476
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ses souvenirs. Il enveloppa d’ombre son dessin de la « Tour des
Souris », solitaire et menaçante, au milieu du large Rhin; son
lavis, zébré de larges hachures et frotté d’encre avec le doigt, est
daté de 1840; il a donc été fait à Paris. Les lettres d’Allemagne,
revues à portée d’une bibliothèque, formèrent le livre du Rhin, où
l’auteur, comme il le dit lui-même, « donne carrière à tous ses
instincts d’antiquaire ». La correspondance du poète avec sa femme
se présente au public toute gonflée de soixante-deux dates et de
quatre cent quatre-vingts noms propres, choisis parmi les plus rébar-
batifs. Hugo ne se contenta point de décrire les châteaux du Rhin
et de narrer les légendes qui avaient fleuri dans leur manteau de
lierre; il voulut ressusciter leurs habitants redoutables. Des burgs
il fit sortir les Burgraves. Ce mélodrame héroïque eut, en 1843, une
chute retentissante, dont la date fait époque dans la vie du poète et
de l’artiste.
Un drame, pour Victor Hugo, c’était une symphonie de mots,
une thèse et un décor. La physionomie vivante des personnages dont
il faisait les porte-voix de son lyrisme l’intéressait moins que leurs
costumes, dessinés d’ordinaire par Louis Boulanger1, et que les appar-
tements historiques danss lequels ils déclamaient et mouraient. Une
fois, tout au moins — c’était pendant la répétition générale de
Lucrèce Borgici, — il mit d’autorité la main à la large brosse du
peintre de décors. Le seul dessin de Victor Hugo qui représente une
scène d’un de ses drames n’est que la maquette ou le souvenir d’un
décor pour le dernier acte du drame Le Roi s'amuse.
La chute des Burgraves brisa la carrière du dramaturge. Victor
Hugo se jura de ne plus rien donner à la scène, et se tint parole.
Mais il fallait trouver un aliment nouveau à l’activité qu’il avait
déployée, pendant quinze années, dans la vie ardente de l’écrivain
de théâtre. Le drame, mûri et grandi dans le silence, devint épopée :
Magnus entra dans l’armure vide, et s’appela Eviradnus. Quant au
décor, qui ne pouvait plus être dressé sur les planches, il se dé-
ploya dans des dessins grands et vigoureux comme des tableaux de
maître.
Deux ou trois de ces dessins forment un groupe solennel, au
milieu de la carrière de Victor Hugo. C’est d’abord le Barg à la
Croix, l’œuvre la plus imposante que M. Meurice ait donnée au
nouveau musée. Victor Hugo composa un cadre pour ce dessin en
1. Les aquarelles de costumes pour Lucrèce Borgia sont de Gavarni; on les
verra dans la Maison de Victor Hugo.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
ses souvenirs. Il enveloppa d’ombre son dessin de la « Tour des
Souris », solitaire et menaçante, au milieu du large Rhin; son
lavis, zébré de larges hachures et frotté d’encre avec le doigt, est
daté de 1840; il a donc été fait à Paris. Les lettres d’Allemagne,
revues à portée d’une bibliothèque, formèrent le livre du Rhin, où
l’auteur, comme il le dit lui-même, « donne carrière à tous ses
instincts d’antiquaire ». La correspondance du poète avec sa femme
se présente au public toute gonflée de soixante-deux dates et de
quatre cent quatre-vingts noms propres, choisis parmi les plus rébar-
batifs. Hugo ne se contenta point de décrire les châteaux du Rhin
et de narrer les légendes qui avaient fleuri dans leur manteau de
lierre; il voulut ressusciter leurs habitants redoutables. Des burgs
il fit sortir les Burgraves. Ce mélodrame héroïque eut, en 1843, une
chute retentissante, dont la date fait époque dans la vie du poète et
de l’artiste.
Un drame, pour Victor Hugo, c’était une symphonie de mots,
une thèse et un décor. La physionomie vivante des personnages dont
il faisait les porte-voix de son lyrisme l’intéressait moins que leurs
costumes, dessinés d’ordinaire par Louis Boulanger1, et que les appar-
tements historiques danss lequels ils déclamaient et mouraient. Une
fois, tout au moins — c’était pendant la répétition générale de
Lucrèce Borgici, — il mit d’autorité la main à la large brosse du
peintre de décors. Le seul dessin de Victor Hugo qui représente une
scène d’un de ses drames n’est que la maquette ou le souvenir d’un
décor pour le dernier acte du drame Le Roi s'amuse.
La chute des Burgraves brisa la carrière du dramaturge. Victor
Hugo se jura de ne plus rien donner à la scène, et se tint parole.
Mais il fallait trouver un aliment nouveau à l’activité qu’il avait
déployée, pendant quinze années, dans la vie ardente de l’écrivain
de théâtre. Le drame, mûri et grandi dans le silence, devint épopée :
Magnus entra dans l’armure vide, et s’appela Eviradnus. Quant au
décor, qui ne pouvait plus être dressé sur les planches, il se dé-
ploya dans des dessins grands et vigoureux comme des tableaux de
maître.
Deux ou trois de ces dessins forment un groupe solennel, au
milieu de la carrière de Victor Hugo. C’est d’abord le Barg à la
Croix, l’œuvre la plus imposante que M. Meurice ait donnée au
nouveau musée. Victor Hugo composa un cadre pour ce dessin en
1. Les aquarelles de costumes pour Lucrèce Borgia sont de Gavarni; on les
verra dans la Maison de Victor Hugo.