bazar, et chaque bazar, fermé la nuit par des portes solides, a ses gardiens. Ces bazars s'étendent jus-
qu'à des rues étroites où trois personnes peuvent à peine passer de front, et qui conduisent aux portes
des faubourgs.
HALEP (Planche III, 6).
Femmes turques dans leur intérieur.
Le quartier appelé Judaïde est habité par les chrétiens; à côté est celui des Juifs; et, dans ces deux
quartiers, les plus propres de la ville, sont les plus riches maisons. On croirait, en passant dans
ces rues étroites, silencieuses et sévères, sur lesquelles ne s'ouvrent que de petites portes bien basses,
et que bordent d'immenses murailles d'une hauteur prodigieuse, que l'on est au milieu d'un énorme
monastère ou dans les couloirs d'un vaste bagne; mais, dès qu'on a franchi le seuil de ces portes, on trouve,
au lieu de la misère, du recueillement ou du deuil, des demeures charmantes parées de tout le luxe
oriental, disposées avec un soin intelligent pour réunir tous les genres de commodités et pour éviter les
inconvénients d'un climat brûlant en été, assez frais en hiver. Le centre en est formé par une cour pavée
en marbre, dans laquelle sont réservés plusieurs carrés plantés de fleurs et d'arbres, et arrosés par de petits
canaux qu'alimentent les jets d'eau, après avoir rempli et fait déborder les bassins. Au rez-de-chaussée,
tout autour de la cour, il y a des salles voûtées, très-chaudes en hiver, très-fraîches en été, et meublées de
superbes divans où l'on se repose sans avoir fatigué, où l'on fume, où l'on boit du café, où l'on mange des
confitures et des pistaches, où l'on cause sans que la conversation et les plaisirs de l'esprit comptent pour
beaucoup dans ces existences indolentes. 11 y a aussi dans ces salles du rez-de-chaussée des bains tapissés
de faïences émaillées et pavés de marbre, des cuisines, des offices et tout ce qui dessert une grande maison.
Sur tout le côté ombragé de la cour s'étend un grand divan où l'on s'établit, où l'on vit une partie de
l'été. De jolis escaliers extérieurs conduisent, au premier étage, aux chambres à coucher. C'est là que
l'on déploie le plus grand luxe, soit dans les ornements du plafond, chargé de peintures et de dorures du
meilleur goût, soit dans le travail des boiseries, toutes ciselées et couvertes de devises arabes. Les lambris
sont faits des bois les plus précieux ou de bois ordinaire tout doré; tous sont couverts de sentences
morales et de pensées poétiques composées en vers arabes pour le propriétaire. Ces appartements sont
meublés avec une richesse étonnante, et que l'on conçoit à peine, en pensant qu'une dénonciation et le
caprice d'un pacha peuvent réduire à la misère l'heureux possesseur de ces habitations délicieuses.
Halep, autrefois si florissante, a été, depuis plusieurs années, ravagée par des malheurs affreux. Le 28
octobre 1819, la ville se révolta contre Kourchid Pacha, ou plutôt contre une contribution accablante
qu'il avait frappée sur les habitants au moment même où une grande disette désolait le pays. Les pachas
deSiwas, de Kaisarieh et d'Adana vinrent au secours de leur voisin, et, en dépit d'une énergique résis-
tance, après un bombardement qui mit en feu deux quartiers, la ville se rendit le 3i janvier 1820.
Elle se relevait à peine de ce désastre, sous l'administration brutale du cruel Bekerem-Pacha, lors-
qu'elle fut ruinée de fond en comble par le tremblement de terre du 14 août 1822. La première secousse
eut lieu dans la nuit du i3 au 14, à neuf heures vingt-cinq minutes, et elle se prolongea pendant une
minute au moins. Une partie de la ville s'écroula, et les malheureux habitants, couchés sur les terrasses, se
réveillèrent sous les décombres de leurs maisons. Chacun profite du premier moment de tranquillité pour
s'échapper à travers les ruines; les planchers tremblent sur les voûtes ébranlées, les murs se balancent
sur les têtes, les minarets tombent et interceptent les rues de leurs décombres; les cris des victimes,
les hurlements des animaux, le bruissement d'un vent violent et le tonnerre souterrain qui accompagne
chaque secousse, tout se réunit pour augmenter l'épouvante de cette scène.
Les Européens et les chrétiens s'assemblèrent dans un jardin nommé le Kittab; c'est alors qu'ils purent
voir toute l'horreur de leur position. Nus, sans asile, sans nourriture, ils sont menacés parles Arabes, les
Kurdes, les Arnaoutes de la garnison, et par une cruelle épidémie que développe la grande quantité de
cadavres que l'on arrache de dessous les décombres. Ils s'établirent d'abord sous des tentes, puis dans des
maisons en bois construites hors de la ville, et campèrent ainsi pendant trois années. Enfin le temps,
qui efface tout, et l'insouciance humaine, qui ne prévoit rien, exerçant leur influence, on répara dans
Halep les maisons de pierre lézardées, et bientôt on y rentra comme si la terre s'était engagée à rester à
tout jamais tranquille.
A peine commençait-on à se réinstaller dans des conditions hygiéniques plus favorables, que le cho-
qu'à des rues étroites où trois personnes peuvent à peine passer de front, et qui conduisent aux portes
des faubourgs.
HALEP (Planche III, 6).
Femmes turques dans leur intérieur.
Le quartier appelé Judaïde est habité par les chrétiens; à côté est celui des Juifs; et, dans ces deux
quartiers, les plus propres de la ville, sont les plus riches maisons. On croirait, en passant dans
ces rues étroites, silencieuses et sévères, sur lesquelles ne s'ouvrent que de petites portes bien basses,
et que bordent d'immenses murailles d'une hauteur prodigieuse, que l'on est au milieu d'un énorme
monastère ou dans les couloirs d'un vaste bagne; mais, dès qu'on a franchi le seuil de ces portes, on trouve,
au lieu de la misère, du recueillement ou du deuil, des demeures charmantes parées de tout le luxe
oriental, disposées avec un soin intelligent pour réunir tous les genres de commodités et pour éviter les
inconvénients d'un climat brûlant en été, assez frais en hiver. Le centre en est formé par une cour pavée
en marbre, dans laquelle sont réservés plusieurs carrés plantés de fleurs et d'arbres, et arrosés par de petits
canaux qu'alimentent les jets d'eau, après avoir rempli et fait déborder les bassins. Au rez-de-chaussée,
tout autour de la cour, il y a des salles voûtées, très-chaudes en hiver, très-fraîches en été, et meublées de
superbes divans où l'on se repose sans avoir fatigué, où l'on fume, où l'on boit du café, où l'on mange des
confitures et des pistaches, où l'on cause sans que la conversation et les plaisirs de l'esprit comptent pour
beaucoup dans ces existences indolentes. 11 y a aussi dans ces salles du rez-de-chaussée des bains tapissés
de faïences émaillées et pavés de marbre, des cuisines, des offices et tout ce qui dessert une grande maison.
Sur tout le côté ombragé de la cour s'étend un grand divan où l'on s'établit, où l'on vit une partie de
l'été. De jolis escaliers extérieurs conduisent, au premier étage, aux chambres à coucher. C'est là que
l'on déploie le plus grand luxe, soit dans les ornements du plafond, chargé de peintures et de dorures du
meilleur goût, soit dans le travail des boiseries, toutes ciselées et couvertes de devises arabes. Les lambris
sont faits des bois les plus précieux ou de bois ordinaire tout doré; tous sont couverts de sentences
morales et de pensées poétiques composées en vers arabes pour le propriétaire. Ces appartements sont
meublés avec une richesse étonnante, et que l'on conçoit à peine, en pensant qu'une dénonciation et le
caprice d'un pacha peuvent réduire à la misère l'heureux possesseur de ces habitations délicieuses.
Halep, autrefois si florissante, a été, depuis plusieurs années, ravagée par des malheurs affreux. Le 28
octobre 1819, la ville se révolta contre Kourchid Pacha, ou plutôt contre une contribution accablante
qu'il avait frappée sur les habitants au moment même où une grande disette désolait le pays. Les pachas
deSiwas, de Kaisarieh et d'Adana vinrent au secours de leur voisin, et, en dépit d'une énergique résis-
tance, après un bombardement qui mit en feu deux quartiers, la ville se rendit le 3i janvier 1820.
Elle se relevait à peine de ce désastre, sous l'administration brutale du cruel Bekerem-Pacha, lors-
qu'elle fut ruinée de fond en comble par le tremblement de terre du 14 août 1822. La première secousse
eut lieu dans la nuit du i3 au 14, à neuf heures vingt-cinq minutes, et elle se prolongea pendant une
minute au moins. Une partie de la ville s'écroula, et les malheureux habitants, couchés sur les terrasses, se
réveillèrent sous les décombres de leurs maisons. Chacun profite du premier moment de tranquillité pour
s'échapper à travers les ruines; les planchers tremblent sur les voûtes ébranlées, les murs se balancent
sur les têtes, les minarets tombent et interceptent les rues de leurs décombres; les cris des victimes,
les hurlements des animaux, le bruissement d'un vent violent et le tonnerre souterrain qui accompagne
chaque secousse, tout se réunit pour augmenter l'épouvante de cette scène.
Les Européens et les chrétiens s'assemblèrent dans un jardin nommé le Kittab; c'est alors qu'ils purent
voir toute l'horreur de leur position. Nus, sans asile, sans nourriture, ils sont menacés parles Arabes, les
Kurdes, les Arnaoutes de la garnison, et par une cruelle épidémie que développe la grande quantité de
cadavres que l'on arrache de dessous les décombres. Ils s'établirent d'abord sous des tentes, puis dans des
maisons en bois construites hors de la ville, et campèrent ainsi pendant trois années. Enfin le temps,
qui efface tout, et l'insouciance humaine, qui ne prévoit rien, exerçant leur influence, on répara dans
Halep les maisons de pierre lézardées, et bientôt on y rentra comme si la terre s'était engagée à rester à
tout jamais tranquille.
A peine commençait-on à se réinstaller dans des conditions hygiéniques plus favorables, que le cho-