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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
de peinture plus populaire que les Sabines ni qui ait mieux appelé la
parodie. L’auteur s’étant cru autorisé d’un usage établi à Londres à
faire de sa peinture l’objet d’une exposition payante, on s’attaqua
d’abord à sa personne trop intéressée. Cette exposition, déjà visée
dans la caricature annexée à la Revue du Salon de Fan X dont nous
avons eu à faire mention, commença même par inspirer la mise en
scène d’un vaudeville en un acte, de Jouy, Longchamp et Dieulafoy,
portant le nom du Tableau des Sabines, et dont le succès fut assez vif
au théâtre de l’Opéra-Comique. Gavaudan, comme on en peut juger
par son portrait qui sert de frontispice aux Tableaux du Muséum en
vaudevilles‘, dessina là une figure typique de Parisien fashionable de
l’époque. Au reste, la comédie répondait bien à son titre, car toute
l'intrigue y tourne autour de la fameuse peinture. Comme il est
habituel, c’est l’histoire de deux jeunes gens briguant la main de
la même jeune fille. Le luxe de nudités offert dans le tableau sert
de prétexte pour retenir la demoiselle dans le vestibule de l’exposi-
tion, devant le guichet de la buraliste, tandis que la mère entre
examiner l’œuvre dont il est parlé dans tout Paris. La partie entre
les deux adversaires se joue durant cette absence. L’un est un Pari-
sien ayant à son service un valet avisé qui imagine de décrire à
la jeune fille curieuse le sujet du tableau en joignant les actes à ses
paroles, c’est-à-dire en l’enlevant elle-même pour simuler le rapt
des Sabines, devant les yeux ébahis de l’autre prétendant, provincial
naïf amené là par les circonstances à tenir le personnage du Sabin.
La pièce se terminait par une sorte de tableau vivant qui parodiait
l’œuvre de David et dans lequel les deux jeunes gens, l’un brandis-
sant sa canne comme un javelot, l’autre appuyé d’une main sur son
parapluie comme sur une lance et se protégeant de son chapeau en
guise de bouclier, répétaient les figures du Romulus et du Tatius.
La garde intervenant, la jeune fille au milieu les bras étendus, la
mère prosternée comme l’Hersilie, les enfants de la buraliste, ache-
vaient la ressemblance.
L’attitude du Tatius sera longtemps d’adoption courante chez les
artistes se livrant entre eux à un jeu de plaisantes provocations. Une
caricature, dont on ignore au juste le sens, montre cette attitude
opposée par David lui-même à une figure gourmée d’aristocrate
qui vient de s’introduire et de se camper dans son atelier1 2; on a cru
1. « Ouvrage dédié à M. Frivole par le c. Guipava » (an IX).
2. Cette caricature illustre l’étude déjà citée de Th. Arnauldet.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
de peinture plus populaire que les Sabines ni qui ait mieux appelé la
parodie. L’auteur s’étant cru autorisé d’un usage établi à Londres à
faire de sa peinture l’objet d’une exposition payante, on s’attaqua
d’abord à sa personne trop intéressée. Cette exposition, déjà visée
dans la caricature annexée à la Revue du Salon de Fan X dont nous
avons eu à faire mention, commença même par inspirer la mise en
scène d’un vaudeville en un acte, de Jouy, Longchamp et Dieulafoy,
portant le nom du Tableau des Sabines, et dont le succès fut assez vif
au théâtre de l’Opéra-Comique. Gavaudan, comme on en peut juger
par son portrait qui sert de frontispice aux Tableaux du Muséum en
vaudevilles‘, dessina là une figure typique de Parisien fashionable de
l’époque. Au reste, la comédie répondait bien à son titre, car toute
l'intrigue y tourne autour de la fameuse peinture. Comme il est
habituel, c’est l’histoire de deux jeunes gens briguant la main de
la même jeune fille. Le luxe de nudités offert dans le tableau sert
de prétexte pour retenir la demoiselle dans le vestibule de l’exposi-
tion, devant le guichet de la buraliste, tandis que la mère entre
examiner l’œuvre dont il est parlé dans tout Paris. La partie entre
les deux adversaires se joue durant cette absence. L’un est un Pari-
sien ayant à son service un valet avisé qui imagine de décrire à
la jeune fille curieuse le sujet du tableau en joignant les actes à ses
paroles, c’est-à-dire en l’enlevant elle-même pour simuler le rapt
des Sabines, devant les yeux ébahis de l’autre prétendant, provincial
naïf amené là par les circonstances à tenir le personnage du Sabin.
La pièce se terminait par une sorte de tableau vivant qui parodiait
l’œuvre de David et dans lequel les deux jeunes gens, l’un brandis-
sant sa canne comme un javelot, l’autre appuyé d’une main sur son
parapluie comme sur une lance et se protégeant de son chapeau en
guise de bouclier, répétaient les figures du Romulus et du Tatius.
La garde intervenant, la jeune fille au milieu les bras étendus, la
mère prosternée comme l’Hersilie, les enfants de la buraliste, ache-
vaient la ressemblance.
L’attitude du Tatius sera longtemps d’adoption courante chez les
artistes se livrant entre eux à un jeu de plaisantes provocations. Une
caricature, dont on ignore au juste le sens, montre cette attitude
opposée par David lui-même à une figure gourmée d’aristocrate
qui vient de s’introduire et de se camper dans son atelier1 2; on a cru
1. « Ouvrage dédié à M. Frivole par le c. Guipava » (an IX).
2. Cette caricature illustre l’étude déjà citée de Th. Arnauldet.