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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 29.1903

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Nr. 1
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Hamel, Maurice: Les derniers travaux sur Albert Dürer
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https://doi.org/10.11588/diglit.24811#0081

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LES DERNIERS TRAVAUX SUR ALBERT DURER

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allemande reprend le dessus, et dans le dessin de Bâle lapins et enfants joueurs
l'ont un groupe exquis. La gravure sur bois de la Trinité nous montre des anges-
vierges, pleurant sur la souffrance du Christ. L’élégance et la tendresse se mêlent
à l’àpre saveur de nature dans le Livre d’Heures. Vers 1 o 19, sous l’influence de
Raphaël, la vigueur s’épanouit en beauté; plus tard un accent douloureux
aggrave leur expression.

L’horrible et le grotesque sont étroitement unis dans le monde infernal, et
Durer suit ici la tradition du moyen âge. Mais à la multiplicité confuse il sub-
stitue la netteté du caractère et la concision puissante de l’expression. Le diable
apparaît formidable et bouffon, tel que se le figure un âge de foi naïve qu'il
fait frissonner et rire. Comme le remarque M. Suida, le terrible et le comique
sont parfois difficilement séparables. Le monstrueux lézard qui menace Adam
et Eve sortant des Limbes, le démon au museau de porc qui suit le Chevalier,
comme le Satan que saint Michel fait rentrer dans son trou d’ombre, provoquent
à la fois la terreur et le rire.

Les allégories et danses de la mort, issues de uos danses macabres du xme siè-
cle, ne forment pas chez Dürer comme chez Ilolbein une série continue. Mais
les Quatre cavaliers de Y Apocalypse sont la plus formidable des Danses des morts,
et les Anges de l’Euphrate composent un sinistre tableau de destruction. Là le ter-
rible règne presque sans partage. Le squelette grimaçant épie les Amants de
la promenade, présente le sablier au lansquenet et à la jeune femme nue qui se
coiffe. Il suit pas à pas le Chevalier, qui dédaigne sa grimace impuissante. La
plus forte expression de ce thème se trouve dans ce fusain du British Muséum,
d’un sentiment tout moderne, où la Mort couronnée passe, armée de la faux et
lasse de sa rude tâche, sur sa rosse efflanquée.

Tous ces éléments se retrouvent fondus, animés d’une vie libre et puissante,
dans le Livre d’Heures de Maximilien, cette œuvre où, selon le mot de Gœthe, « le
magnifique naturel de Durer s’épanouit dans la joie et dans l’humour ». L’an-
tique et le moderne, le sacré et le profane, Hercules et diables, satyres et Turcs,
danses des morts, scènes de mœurs, balourdise paysanne et bonhomie bour-
geoise, chimères, oiseaux, insectes, tout un monde fourmille et s’agite, évoqué
par un génie qui, placé au centre de la nature et maître de ses formes, la recrée
d’intuition avec une fécondité joyeuse, affranchie, exubérante. La môme abon-
dance d’invention, la même énergique fantaisie, respirent dans les figures d’ani-
maux qui ornent les Tables astronomiques ou la Porte triomphale. Ajoutez à cela
la richesse infinie de l’ornementation végétale. L’architecture, chez Dürer est,
d’ordinaire, romane; l’ornement, sauf de rares exceptions, reste gothique. Mais
il rajeunit les formes traditionnelles par des impressions toutes vives de nature,
et son âme de poète s’y révèle directement. Dans le Livre d’Heures, la plume
court, traçant des arabesques d’une richesse et d’une fantatsie inépuisables, passe
d’une figure géométrique à des formes animales qu’elle n’achève pas, et qui se
prolongent en feuillages, en volutes, en vrilles d’une finesse arachnéenne. Ainsi
l'imagination nourrie de science et amoureuse de la vie fait jaillir par enchante-
ment un monde merveilleux, où les forces de la nature semblent participer à
l'ivresse joyeuse qui anime l’esprit créateur. Élevé à l’école d’un siècle natura-
liste, bientôt initié à l’antique, Dürer, après avoir entrevu à Venise un monde de
liberté et de beauté, réagit ensuite contre l’influence étrangère, se rassemble et

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