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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 29.1903

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Nr. 5
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Bouchot, Henri: Les estampes: la collection Dutuit
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https://doi.org/10.11588/diglit.24811#0436

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

maître. Eugène Dutuit voulait de préférence les œuvres à état civil,
à descendance; il aimait à remonter, à se dire que sûrement il
pouvait mettre sur une enchère des sommes invraisemblables puis-
que, de proche en proche, le papier offert aux acquéreurs s’en retour-
nait droit à l’atelier de Rembrandt ou de van Dyck. Pour le public
des expositions, la pièce gravée la plus millionnaire ne vaudra
jamais une tapisserie aux couleurs voyantes, un buste en marbre de
Mme de Pompadour, deux fauteuils de la Dubarry, ou une peinture
de Mme Yigée. La place de la collection d’estampes était donc ail-
leurs qu’au Petit Palais, où les conservateurs, si avertis et dévoués
qu’ils soient, ne sauront faire que ces grifFonnis de noir sur blanc
arrêtent les foules.

Je parle avec quelque douleur de ceci. D’après ce que j’avais
entendu dire à Eugène Dutuit lui-même, au Cabinet des estampes,
notre dépôt de la Bibliothèque Nationale eut pu espérer un peu.
C’était un homme excellent que ce vieux collectionneur, sur lequel
la chanson de geste brodait un cycle. Quand, tout nouveau que j’étais
là, on m’avait signalé ce petit homme glabre, à la longue redingote
noire, au chapeau melon, comme le plus grand collectionneur du
moment, je n’avais pas cru. Entré en tapinois, plutôt humblement,
mais assez crânement, portant une serviette bondée de bouts de
papiers inégaux, mal tenus, Eugène Dutuit allait s’asseoir à la table de
milieu qu’il s’était pour ainsi dire attitrée, et sur laquelle mon cama-
rade Pierre Vidai l’est venu croquer d’un crayon léger. Comment ima-
giner que cette manière de vieux petit clerc d’avoué, que ce bon-
homme parlant tout seul, tenant avec un personnage muet et con-
tradicteur une conversation pressante, fût ce millionnaire éblouissant
dont l’enchère déconcertante glaçait le concurrent, dont un signe de
tête valait à « l’Hôtel » le chèque d’un Vanderbilt! Peu à peu, tandis
qu’on lui apportait les états précieux et uniques qu’il venait soupeser
et admirer, Eugène Dutuit parlait. Non qu’il se livrât peu ni prou;
d’abord il était de Normandie, bien que né à Marseille, et puis il était
partout en voyage; il n’était fixé nulle part, et il lui en restait la
réserve des gens hors de chez eux. Toutefois, il avouait volontiers
qu’une de ses ambitions serait d’avoir amassé tant de pièces rares,
connues et classées, qu’une vente de lui après sa mort stupéfiât le
monde. Cette vente eût été spécialisée dans l’estampe naturellement,
et si Didot avait « fait » 167 000 francs de ses Rembrandt, Dutuit eût
espéré le million. Au fond, ceci n’était qu’une boutade, car il sou-
riait en disant cela, et, comme pour démentir lui-même ce qu’il avait
 
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