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DELACROIX 1 BAUDELAIRE

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Nous voudrions avant tout attirer l'attention des lecteurs qui s'intéressent à ce problème sur un point qui n'a pas été,
jusqu'ici, apprécié à sa juste valeur : celui des points communs de l'intérêt porté à la musique par Delacroix et par Baudelaire,
qui se manifestent surtout aux environs de 1860. C'est alors que Baudelaire, qui était lié d'amitié avec Liszt, découvre la mu-
sique de Wagner et, fait caractéristique, la découvre par son analogie avec la peinture.

En février 1860, un an avant de publier sa brochure polémique Richard Wagner et Tannhâuser à Paris, Baudelaire adresse
au compositeur une lettre fervente (demeurée célèbre) par laquelle il déclare adhérer au groupe des enthousiastes de Wagner
et remercie celui-ci pour „la plus grande jouissance musicale qu'il ait jamais éprouvée". Pourtant, lorsqu'il veut décrire au
profane ses impressions et les communiquer à ses lecteurs, Baudelaire en revient curieusement aux comparaisons picturales:
„Pour me servir de comparaisons empruntées à la peinture, je suppose devant mes yeux une vaste étendue d'un rouge
sombre. Si ce rouge représente la passion, je le vois arriver graduellement, par toutes les transitions de rouge et de rose,
à l'incandescence de la fournaise. Il semblerait difficile, impossible même d'arriver à quelque chose de plus ardent; et cepen-
dant une dernière fusée vient tracer un sillon plus blanc sur le blanc qui lui sert de fond. Ce sera, si vous voulez, le cri suprême
de l'âme montée à son paroxysme"1.

C'est vers le même temps que Baudelaire essayait à sa manière, en écoulant la musique de Wagner, d'inventorier le
domaine artistique demeuté si cher à Delacroix, celui de la musique. Fait significatif, le poète abordait ce domaine de la
musique par l'intermédiaire d'un problème également élémentaire pour la peinture; ainsi lisons-nous, dans Mon coeur mis à nu,
une formule malheureusement trop sûccinctc concernant la question de l'espace: „La musique donne l'idée de l'espace. Tous
les arts, plus ou moins; puisqu'ils sont nombre et que le nombre est une traduction de l'espace"2.

Un développement des mêmes réflexions se trouve dans le dernier article que Baudelaire consacra à Delacroix, du
vivant de celui-ci. Il s'agit de l'essai publié le 15 septembre 1861, essai se rapportant aux fresques récemment achevées de l'église
Saint-Suplice et qui sera partiellement reproduit dans l'article posthume. Cette publication appela en réponse une lettre —
la dernière — adressée le 8 octobre 1861 par Delacroix au critique-poète qui lui demeurait fidèle:

„Je vous remercie bien sincèrement et de vos éloges et des réflexions qui les confirment, sur ces effets mystérieux
de la ligne et de la couleur, que ne sentent, hélas, que peu d'adeptes. Cette partie musicale et arabesque n'est rien pour bien
des gens qui regardent un tableau comme les Anglais regardent une contrée quant ils voyagent : c'est-à-dire qu'ils ont le nez
dans le Guide du voyageur, afin de s'instruire consciencieusement de ce que le pays rapporte en blé et autres denrées, etc:'
De même les critiques bons sujets veulent comprendre afin de pouvoir démontrer. Ce qui ne tombe pas absolument sous
le compas ne peut les satisfaire. Ils se trouvent volés devant un tableau qui ne démontre rien et qui ne donne que du
plaisir"3.

Ce texte extrêmement important— insuffisamment utilisé jusqu'ici dans toutes les recherches ayant trait aux rapports
Delacroix—Baudelaire — permet d'affirmer que l'entente s'établit définitivement entre le peintre et le poète dans le cadre
de la théorie musicale de la peinture, théorie qui devait considérablement influencer les changements ultérieurs intervenant
dans l'art pictural à la fin du XIX-е siècle et au début du XX-e.

En terminant, nous désirons encore attirer l'attention sur un texte consacré à un échange de points de vue esthétiques
entre Delacroix et Baudelaire, au soir de la vie du maître. Ils nous sont rapportés dans une relation de Pierre Andrieu.

Vers la fin de sa vie, tandis qu'il travaillait aux fresques de l'église Saint-Sulpicc en compagnie de Pierre Andrieu,
Delacroix mettait ce fidèle disciple en garde contre le danger que pourrait constituer, pour les peintres, l'asservissement aux
„littćratcurs" :

„Le jour où les peintres auront perdu la science et l'amour de leur outil, les théories stériles commenceront. Car ne
sachant plus écrire leur pensée avec des formes et des couleurs, ils l'écriront avec des mots et les littérateûres les auront. Je ne.
parle pas du vrai poète, comme l'était mon bon petit Chopin, mais du pion qui veut expliquer un vers de Virgile"4.

Ces lignes prouvent que Chopin demeure pour Delacroix l'exemple du vrai poète, celui qui sait s'exprimer non pas
dans l'abstraction, mais en utilisant avec une maîtrise parfaite les instruments de son art; cette profession de foi donne donc
un éclat spécial à l'opinion que Delacroix émet ensuite sur les transpositions de la peinture qui jouent un rôle si important
dans la poésie de Baudelaire :

„C'est ce que je disais hier à M. Baudelaire qui était venu me lire ce qu'il appelle ses petits poèmes en prose. Et
après qu'il m'eut lu les Bienfaits de la lune, je lui dis que c'était la plus belle correspondance du fond de l'Embarquement pour
Cythère et qu'il m'en fait plus sentir ainsi le mystère aérien que par toute autre explication littérale"5.

Nous serions portés à trouver, dans ce passage, l'explication des anciens malentendus qui séparèrent Delacroix et Bau-
delaire, celle aussi de la réconciliation des deux créateurs. Ce qui les rapprocha à cette époque fut une façon semblable d'inter-
préter et d'appliquer la théorie de la correspondance des arts". Delacroix le rappelle ici, une ..correspondance" véritable
ne peut être établie entre l'oeuvre du peintre et celle du poète que si ce dernier s'astreint à la plus stricte observance des
lois de son art propre, aussi bien en ce qui concerne les moyens expressifs que les moyens techniques. Ainsi donc le poète
doit éviter de décrire l'oeuvre picturale qui retient son intérêt — ce ne serait qu'imitation — mais, dans le climat, dans l'esprit
de Cîtte oeuvre picturale, créer une oeuvre poétique qui y corresponde tout en gardant une valeur entière en dehors du
prétexte qui l'a suscitée. Equivalent du tableau, cette oeuvre nouvelle acquiert une existence indépendante dans la mesure
même où elle se plie à toutes les rigueurs de l'art poétique. Mutatis mutandis, cette recommandation s'applique intégralement
au rapport qui peut être établi soit entre peinture et musique, soit entre musique et poésie, ou inversement.

1 Ch. Baudelaire, Lettre à Richard Wagner, Oeuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Paris 1961, s. 1206,

2 Ch. Baudelaire, Mon coeur mis à nu Oeuvres complètes, p. 1296.

3 E. Delacroix, Correspondance générale, éd. A. Joubin, t. 4, Paris 1938, pp. 276—277.

4 R. Piot, Les Palettes de Delacroix, Paris 1931, p. 67.

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