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» la sculpture, au contraire, porte l’image
» de l’éternité. Plus une fleur est brillante,
» moins elle dure. La sculpture est la tra-
» gédie des arts. J’ai toujours pensé à la
» sculpture en voyant Hamlet sur la scène.
i> L’homme qui lutte seul contre le malheur
» est héroïque. La sculpture est une reli-
» gion. Elle ne doit pas se prêter aux ca-
» prices de la mode. Elle doit être grave,
» chaste. Quand elle se prête à la représen-
» tation des scènes familières, il me sem-
» ble voir danser un prêtre. Les statuaires
» sont les ministres de la morale ; les poè-
» tes, les grands-prêtres de la nature... »
-Et plus loin : « Michel-Ange n’avait jamais
» assez de marbre pour faire les pieds de
» ses statues. On lui aurait donné le monde
» à tailler, son génie l’eut encore dépassé. »

fl raille quelquefois, dit Halevy, mais
sans amertume : « Un peintre, me montrant
» les muscles vigoureux de son bras, me
» disait : fl y a encore des tableaux lâ-de-
» dans! Raphaël aurait montré son cœur. »

Nous l’avons vu rêvant des œuvres pa-
triotiques ; il suivait en cela les exigences
de son siècle, pour lequel il ne voulait pas
que la sculpture demeurât sans portée ;
mais,si le philosophe raisonnait de la sorte,
l’artiste en souffrait. « Quel malheur ! s’é-
» crie-t-il, d’être obligé de passer sa vie
» à tailler des habits et des bottes, après
» avoir étudié le beau et s’en être impré-
» gné le plus possible, (i) » — On le voit,
s’il a choisi si souvent le costume moderne
pour en couvrir ses héros, ce n’est pas qu’il
n’eût préféré de beaucoup pour lui-même
la grandeur et la simplicité de l’art anti-
que ; il nous en donne la preuve dans les
statues du général Foy, de Bonchamps, du
jeune Barra, où, à l’aide de fictions heu-
reuses, il parvient à s’affranchir en partie
des étroites entraves de l’art moderne.

La bonhomie charmante du vieillard lui
fut familière dès l’âge d’homme et ne le
quitta jamais. Mistress Opie, littérateur dis-
tingué de la Grande-Bretagne, disait de lui
en 1854, dans un recueil de son pays :
« David ne sait pas qu’il est un grand hom-
me. (2) » Cette parole était encore vraie
vingt ans plus tard.

Mais reprenons le cours des événements.
Nous sommes en 1848. Pour la deuxième
fois de sa vie, David accueille avec une joie
profonde la situation politique qui s’annon-
ce. Nommé par Lamartine directeur géné-
ral des musées de la République et maire

(1) Cité d’après Halevy. — Notice sur la vie
■et les œuvres de David d’Angers (185:5).

(è) Cité d’après Maillard. — Etude sur la vie
et les ouvrages de David d’Angers (1838).

de l’arrondissement de Paris qu’il habitait,
David n’accepta que la seconde partie de
ces fonctions, parce que l’autre était rétri-
buée, ce qui lui permit de dire plus tard :
« Je n’ai coûté à la République qu’une
écharpe. » — Député de Maine-et-Loire à
l’Assemblée constituante, David, malgré
l’éclat de son nom, ne fut pas appelé à
l’Assemblée législative. Il n’en usa pas
moins de son crédit pendant le peu de
temps qu’il remplit les fonctions de maire,
pour aider beaucoup d’artistes et secourir
de nombreuses infortunes, Il défendit en-
core, nous dit Halevy, l’Académie, l’École
des Beaux-Arts et l’Ecole de Rome contre
les attaques de quelques esprits aventureux.

Contraint de quitter la France en Décem-
bre 1851, David emportait avec lui d’amè-
res déceptions, de cruels chagrins, que le
travail seul eût pu dompter : les voyages
ne le calmèrent point. Il parcourut d’abord
la Belgique, puis, accompagné de sa fille,
il s’en alla visiter la terre d’Antigone. Hé-
las ! la Grèce n’est plus ce que les poètes
nous l’ont faite ! Athènes, qui n’a pas mê-
me de débris à offrir au voyageur, lui révéla
sa misère ; xMissolonghi lui réservait une
autre douleur, le spectacle de la misère mo-
rale : sa Jeune Grecque au tombeau de Marco
Bolzaris, son enfant de prédilection, que
les Grecs de Périclès eussent placée dans
l’Acropole, avait été mutilée par ce peuple
sans mémoire. Il revint ; mais on raconte
que ses amis, sa femme, son Ois, accourus
à Nice au devant de lui, ne reconnurent pas
dans un voyageur épuisé, dans un vieillard
courbé par la maladie, celui qu’ils venaient
embrasser.

Béranger lui lit délivrer un passe-port,
et David put revoir son atelier. C’en était
fait, la mort l’avait touché ; il alla deman-
der aux sources des Pyrénées une santé qui
11e lui fut pas rendue, et au mois d’Octobre
1855, il faisait une visite suprême à sa ville
natale.

Pendant son séjour à Angers, ses amis
s’empressèrent autour de lui pour dissiper
ses tristes pressentiments. Assez fort pour
entreprendie de longues promenades, il
voulut tout revoir dans cette ville qu’il avait
tant aimée. 11 applaudit à l’emplacement
de la statue du roi René, de sainte Cécité ;
fut profondément touché du soin respec-
tueux que l’on apporte à l’entretien de sa
Galerie ; puis il exprima le désir de saluer
une dernière fois son Bonchamps... Ici je
laisse parler, un témoin :

« David avait voulu revoir Saint-Florent
et le chef d’œuvre qu’il y laissa en 1825 et
qu’il n’avait pas visité depuis. « Saint-Flo- I

» renl, disait-il, me rappelle toujours l’abbé
» Gourdonprononçant,du haut duplusbeau
» site de l’An jou, l’éloge du premier des Ven-
» déens. G’était l’éloquence même. Je ne
» suis pas non plus mécontent de mon 011-
» vrage, ajoutait-il avec son tin sourire ; je
» crois, en faisant cette statue, n’avoir pas
» trop mal réussi ; mais ce n’est pas éton-
» liant : mon modèle était un héros comme
» je les aime, aussi généreux que brave ;
» j’étais jeune, notre Béclard m’aidait, et,
» vous le savez, mon père était parmi les
» prisonniers sauvés par Bonchamps. Après
f> avoir tâché de lui payer ma dette,j’ai vou-
b lu lui faire mesadieuxavant de mourir... »

» On se hâtait de le distraire, car on ne
prévoyait pas que ses paroles se vérifieraient
si vite.

» Deux mois après, celte noble intelli-
gence, qui avait illuminé tant de sublimes
inspirations, s’était éteinte (6 Janvier 1856).
La France avait perdu le premier de ses
statuaires, et notre ville le plus généreux
de ses bienfaiteurs.

» Mais tout 11e périt pas avec notre grand
artiste ; les œuvres qu’il nous laisse sont
immortelles. Il n’est pas un étranger, un
voyageur qui 11e soit frappé d’émerveil-
lement à l’aspect de la galerie qui porte le
nom de son donateur. G’est une collection,
un Musée unique en Europe, répètent-ils
à l’envie. Comment un seul homme a-t-il
pu tant produire !... David seul le trouvait
incomplet.

« Je voudrais bien vous envoyer, nous
» disait-ii à son dernier passage, le modèle
» du Bonchamps : il est au Musée de Rouen;
» j’ai fait le voyage exprès pour le récla-
» mer, mais 011 l’a mis â la place d’honneur
» avec tant d’obligeance, que je n’ai pas
» osé accomplir le but de mon expédition.
» J’ai craint de les affliger. Mais, ajoutait
» l’excellent homme, soyez tranquille, je
» vous dédommagerai; je commencepardon-
y> lier â Angers le modèle de la Jeune Grec-
» que au tombeau de Bolzaris, et je recher-
» cherai les médaillons de quelques célébrités
» contemporaines qui vous manquent. Je
» ne les ai plus, mais je sais où il y en a des
» exemplaires uniques. Je les rachèterai
» plutôt que de vous en savoir dépourvus.

« Quand j’aurai terminé la statue de
» Bichat et le monument d’Arago, disait-il
» encore, je ne travaillerai plus que pour
» l’Anjou. Je 11e veux pas me reposer avant
» de voir Dumnacus sur la roche de Mûrs,

» comme pour défier l’ombre des anciens
» Romains qui dorment au camp de César.

» Puis, je poserai sur notre vieux pont, en
» face l’un de l’autre, Robert-le-Fort, le dé-
 
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