitent dans cette pénombre du
xme siècle d’où va jaillir la vive lumière! L’art de Duccio s’est formé
de ces lentes et pénibles ébauches, ou plutôt il s’est mûri lui-même
peu à peu; et, quand nous passerons en revue ses autres peintures
aujourd’hui conservées, nous pourrons essayer de marquer les
étapes successives de son patient génie, avant que fût produit le
chef-d’œuvre définitif.
Si Duccio a séjourné à Florence, comme le fait supposer la com-
mande du tableau de Sainte-Marie Nouvelle, il a peut-être connu
Giotto, mais évidemment ce génie si neuf et si personnel n’eut
aucune action sur lui. Les madones de Giotto, petites bourgeoises