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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
moins que Goya, le Greco est célèbre en Espagne. On ne trouvera
pas cette réputation usurpée en regardant le portrait, en pied, de
grandeur naturelle, du Duc de Benavente, premier Grand Inquisiteur.
Sa tête, étroite et longue, a quelque chose de sec et de rigide. Les
cheveux, les sourcils, les moustaches et la barbiche sont d’un noir
d’ébène; noirs aussi les grands yeux, froids et pénétrants, fendus
en amande. Il en est de même du vêtement : la prédominance du
noir, à peine atténué par le blanc des manchettes et du col qui monte
jusqu’au bas du visage, donne à ce portrait un aspect sinistre, en
rapport avec les fonctions du personnage. Voilà bien ce réalisme,
plus austère qu’idéal, si fréquent chez plusieurs maîtres espagnols.
Tout autre est le caractère des tableaux de l'école italienne. La
noblesse du style y règne en souveraine, et l’idéal s’y manifeste
jusque dans la poursuite de la vérité à outrance : témoin une Tête
de Christ mort, due à un artiste du nord de l’Italie vivant dans la
seconde moitié du xve siècle. Si l’auteur n’a pas reculé devant la
reproduction des apparences cadavériques, son réalisme se trouve
comme transfiguré par un sentiment religieux très intense et s’allie
à une couleur rare et profonde. — On aurait tort de ne pas s’arrêter
aussi devant une Sainte, peinte à fresque, soit par Fra Filippo
Lippi, soit plutôt par Domenico Ghirlandajo. Dans cette figure, bien
florentine, on ne peut voir qu’une des contemporaines de l’artiste.
Elle fait penser aux admirables fresques qui ornent le chœur de
Santa Maria Novella. — Tout à l’heure, c’était le Christ mort qui
réclamait l’attention; la voici maintenant attirée par un Christ
bénissant. Cette tête, peinte sur bois à la détrempe, est attribuée à
Picro délia Francesca. M. Venturi croit y reconnaître la main de
Domenico Veneziano. Le Sauveur est vu de face. Il tient de la main
gauche un livre relié en rouge. Son pur et beau visage, où la placi-
dité s’allie à une profonde mansuétude, est d'une coloration claire et
limpide. La tunique blanche, agrémentée de quelques raies vertes
et rouges, est attachée par un délicat bijou, enrichi de rubis et de
perles ; dans la bordure autour du cou les perles se mêlent aussi aux
lines arabesques d’or. Un pan de manteau bleu couvre l’épaule
gauche.
Quelque prédilection qu’on puisse avoir pour l’art italien, elle ne
doit pas entraîner à méconnaître l’art français. Comment ne pas
admirer, par exemple, le tableau de Poussin qui a passé de la col-
lection Blackwood dans la collection Bonnat? Une nymphe nue vient
de monter sur le dos d'un satyre. Devant eux s’avance un Amour
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
moins que Goya, le Greco est célèbre en Espagne. On ne trouvera
pas cette réputation usurpée en regardant le portrait, en pied, de
grandeur naturelle, du Duc de Benavente, premier Grand Inquisiteur.
Sa tête, étroite et longue, a quelque chose de sec et de rigide. Les
cheveux, les sourcils, les moustaches et la barbiche sont d’un noir
d’ébène; noirs aussi les grands yeux, froids et pénétrants, fendus
en amande. Il en est de même du vêtement : la prédominance du
noir, à peine atténué par le blanc des manchettes et du col qui monte
jusqu’au bas du visage, donne à ce portrait un aspect sinistre, en
rapport avec les fonctions du personnage. Voilà bien ce réalisme,
plus austère qu’idéal, si fréquent chez plusieurs maîtres espagnols.
Tout autre est le caractère des tableaux de l'école italienne. La
noblesse du style y règne en souveraine, et l’idéal s’y manifeste
jusque dans la poursuite de la vérité à outrance : témoin une Tête
de Christ mort, due à un artiste du nord de l’Italie vivant dans la
seconde moitié du xve siècle. Si l’auteur n’a pas reculé devant la
reproduction des apparences cadavériques, son réalisme se trouve
comme transfiguré par un sentiment religieux très intense et s’allie
à une couleur rare et profonde. — On aurait tort de ne pas s’arrêter
aussi devant une Sainte, peinte à fresque, soit par Fra Filippo
Lippi, soit plutôt par Domenico Ghirlandajo. Dans cette figure, bien
florentine, on ne peut voir qu’une des contemporaines de l’artiste.
Elle fait penser aux admirables fresques qui ornent le chœur de
Santa Maria Novella. — Tout à l’heure, c’était le Christ mort qui
réclamait l’attention; la voici maintenant attirée par un Christ
bénissant. Cette tête, peinte sur bois à la détrempe, est attribuée à
Picro délia Francesca. M. Venturi croit y reconnaître la main de
Domenico Veneziano. Le Sauveur est vu de face. Il tient de la main
gauche un livre relié en rouge. Son pur et beau visage, où la placi-
dité s’allie à une profonde mansuétude, est d'une coloration claire et
limpide. La tunique blanche, agrémentée de quelques raies vertes
et rouges, est attachée par un délicat bijou, enrichi de rubis et de
perles ; dans la bordure autour du cou les perles se mêlent aussi aux
lines arabesques d’or. Un pan de manteau bleu couvre l’épaule
gauche.
Quelque prédilection qu’on puisse avoir pour l’art italien, elle ne
doit pas entraîner à méconnaître l’art français. Comment ne pas
admirer, par exemple, le tableau de Poussin qui a passé de la col-
lection Blackwood dans la collection Bonnat? Une nymphe nue vient
de monter sur le dos d'un satyre. Devant eux s’avance un Amour