LES DERNIERS TRAVAUX SUR ALBERT DURER (il
est son domaine propre. Ce qu’il sent, ce qu'il pense, ce qu’il imagine de plus
profond et de plus personnel, il le confie au bois et au cuivre. La passion exaltée
du croyant et du visionnaire se révèle dans l'Apocalypse, « dont la grandeur impo-
sante et la fougue dramatique étonnent chez ce jeune homme de vingt-sept ans ».
Prodigieuse par le contenu, cette œuvre n’est pas moins remarquable au point de
vue technique. « L’effet que jusqu’alors les graveurs sur bois n’obtenaient qu’en
faisant appel à la couleur, Durer le premier l’obtient par de simples et savantes
oppositions de noirs et de blancs. » La Vie de Marie et la Grande Passion, où Durer
fixe le type de la Vierge et du Christ, les douze dessins de la Passion verte, et de
nombreuses Madones, expriment tout le pathétique et toute la grâce de la légende
chrétienne. La planche de cuivre, interprète direct de la pensée, reçoit des con-
fidences plus intimes encore. Là il atteint à des délicatesses de forme et d’expres-
sion qui traduisent les plus subtiles nuances de la vie et du sentiment. Des
éléments empruntés il Schonganer, àMantegna, à Barbari sontrefondus et refrappés
avec une énergie souveraine. Scènes de mœurs, visions antiques, études de la
forme animale et de la figure humaine, aboutissent à VAdam et Ève de 1504. Que
n’a-t-il pas tenté dans cette période qui voit naître aussi le paysage allemand,
période de fermentation juvénile et d’inlassable activité où son génie prend posses-
sion de tous les domaines ?
Le second séjour à Venise ouvre à Durer de nouvelles perspectives. Quels
qu’en aient été les motifs immédiats, il échappe à l'étroitesse de sa condition, il
apprend à se mieux connaître en se confrontant. Dans la série des lettres à Pirk-
lieimer on voit le rude Germain s’épanouir peu à peu dans l’atmosphère enchantée
de Venise, sous la caresse d’une lumière plus pure et d’une civilisation plus fine.
M. Marguillier définit fort bien l'action exercée sur l’artiste par cette année heu-
reuse qui vit naître la Fête du Rosaire, le Christ'en croix, la Madone au serin. « Ce
voyage d’Italie fut sur Durer d’une heureuse influence. Trop personnel pour
rien abdiquer de son caractère, son génie cependant s’était affiné au contact des
maîtres de la Péninsule. Sa manière est moins sèche, il est moins appliqué à
entasser les détails, goûte davantage la simplicité, l’harmonie, la largeur d’exé-
cution, jointe à une plus grande recherche du clair-obscur. Jusqu’à la fin de sa
vie il va synthétiser de plus en plus, donner, avec une moindre somme de
moyens, une impression plus grande et plus forte. » Durer s'est affranchi : le
sentiment de sa valeur a fortifié sa personnalité. Selon son mot si curieux, à Venise
il est devenu « gentilhomme ». Dès lors, avec une pleine conscience de sa force, il
aborde les grandes œuvres qui depuis son retour se succèdent jusqu’en loll :
Y Adam et Ève du Prado, le Massacre des dix mille chrétiens, la Trinité, V Assomption
de fleller. En même temps il achève la Vie de Marie et la Grande Passion. Dans
la Petite Passion il écrit un livre de piété populaire, dans la Passion sur cuivre un
poème fait pour toucher les plus délicats. Il s’est replongé en plein courant germa-
nique. 11 affirme en tous sens sa suprématie, il règne sur l’art de son temps.
C’est alors, entre 1510 et 1515, qu’il faudrait saisir Durer dans son essence
intime. Après une période d'expansion il se rassemble, se recueille, descend au
plus profond de sa conscience et, concentrant toute son énergie sur le mode
d’expression qu’il a reconnu sien, résolu, comme il le dit, à se contenter désor-
mais de sa gravure, il résume sa pensée et celle de son temps, il magnifie l’âme
allemande en ces trois symboles, les plus chargés de sens, les plus profonds et les
est son domaine propre. Ce qu’il sent, ce qu'il pense, ce qu’il imagine de plus
profond et de plus personnel, il le confie au bois et au cuivre. La passion exaltée
du croyant et du visionnaire se révèle dans l'Apocalypse, « dont la grandeur impo-
sante et la fougue dramatique étonnent chez ce jeune homme de vingt-sept ans ».
Prodigieuse par le contenu, cette œuvre n’est pas moins remarquable au point de
vue technique. « L’effet que jusqu’alors les graveurs sur bois n’obtenaient qu’en
faisant appel à la couleur, Durer le premier l’obtient par de simples et savantes
oppositions de noirs et de blancs. » La Vie de Marie et la Grande Passion, où Durer
fixe le type de la Vierge et du Christ, les douze dessins de la Passion verte, et de
nombreuses Madones, expriment tout le pathétique et toute la grâce de la légende
chrétienne. La planche de cuivre, interprète direct de la pensée, reçoit des con-
fidences plus intimes encore. Là il atteint à des délicatesses de forme et d’expres-
sion qui traduisent les plus subtiles nuances de la vie et du sentiment. Des
éléments empruntés il Schonganer, àMantegna, à Barbari sontrefondus et refrappés
avec une énergie souveraine. Scènes de mœurs, visions antiques, études de la
forme animale et de la figure humaine, aboutissent à VAdam et Ève de 1504. Que
n’a-t-il pas tenté dans cette période qui voit naître aussi le paysage allemand,
période de fermentation juvénile et d’inlassable activité où son génie prend posses-
sion de tous les domaines ?
Le second séjour à Venise ouvre à Durer de nouvelles perspectives. Quels
qu’en aient été les motifs immédiats, il échappe à l'étroitesse de sa condition, il
apprend à se mieux connaître en se confrontant. Dans la série des lettres à Pirk-
lieimer on voit le rude Germain s’épanouir peu à peu dans l’atmosphère enchantée
de Venise, sous la caresse d’une lumière plus pure et d’une civilisation plus fine.
M. Marguillier définit fort bien l'action exercée sur l’artiste par cette année heu-
reuse qui vit naître la Fête du Rosaire, le Christ'en croix, la Madone au serin. « Ce
voyage d’Italie fut sur Durer d’une heureuse influence. Trop personnel pour
rien abdiquer de son caractère, son génie cependant s’était affiné au contact des
maîtres de la Péninsule. Sa manière est moins sèche, il est moins appliqué à
entasser les détails, goûte davantage la simplicité, l’harmonie, la largeur d’exé-
cution, jointe à une plus grande recherche du clair-obscur. Jusqu’à la fin de sa
vie il va synthétiser de plus en plus, donner, avec une moindre somme de
moyens, une impression plus grande et plus forte. » Durer s'est affranchi : le
sentiment de sa valeur a fortifié sa personnalité. Selon son mot si curieux, à Venise
il est devenu « gentilhomme ». Dès lors, avec une pleine conscience de sa force, il
aborde les grandes œuvres qui depuis son retour se succèdent jusqu’en loll :
Y Adam et Ève du Prado, le Massacre des dix mille chrétiens, la Trinité, V Assomption
de fleller. En même temps il achève la Vie de Marie et la Grande Passion. Dans
la Petite Passion il écrit un livre de piété populaire, dans la Passion sur cuivre un
poème fait pour toucher les plus délicats. Il s’est replongé en plein courant germa-
nique. 11 affirme en tous sens sa suprématie, il règne sur l’art de son temps.
C’est alors, entre 1510 et 1515, qu’il faudrait saisir Durer dans son essence
intime. Après une période d'expansion il se rassemble, se recueille, descend au
plus profond de sa conscience et, concentrant toute son énergie sur le mode
d’expression qu’il a reconnu sien, résolu, comme il le dit, à se contenter désor-
mais de sa gravure, il résume sa pensée et celle de son temps, il magnifie l’âme
allemande en ces trois symboles, les plus chargés de sens, les plus profonds et les