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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
J’ignore si ce fut parmi les étrangers ou les nationaux, mais, très certainement,
la vue des peintures rassemblées à l’exposition de Bruges fit naître la pensée,
bien naturelle, que les trésors d’art appartenant à la ville méritaient d’être mis
en relief plus dignement qu’ils ne l’avaient été jusqu’alors, qu’en un mot l'expo-
sition devait avoir pour épilogue la construction d’un musée. Ta complète réus-
site de l’exposition donnait à l’idée la valeur d’un mouvement populaire, d’autant
qu’elle avait pour organe l’homme dont les persévérants efforts avaient été cou-
ronnés d’un si éclatant succès, le baron H. Kervyn de Lettenhove.
Si déjà l’on avait applaudi au discours de clôture de l’exposition, prononcé le
o octobre 1902, l’on accueillit avec une faveur non moindre ses Réflexions sur la
nécessité et l’utilité d’une Société des amis du musée de Bruges. L’auteur fait ressortir
dans cet éloquent plaidoyer combien grandement il importe à une ville comme
Bruges de posséder un musée adéquat à la valeur de son patrimoine artistique.
Car, si Bruges a un musée, ce musée se dérobe, en quelque sorte, à l’attention et
le public en ignore à ce point l’existence, qu’à peine, en 1899, a-t-il reçu 1 575 visi-
teurs, alors que l’hôpital Saint-Jean en attire, bon an mal an, le décuple.
Quand l’Académie, dont il est une dépendance, occupait l’ancienne Loge des
Bourgeois, reconstruite depuis peu, l’étage supérieur servait de musée. On y
avait réuni environ cent cinquante peintures, dont le catalogue, rédigé par
M. James Weale en 1861, est resté une source infiniment précieuse pour l’histoire
de l’école de Bruges. Seulement, la vente de ce catalogue est interdite au musée.
Pourquoi? Trop exigu, mais non trop mal éclairé, ce local offrait le grave incon-
vénient d’être, d’une manière permanente, menacé de devenir la proie des flammes,
chose arrivée déjà en 1755. Le rez-de-chaussée était affecté aux classes de l’Aca-
démie des beaux-arts, et là, chaque soir d’hiver, s’allumaient des poêles et des
quinquets. Une étincelle pouvait suffire à la destruction d’un ensemble de richesses
dont la disparition eût été pour l’art un irréparable désastre. 11 y a de longues
années de cela, l’auteur de ces lignes se permit, dans une publication officielle,
de signaler ce danger.
Sans qu’il se llatte que son cri d’alarme y ait été pour quelque chose, toujours
est-il que la collection finit par être transférée dans un autre local, une chapelle
désaffectée, enfermée dans un enclos de la rue Sainte-Catherine et contiguë à
l’école industrielle. Sans contestation possible, ce local est aussi parfaitement
indigne des œuvres qu’il abrite que de la ville qui les détient. A proprement
parler, c’est plutôt un refuge. Il eût été par trop bizarre, en effet, que le hasard
eût approprié à sa destination fortuite une construction dont, seul, le besoin
des circonstances avait fait un musée, que ni son éclairage, ni sa disposition, ni
ses proportions même, n’y adaptaient. C’est à ce point manifeste, qu'une notable
partie de la collection n’y put trouver place et se trouve remisée ailleurs, au
grave inconvénient des études.
Bruges a une école nullement insignifiante, à laquelle se rattachent des artistes
dont le nom n’est point tombé totalement dans l’oubli, par exemple Suvée qui fut
directeur de l’École de Rome. Il semblai t donc évident que le musée de Bruges
ne pouvait être que temporaire, que son remplacement était parmi les desi-
derata d’une administration soucieuse de maintenir devant le monde la splen-
deur d’une cité qui ne vit plus, en somme, que des souvenirs de sa splendeur
évanouie.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
J’ignore si ce fut parmi les étrangers ou les nationaux, mais, très certainement,
la vue des peintures rassemblées à l’exposition de Bruges fit naître la pensée,
bien naturelle, que les trésors d’art appartenant à la ville méritaient d’être mis
en relief plus dignement qu’ils ne l’avaient été jusqu’alors, qu’en un mot l'expo-
sition devait avoir pour épilogue la construction d’un musée. Ta complète réus-
site de l’exposition donnait à l’idée la valeur d’un mouvement populaire, d’autant
qu’elle avait pour organe l’homme dont les persévérants efforts avaient été cou-
ronnés d’un si éclatant succès, le baron H. Kervyn de Lettenhove.
Si déjà l’on avait applaudi au discours de clôture de l’exposition, prononcé le
o octobre 1902, l’on accueillit avec une faveur non moindre ses Réflexions sur la
nécessité et l’utilité d’une Société des amis du musée de Bruges. L’auteur fait ressortir
dans cet éloquent plaidoyer combien grandement il importe à une ville comme
Bruges de posséder un musée adéquat à la valeur de son patrimoine artistique.
Car, si Bruges a un musée, ce musée se dérobe, en quelque sorte, à l’attention et
le public en ignore à ce point l’existence, qu’à peine, en 1899, a-t-il reçu 1 575 visi-
teurs, alors que l’hôpital Saint-Jean en attire, bon an mal an, le décuple.
Quand l’Académie, dont il est une dépendance, occupait l’ancienne Loge des
Bourgeois, reconstruite depuis peu, l’étage supérieur servait de musée. On y
avait réuni environ cent cinquante peintures, dont le catalogue, rédigé par
M. James Weale en 1861, est resté une source infiniment précieuse pour l’histoire
de l’école de Bruges. Seulement, la vente de ce catalogue est interdite au musée.
Pourquoi? Trop exigu, mais non trop mal éclairé, ce local offrait le grave incon-
vénient d’être, d’une manière permanente, menacé de devenir la proie des flammes,
chose arrivée déjà en 1755. Le rez-de-chaussée était affecté aux classes de l’Aca-
démie des beaux-arts, et là, chaque soir d’hiver, s’allumaient des poêles et des
quinquets. Une étincelle pouvait suffire à la destruction d’un ensemble de richesses
dont la disparition eût été pour l’art un irréparable désastre. 11 y a de longues
années de cela, l’auteur de ces lignes se permit, dans une publication officielle,
de signaler ce danger.
Sans qu’il se llatte que son cri d’alarme y ait été pour quelque chose, toujours
est-il que la collection finit par être transférée dans un autre local, une chapelle
désaffectée, enfermée dans un enclos de la rue Sainte-Catherine et contiguë à
l’école industrielle. Sans contestation possible, ce local est aussi parfaitement
indigne des œuvres qu’il abrite que de la ville qui les détient. A proprement
parler, c’est plutôt un refuge. Il eût été par trop bizarre, en effet, que le hasard
eût approprié à sa destination fortuite une construction dont, seul, le besoin
des circonstances avait fait un musée, que ni son éclairage, ni sa disposition, ni
ses proportions même, n’y adaptaient. C’est à ce point manifeste, qu'une notable
partie de la collection n’y put trouver place et se trouve remisée ailleurs, au
grave inconvénient des études.
Bruges a une école nullement insignifiante, à laquelle se rattachent des artistes
dont le nom n’est point tombé totalement dans l’oubli, par exemple Suvée qui fut
directeur de l’École de Rome. Il semblai t donc évident que le musée de Bruges
ne pouvait être que temporaire, que son remplacement était parmi les desi-
derata d’une administration soucieuse de maintenir devant le monde la splen-
deur d’une cité qui ne vit plus, en somme, que des souvenirs de sa splendeur
évanouie.