12-6 CÉRÉMONIES
ce qui les accommodoit, sans que les habitans qu'on expolioit ainsi,
donnaient les moindres marques de lurprise ou de mécontentement ;
ils en usoient de même dans les habitations des espagnols, & l'on n'eut
pas peu de peine à leur faire perdre une habitude , dont ils n'apprirent
à se corriger, dit sagement l'abbé Prévost, qu'aux dépens de leur sim-
piicité & de leur innocence. Quel tableau attendrhTant les voyageurs ne
nous font-ils pas de i'hospitalité qu'exercent les arabes nomades & les
foulis ? Avec quelle tendresse, avec quel empressement ils tâchent de vous
fournir vos besoins si vous passez chez eux ! avec quel désintéressement,
avec quel zele il vous protègent contre les invasions des ennemis ou
des brigands ! Lisez les journaux de ceux qui ont voyagé parmi les
kamschadales, les jakoutes, les irlandois, les tartares nomades, les iro-
quois, les souriquois, & tous les autres peuples solitaires des deux hé-
mispheres, & vous verrez qu'ils attellent tous unisormément les mêmes
usages; & si quelques-unes de ces nations ont témoigné quelquefois de
la cruauté envers les européens, ce n'a pu être que la connohTance qu'elles
ont eu de notre penchant cruel à tout piller, à tout exterminer, qui les
a forcées d'aigrir leur caractère.
Il faut pourtant avouer que si nous avions des monumens respecta-'
bles qui nous apprissent qu'il y ait eu véritablement des peuples antro-(
pophages, ce procédé n'offriroit rien, en lui-même, de bien étonnant,
après avoir vu quels torrens de sang humain la superstition à fait couler,
sur les autels. L'action de celui qui tue un homme pour le sacrifier,
me paroît infiniment plus atroce que celle de celui qui s'en nourrit,
quoiqu'il ait pourtant moins d'efforts à faire pour étouffer le cri de la
nature ; parce que la superstition le maîtrise & le rend forcément san-
guinaire. La vie est ce que l'homme a de plus précieux, & ce qu'il ne
doit par conséquent pas perdre injustement. Celui qui s'en prive est un
forcené, contre lequel toutes les loix, de concert avec la nature, se
réunisient à ordonner les plus rigoureux châtimens. Celui, au contraire,
qui se nourrit de la chair d'un homme, ne fait, tout au plus, s'il ne la
pas tué de sa propre main, qu'outrager un cadavre, une matière brute
& insensible, à qui il est indisférent, comme le disoient Théodore de
Cyrene, & Diogene le Cynique, de pourrir dans la terre, d'être dévoré
par les oiseaux, ou d'être servi sur les tables. Le crime de celui qui
donne la mort à son semblable, l'eût-il pris au milieu du combat où les
loix de la guerre & la nécessité d'une juste défense lui permettoient de
s'en défaire., est donc aulsi grand, aussi atroce, ausiï funeste à la société^
ce qui les accommodoit, sans que les habitans qu'on expolioit ainsi,
donnaient les moindres marques de lurprise ou de mécontentement ;
ils en usoient de même dans les habitations des espagnols, & l'on n'eut
pas peu de peine à leur faire perdre une habitude , dont ils n'apprirent
à se corriger, dit sagement l'abbé Prévost, qu'aux dépens de leur sim-
piicité & de leur innocence. Quel tableau attendrhTant les voyageurs ne
nous font-ils pas de i'hospitalité qu'exercent les arabes nomades & les
foulis ? Avec quelle tendresse, avec quel empressement ils tâchent de vous
fournir vos besoins si vous passez chez eux ! avec quel désintéressement,
avec quel zele il vous protègent contre les invasions des ennemis ou
des brigands ! Lisez les journaux de ceux qui ont voyagé parmi les
kamschadales, les jakoutes, les irlandois, les tartares nomades, les iro-
quois, les souriquois, & tous les autres peuples solitaires des deux hé-
mispheres, & vous verrez qu'ils attellent tous unisormément les mêmes
usages; & si quelques-unes de ces nations ont témoigné quelquefois de
la cruauté envers les européens, ce n'a pu être que la connohTance qu'elles
ont eu de notre penchant cruel à tout piller, à tout exterminer, qui les
a forcées d'aigrir leur caractère.
Il faut pourtant avouer que si nous avions des monumens respecta-'
bles qui nous apprissent qu'il y ait eu véritablement des peuples antro-(
pophages, ce procédé n'offriroit rien, en lui-même, de bien étonnant,
après avoir vu quels torrens de sang humain la superstition à fait couler,
sur les autels. L'action de celui qui tue un homme pour le sacrifier,
me paroît infiniment plus atroce que celle de celui qui s'en nourrit,
quoiqu'il ait pourtant moins d'efforts à faire pour étouffer le cri de la
nature ; parce que la superstition le maîtrise & le rend forcément san-
guinaire. La vie est ce que l'homme a de plus précieux, & ce qu'il ne
doit par conséquent pas perdre injustement. Celui qui s'en prive est un
forcené, contre lequel toutes les loix, de concert avec la nature, se
réunisient à ordonner les plus rigoureux châtimens. Celui, au contraire,
qui se nourrit de la chair d'un homme, ne fait, tout au plus, s'il ne la
pas tué de sa propre main, qu'outrager un cadavre, une matière brute
& insensible, à qui il est indisférent, comme le disoient Théodore de
Cyrene, & Diogene le Cynique, de pourrir dans la terre, d'être dévoré
par les oiseaux, ou d'être servi sur les tables. Le crime de celui qui
donne la mort à son semblable, l'eût-il pris au milieu du combat où les
loix de la guerre & la nécessité d'une juste défense lui permettoient de
s'en défaire., est donc aulsi grand, aussi atroce, ausiï funeste à la société^