LA VUE DE SIN-LE-NOBLE, PRÈS DOUAI, PAR COROT 491
coïncidera avec la kermesse locale, la fameuse fête douaisienne de
« Gayant », dont les réjouissances égaieront sa naïve bonhomie.
Ah ! comme il rit de bon cœur! Mais il rit d’autant plus fort qu’il a
bien travaillé.
Il avait choisi un motif aux environs de la ville, dans le village
de Sin-le-Noble, Sin l’ nob\ comme on dit là-bas. Trois ou quatre
chaumières à toit rouge au bord d’une route gazonnée dont les
séparent une maigre rangée d’arbres et, au-dessus, quelques nuages
mariant leur floconnement léger à l’azur de la voûte : voilà pour Corot
la matière d’un chef-d’œuvre. Ce paysage banal est un poème de
lumière et d’air. Tous les matins pendant cinq jours, comme un
honnête ouvrier, le peintre reprenait sa tâche. L’incomparable magi-
cien, évocateur des scènes idylliques, laissait en ces heures-là son
imagination au logis. Fidèle à la rigoureuse méthode de ses jeunes
années, il se contentait de laisser parler la nature, satisfait du rôle
d’interprète consciencieux et véridique. Le tableau fut entièrement
achevé sur place.
Toutefois, il n’était pas tout à fait tel que nous le voyons aujour-
d’hui. Lorsqu’il était plus jeune et moins habile, Corot se gardait de
donner à l’atelier le moindre coup de pinceau sur les études qu’il
rapportait de ses campagnes. Mais, avec l’âge, il transigea parfois
avec ce principe. Souvent, c’était par complaisance pour un client
qui se mêlait de donner son avis et de guider la main de l’artiste.
Toujours est-il que le joli paysage douaisien fut remis un instant sur
le chevalet à Paris et que l’artiste jeta alors sur le premier plan,
pour le meubler dans sa partie gauche, cette grande branche cassée
qui lui était familière et qu’on retrouve dans plus d’une de ses œuvres.
Entre temps, les amis de Douai avaient fêté le chef-d’œuvre.
Corot, cédant aux instances de son hôte, avait promis de le réserver
à M. Félix Robaut, son père; puis, comme déjà à cette époque le fer-
vent ami du maître assumait la tâche de devenir son historiographe,
une lentille photographique avait été braquée par une main amie
sur la toile encore fraîche. Le précieux cliché montre l’aspect de la
peinture avant les retouches faites après coup. C’est un document
très intéressant et éminemment suggestif. Sa place est marquée
dans le catalogue raisonné dont la préparation a coûté à M. Alfred
Robaut de longues années de travail et pour l’achèvement duquel il
a bien voulu accepter ma collaboration '.
1. Ce catalogue, en préparation chez l’éditeur Floury, comporte la reproduction
par le dessin ou la photographie d’environ 2 500 œuvres de Corot.
coïncidera avec la kermesse locale, la fameuse fête douaisienne de
« Gayant », dont les réjouissances égaieront sa naïve bonhomie.
Ah ! comme il rit de bon cœur! Mais il rit d’autant plus fort qu’il a
bien travaillé.
Il avait choisi un motif aux environs de la ville, dans le village
de Sin-le-Noble, Sin l’ nob\ comme on dit là-bas. Trois ou quatre
chaumières à toit rouge au bord d’une route gazonnée dont les
séparent une maigre rangée d’arbres et, au-dessus, quelques nuages
mariant leur floconnement léger à l’azur de la voûte : voilà pour Corot
la matière d’un chef-d’œuvre. Ce paysage banal est un poème de
lumière et d’air. Tous les matins pendant cinq jours, comme un
honnête ouvrier, le peintre reprenait sa tâche. L’incomparable magi-
cien, évocateur des scènes idylliques, laissait en ces heures-là son
imagination au logis. Fidèle à la rigoureuse méthode de ses jeunes
années, il se contentait de laisser parler la nature, satisfait du rôle
d’interprète consciencieux et véridique. Le tableau fut entièrement
achevé sur place.
Toutefois, il n’était pas tout à fait tel que nous le voyons aujour-
d’hui. Lorsqu’il était plus jeune et moins habile, Corot se gardait de
donner à l’atelier le moindre coup de pinceau sur les études qu’il
rapportait de ses campagnes. Mais, avec l’âge, il transigea parfois
avec ce principe. Souvent, c’était par complaisance pour un client
qui se mêlait de donner son avis et de guider la main de l’artiste.
Toujours est-il que le joli paysage douaisien fut remis un instant sur
le chevalet à Paris et que l’artiste jeta alors sur le premier plan,
pour le meubler dans sa partie gauche, cette grande branche cassée
qui lui était familière et qu’on retrouve dans plus d’une de ses œuvres.
Entre temps, les amis de Douai avaient fêté le chef-d’œuvre.
Corot, cédant aux instances de son hôte, avait promis de le réserver
à M. Félix Robaut, son père; puis, comme déjà à cette époque le fer-
vent ami du maître assumait la tâche de devenir son historiographe,
une lentille photographique avait été braquée par une main amie
sur la toile encore fraîche. Le précieux cliché montre l’aspect de la
peinture avant les retouches faites après coup. C’est un document
très intéressant et éminemment suggestif. Sa place est marquée
dans le catalogue raisonné dont la préparation a coûté à M. Alfred
Robaut de longues années de travail et pour l’achèvement duquel il
a bien voulu accepter ma collaboration '.
1. Ce catalogue, en préparation chez l’éditeur Floury, comporte la reproduction
par le dessin ou la photographie d’environ 2 500 œuvres de Corot.