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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 29.1903

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Nr. 6
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Bertaux, Émile: Victor Hugo, [1]: artiste
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https://doi.org/10.11588/diglit.24811#0531

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488

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

Victor Hugo poète resta romantique jusqu'à l’âge d’un ancêtre,
même après avoir été le père des Parnassiens; Victor Hugo dessi-
nateur resta, à côté des peintres de Fontainebleau, des réalistes et
des impressionnistes, un paysagiste fantastique. Les croquis et les
lavis qu’il a exécutés en une heure ou en plusieurs mois, depuis 1840
jusqu’à 1875, sans oublier l’eau-forte de 1868, appartiennent, par la
conception des sujets et la violence des effets, à la génération de
1830. Mais, replacé au milieu des graveurs et des vignettistes qui ont
illustré sa Notre-Dame, Victor Hugo est le plus grand. Ses taches
d’encre et de café restent les chefs-d’œuvre de la gravure roman-
tique1. Le Dur g à la Croix, la grande Vue de Paris contiennent,
dans leurs profondeurs sombres, l’ébauche d’un Turner de la nuit.

Ce qui élève de telles œuvres au-dessus de bien des estampes de
graveur et de bien des toiles de peintre, c’est la puissance de la
création poétique dont elles sont l’une des expressions. Le mystère
qui enveloppe ces ruines éventrées, ces troncs tordus, ces flots sou-
levés, le voyant l’adorait dans la nature. Il prêtait aux choses la vie
qu’il n’a pas su donner aux hommes ; il écoutait leur voix, plus mysté-
rieuse et plus savante que celle des bouches humaines. Pour lui, les
œuvres de l’humanité deviennent plus grandes lorsque, travaillées
par le temps, « ce grand sculpteur », elles participent à la vie muette
des arbres et des rochers. 11 veut voir les monuments à l’heure où
les vieux édifices abandonnés ne sont plus des façades, mais des
« visages », et les bois et les prés aux moments où le paysage est
« vaguement dessiné par des lueurs et par des ténèbres ». A tout ce qui
ne vit point ou à tout ce qui est mort Victor Hugo demande, par
ses dessins comme par ses vers, le secret que les savants ignorent :

Et je disais aux flots : « Flots qui grondez toujours! »

Je disais aux donjons croulant avec leurs tours :

« Tours où vit le passé, donjons que les années
« Mordent incessamment de leurs dents acharnées! »

Je disais à la nuit : « Nuit pleine de soleils! »

Je disais aux torrents, au fleuve, aux fruits vermeils,

A ces formes sans nom que la mort décompose,

Aux monts, aux champs, aux bois : « Savez-vous quelque chose? »

l’habita; l’une représente l’épisode de la Cour des Miracles dans Notre-Dame de
Paris; elle est datée de 1835; l’autre met en scène, dans des lueurs d’orage, la
Ballade de Lënore.

1. Parmi les gravures romantiques* celles qui ont la plus étroite ressemblance
avec les grands dessins de Victor Hugo et la gravure de 1868 sont des vernis
mous de Paul Iluet, supérieurs aux lavis du poète et à son unique eau-forte par
la technique, qui est digne de toute admiration, mais non, en vérité, par la force
dramatique des ciels tourmentés et des grandes ombres.
 
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