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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 9.1893

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Nr. 2
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Gonse, Louis: Un tableau de Velasquez au Musée de Rouen
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https://doi.org/10.11588/diglit.24662#0143

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128

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. J’étais venu à Rouen pour
revoir le Portrait du Géographe. Ayant encore toute fraîche la vision
des quatre-vingts Yelasquez de Madrid, je voulais me rendre compte
à mon tour des probabilités d’une attribution au grand maître
de Séville. La Gazette avait d’ailleurs commandé à M. Manesse une
gravure à l’eau-forte de ce magnifique portrait.

L’œuvre figurait dans l’inventaire de 1832, sous le nom de Ribera,
avec la qualification de « Portrait de Christophe Colomb ». Aux alen-
tours de 1830, la critique d’art, comme on sait, était pleine d’inno-
cence. Ni l’une ni l’autre de ces désignations n’était justifiable. L’édi-
tion de 1890 du catalogue risque le nom de Velasquez, avec un point
d’interrogation et la dénomination de Portrait d’homme dissertant sur
une mappemonde. Pour Velasquez, je crois fermement qu’il n’y a pas
à hésiter ; c’est aussi l’opinion de M. Bonnat, qui arrive comme moi
de Madrid et qui a revu récemment le portrait de Rouen. Celui-ci
est indubitablement espagnol; on ne saurait se méprendre ni au type
du personnage, ni à sa coiffure en oreilles de chien, ni à son costume,
ni surtout à la touche de la peinture. Le nom de Ribera doit être
écarté, ce n’est pas son exécution, ce n’est pas son coloris, ce n’est
pas sa manière. Personne, autre que Velasquez, n’aurait peint ainsi
d’abondance ce souple, cet énergique, ce vivant portrait. Aujourd’hui
je prononce nettement et sans hésitation le grandissime nom de
Velasquez. Nul autre que lui, à ce moment, n’aurait enlevé en pleine
pâte cette tête qui rit à belles dents, cette collerette de guipure à
larges points traitée avec une si prodigieuse liberté, ce modelé
substantiel des chairs où frémit la lumière en accents rapides et vifs,
ces yeux pétillants, moqueurs, qui parlent et interrogent-, cette cons-
truction si incomparablement juste des plans, cette liberté naturelle
et spontanée du mouvement, et par-dessus tout cette ambiance de
l’air qui fait mouvoir, palpiter la forme. La tête est un morceau
superbe, un morceau qui délectera tous ceux qui aiment la peinture
pour elle-même.

On peut noter encore d’autres traits caractéristiques, comme la
couleur gris neutre du fond, d’une harmonie si délicate, comme la
tonalité vert-bouteille de la veste, et particulièrement le jaune-roux
du manteau posé sur le bras droit, comme le gris spécial de la map-
pemonde, traversé de veines bleuâtres et rosées, que nul peintre n’a
connu avant Velasquez. On objectera, peut-être, à l’encontre de l’opi-
nion que j’exprime, la sécheresse un peu insolite de quelques acces-
soires, tels que l’armature de la mappemonde et les livres à reliure de
 
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