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Le Journal d'Abou Naddara = Abū Naẓẓāra = The Man with the Glasses = garīdat abī naẓẓāra = The Journal of the Man with the Glasses = Journal Oriental Illustré — Paris, 1885

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LE MAHDI
Après le salut d’usage, ainsi parla Abou-Naddara à ses frères
d’Egypte :
Allah rendit ma voix limpide, mon discours éloquent et ma
parole persuasive pour faire connaître le Mahdi aux Français,
qui admirent les champions du patriotisme et de la liberté.
M C’est au Grand-Orient de France que j’ai parlé d’Ahmed-
Mohamed, que les Musulmans, que l’Anglais opprime, appellent le
Héros des héros, le Lion de la Vallée et le Vainqueur des batailles.
Le Mahdi, ai-je dit, vainqueur de l’élite des généraux an-
glais et de la fleur de l’état-major britannique, est tout simple-
ment un patriote, né à Dongola, d’une famille pauvre.
Dans sa ville natale existe une Université de thalebs (étudiants) ;
c’est là qu’il fit ses études.
Ses adversaires l'accusent d’avoir ete marchand d esclaves,
rien n’est plus faux. Il est Cheikh-Tharika (chef d’une confrérie
religieuse).
Je l’ai vu, il y a quelques années, chez un de mes collègues,
professeur à l’Ecole Polytechnique. Il traversait le Caire, se rendant
en pèlerinage à la Mecque.
A cette époque, il passait pour un modèle de piete et attirait
déjà l’attention de tous.
Quant à moi, j’ai trouvé en lui un littérateur arabe fort éru-
dit et un remarquable théologien.
Il n’est pas ennemi de l’instruction, car je l’ai entendu citer
ces maximes de nos philosophes arabes:
Les savants sur terre sont comme les étoiles au ciel.
La science est la vie des cœurs et le flambeau des yeux.
Celui qui fait vivre la sagesse ne meurt pas.
Comment peut-on dire qu’un tel homme est ignorant,barbare
et fanatique?
Grâce à mes anciens élèves, dont quelques-uns se trouvent
autour de lui, j’ai reçu la copie de sa première proclamation. Elle
parut dans mon journal en mars 1883. En voici quelques extraits :
< Allah promit à Mahomet de conserver sa sainte loi et sa
religion divine par des hommes que les délices de la terre n’em-
pêchent pas de se battre pour sa foi. Le Prophète même dit à son
peuple : s II y aura des mahdis qui dépenseront leurs biens et
sacrifieront leur vie pour la défense de l’islamisme, afin de se pré-
senter devant Allah teints de leur sang versé pour sa sainte cause. »
Le Mahdi terminait par ces mots :
« Levez haut vos têtes, lancez-vous comme la foudre sur les
envahisseurs de votre patrie. Allah vous fera vainqueurs! Les
martyrs auront un paradis aussi vaste que les cieux’et la terre. »
Cette proclamation que j’ai publiée fut reproduite par toutes
les feuilles orientales et eut aux Indes un tel retentissement que,
peu de temps après, je recevais de Bombay un article pour mon
journal, décrivant les souffrances des malheureux Indiens et la
tyrannie de leurs gouverneurs anglais.
La publication de cet article fit interdire mon journal qui,
depuis ce temps, ne pénètre aux Indes que par détour, ce qui lui
donne, pour les indigènes, tout l’attrait du fruit défendu; d’autant
plus que tout ce qui leur apporte des nouvelles du Mahdi a,
pour les Indiens, le plus grand intérêt.
Ne combat-il pas l’ennemi commun ?
Depuis sa proclamation, le Mahdi a fait son chemin.
Le monde entier s’est intéressé à cet homme qui a surgi
tout à coup et qui a su réunir autour de lui les tribus les plus
puissantes de la Nubie et du Soudan, les chefs bédouins les plus
intrépides, les officiers égyptiens les plus intelligents et même des
Européens, soldats de l’indépendance des peuples.
En mars 1884, un de mes amis, notable de Khartoum, qui
avait vu le Mahdi à Obeïd, m’euvoya le compte-rendu détaillé de
sa conversation avec lui, dont voici les points les plus importants :
« La destinée est dans les mains d’Allah, dit le Mahdi. Tewfik
contraignit les Cheikhs de l’Azhar à m’excommunier afin
d’éloigner de moi les Egyptiens que je voudrais sauver des mains
des Anglais. Il n’a pas réussi : ils viennent à moi de toutes parts.
« Je sais que l’Angleterre envoie Gordon avec cinq cents
mille talaris pour acheter mes alliés. Je jure par Allah que, s’il
tombe entre mes mains, je ferai distribuer son argent aux pauvres
Musulmans qui se battent pour la patrie.
« Quant aux troupes anglaises, la chaleur les fera fondre et
le simoun les emportera. Pour moi, je chercherai la mort sur le
champ de bataille, si je ne suis pas vainqueur.
s On voudrait armer contre moi les Indiens. On ne réussira
pas. Les Musulmans des Indes sont nos frères ; ils ne se battront
jamais contre nous, et les Indiens idolâtres détestent tellement
les Anglais qu’ils ne se battront jamais pour eux. »
Celte déclaration du Makdi, après avoir paru dans mon journal,
fut reproduite d’abord par l'intransigeant et ensuite par toute la
presse européenne et orientale, car elle présentait sous un jour
nouveau le Chef de la révolte soudanienne.
L’influence du Mahdi est prodigieuse. La confiance qu’il
inspire tient du fanatisme.
C’est que le rôle des mahdis a toujours été important : cer-

tains mahdis ont formé des puissances et détruit des royaumes :
les Fatimites, les Abassides, les Mouahédines et les Mourabetines
ont dû leur force et leur grandeur à ce titre de Mahdi.
Cela se comprend ; il n’y a pas encore, parmi les Musulmans,
de libres-penseurs. C’est ce qui fait le succès d’Essayed-Ahined-
Mohamed, succès d’autant plus grand qu’il combat les Anglais
abhorrés par l’Islam.
Le Mahdi a pris Kharthoum, Kharthoum où le général Wolse-
ley avait fixé le jour de son entrée triomphale!
Cette heureuse nouvelle a ouvert les cœurs des habitants de
l’Egypte, de l’Arabie et des Indes, à la joie et à l’espérance.
Les’Egyptiens voient déjà l’Anglais, qu’ils appellent l’Afrit-
l’ahmar (le diable rouge) chassé de la Vallée du Nil.
Les Arabes ne craignent plus de voir l’étendard britannique
flotter sur le mont sacré d’Arafat et les missionnaires anglais pro-
faner laKââba par leurs sermons.
Les Indiens se réveillent de leur longue léthargie. Ils tour-
nent leurs yeux vers le Mahdi et contemplent ses drapeaux
victorieux. Ils voient ses ennemis, qui sont les leurs,
frappés d’épouvante, tandis que lui, il se montre au regard de
l’Islam, enveloppé de toutes parts d’épaisses cuirasses de gloire.
Ils commencent déjà à secouer le joug de la Grande-Bretagne qui
pèse sur leurs cous.
Encore une victoire éclatante du Mahdi, et ce joug est brisé.
- ■WQ iy—1. -
Abou Naddara remercie le GU BÏas, qui, à propos de sa
conférence, disait dans son numéro du 3 mars :
Une Conférence. — Notre sympathique et savant
confrère, Abou-Naddara, le proscrit d’Egyptebien connu du monde
delà presse, et dont les lecteurs de Gil-Blas ont pu apprécier les
vers écrits pour le 14 juillet, a fait, dans son style oriental si
imagé, une intéressante conférence sur le Mahdi. Cette conférence,
qu’il a donnée dans une loge maçonnique, lui a valu le titre de
membre honoraire du Temple dek Amis de l Honneur Français.
La plupart des élèves a’Abou-Naddara sont auprès du Mahdi,
et quelques-uns sont ses lieutenants; d’autre part, le proscrit
égyptien a connu Ahmed-Mohamed ; c’est dire que la conférence
a été des plus intéressantes et des plus saisissantes. Elle a été
écoutée avec attention et accueillie par des acclamations répétées.

Abou-Naddara remercie également le Times d'avoir con-
sacré toute une colonne à sa biographie et à l’analyse de son
journal. Une remarque : Abou-Naddara combat le gouverne-
ment anglais, et non pas la nation.

DIALOGUE ENTRE DEUX JINGOS (CHAUVINS) ANGLAIS
ET SIDI LOKMAN EL IIAKIN

JlNGO I.
« Le Madhi! cette brute... un barbare illustré,
< Rebelle intelligent.... fanatique illettré,
« Qui se moque de nous.
Jingo II, interrompant.
« . De notre omnipotence
« Et préférant à l’or son humble indépendance.
< Gomme un Maître absolu, sans souci d’Albion,
« Investit le Khartoum, en ffrend possession.
Jingo I, frisant sa moustache.
« Arrosons de son sang les sables de l’arène ;
< Sus, sus à l’infidèle ! Hurrah ! Vive la reine !
Jingo I, buvant un verre de brandy.
« Écrasons, massacrons celui-ci, celui là,
< Tort ou raison, n’importe — et même Osman Digma î
Jingo II, avec emphase.
i Cent millions sterlings pour Gordon et nos gloires.
« L’Angleterre a de l’or pour payer ses victoires!
Sim Lokman.
« Vous parlez, ainsi, vous, prêcheurs decharité,
« Chrétiens pieux, humains, replets de sainteté !
« Comment pratiquez-vous la vertu, la justice î
« Pour nous seuls l’équité — pour autrui l’injustice !
« Du Mâhdi le bras pur combat l'aventurier,
< L’intrigant politique et le vif flibustier.
« Pourquoi dans notre sang laver les infamies
« Des grands, ordonnateurs d’atroces boucheries ?
« Si des loups diplômés gouvernent l’Occident,
« Chassez-les, — maislaissez-nous vivre en Orient. •
« Le Soudan ! pourriez-vous le tenir... ou le prendre ?
« Non. Bientôt à la mort vous auriez à le rendre.
« Et le brave Gordon, — nouveau général Boum —
« Quel besoin avait-il de rester à Khartoum !
« Ce n’est pas en nous tuant que ^Anglais civilise,
« Cultive le bon grain, marche et s’immortalise î
« Le monde est assez grand pour Islam et la Croix.
« Que veut le Musulman ? Son soleil et ses droits !
« Ceux qui sèment les vents, récoltent les tempêtes.
« Elles ne sont pas loin... prenez-garde à vos têtes. » (Lokmaiu)
dari».

£<• ($. -ïefâbfe/.
 
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