LI LONG-MIEN
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Mahâkâla tibétain. Devant lui, tourmentés par des bourreaux
émaciés, se prosternent les damnés, véritables loques sanglantes,
aux gestes d’épouvante et de supplication.
Li Long-mien a-t-il pu édulcorer à un tel point l’âpre vision de
celui qu’il considérait comme son maître? M. Martin exprime le
souhait que son recueil ne soit pas reconnu comme un original, et
cela dans l’intérêt même de la peinture chinoise, dont le prestige, de
ce fait, se trouverait notablement accru. Nous sommes persuadé qu’il
s’agit en effet d’une œuvre de seconde main. Encre et pinceaux sont
de qualité inférieure. Souvent le poignet est hésitant et nous offre
des exemples fréquents de ce coup de pinceau « tremblé » que la
critique chinoise considère conme un grave défaut1. Le dessin des
architectures manque de correction, et parfois le trait s’arrête au
milieu d’une ligne, faute d’encre. Pas plus qu’un bon chanteur ne
s’interrompt dans une note tenue, pour reprendre haleine, le
peintre chinois, lorsqu’il est passé maître, n’abandonne sa ligne au
cours d’un tracé.
Si nous ne sommes pas en présence de documents originaux, est-il
du moins possible de rattacher ces dessins à l’œuvre de Li Long-mien ?
Le rouleau du Musée Guimet, ainsi que la peinture appartenant au
professeur Bone, offrent certaines analogies avec l’album de
M. Martin. Mais ces analogies n’imposent pas la personnalité de
l’artiste2. Elles peuvent ne résulter que d’une communauté de style,
d’époque et de sujet. Quoique taoïste de conception, le recueil
Martin appartient, par de nombreux détails à l’art bouddhique.
Et c’est à cause, peut-être, de ces emprunts au bouddhisme, que
quelque bel esprit du xvme siècle a cru bien faire en apposant le
cachet vénéré de Wou Tao-tseu sur chacune de ses feuilles.
Nous devons à M. Martin un remarquable ouvrage sur les tapis
d’Orient, et une publication non moins importante sur les minia-
tures persanes. Dans la courte analyse qu’il a faite de son recueil
de dessins, il annonce l’intention d’écrire un livre sur l’art chinois.
Ce travail lui donnera l’occasion d’élargir sa compétence en matière
d’esthétique extrême-orientale.
1. Cf. Pétrucci, Le « Kie tseu yuan houa tchouan », p. 32.11 s’agirait, dans le cas
présent, du deuxième des « Trois defauts » ; consulter à ce sujet l’excellent com-
mentaire du traducteur.
2. Le fait même que les dessins en question sont tracés sur du papier con-
stitue un argument de plus contre la thèse de M. Martin. Li Long-mien ne copiait
que sur de la soie; quant au papier, il l’employait volontiers pour fixer ses
visions de peintre avant leur réalisation définitive.
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Mahâkâla tibétain. Devant lui, tourmentés par des bourreaux
émaciés, se prosternent les damnés, véritables loques sanglantes,
aux gestes d’épouvante et de supplication.
Li Long-mien a-t-il pu édulcorer à un tel point l’âpre vision de
celui qu’il considérait comme son maître? M. Martin exprime le
souhait que son recueil ne soit pas reconnu comme un original, et
cela dans l’intérêt même de la peinture chinoise, dont le prestige, de
ce fait, se trouverait notablement accru. Nous sommes persuadé qu’il
s’agit en effet d’une œuvre de seconde main. Encre et pinceaux sont
de qualité inférieure. Souvent le poignet est hésitant et nous offre
des exemples fréquents de ce coup de pinceau « tremblé » que la
critique chinoise considère conme un grave défaut1. Le dessin des
architectures manque de correction, et parfois le trait s’arrête au
milieu d’une ligne, faute d’encre. Pas plus qu’un bon chanteur ne
s’interrompt dans une note tenue, pour reprendre haleine, le
peintre chinois, lorsqu’il est passé maître, n’abandonne sa ligne au
cours d’un tracé.
Si nous ne sommes pas en présence de documents originaux, est-il
du moins possible de rattacher ces dessins à l’œuvre de Li Long-mien ?
Le rouleau du Musée Guimet, ainsi que la peinture appartenant au
professeur Bone, offrent certaines analogies avec l’album de
M. Martin. Mais ces analogies n’imposent pas la personnalité de
l’artiste2. Elles peuvent ne résulter que d’une communauté de style,
d’époque et de sujet. Quoique taoïste de conception, le recueil
Martin appartient, par de nombreux détails à l’art bouddhique.
Et c’est à cause, peut-être, de ces emprunts au bouddhisme, que
quelque bel esprit du xvme siècle a cru bien faire en apposant le
cachet vénéré de Wou Tao-tseu sur chacune de ses feuilles.
Nous devons à M. Martin un remarquable ouvrage sur les tapis
d’Orient, et une publication non moins importante sur les minia-
tures persanes. Dans la courte analyse qu’il a faite de son recueil
de dessins, il annonce l’intention d’écrire un livre sur l’art chinois.
Ce travail lui donnera l’occasion d’élargir sa compétence en matière
d’esthétique extrême-orientale.
1. Cf. Pétrucci, Le « Kie tseu yuan houa tchouan », p. 32.11 s’agirait, dans le cas
présent, du deuxième des « Trois defauts » ; consulter à ce sujet l’excellent com-
mentaire du traducteur.
2. Le fait même que les dessins en question sont tracés sur du papier con-
stitue un argument de plus contre la thèse de M. Martin. Li Long-mien ne copiait
que sur de la soie; quant au papier, il l’employait volontiers pour fixer ses
visions de peintre avant leur réalisation définitive.