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LECH SOKÓŁ
et, parfois, par une vision grotesque du monde entier. Les forces démoniaques, personnelles ou impersonnelles, jouent un rôle
extrêmement important dans le processus de l'apparition du grotesque ou de la réaction à celui-ci, Un conflit intérieur d'éléments
hétérogènes est une caractéristique indispensable du grotesque.
Par l'analyse de différentes sortes de rires, par la distinction qu'il souligne entre le rire et la gaieté, Baudelaire précise d'une
manière plus complète ce qu'il comprend par le rire grotesque. Il en détermine les sources de façon suivante: ,,les créations fabu-
leuses [■..] excitent en nous une hilarité folle, excessive, et qui se traduit en des déchirements et des pâmoisons interminables". Ce
rire résulte d'un sentiment de supériorité de l'homme envers la nature, et non envers son prochain. Le comique grotesque est absolu,
comme antithèse du comique ordinaire, donc significatif ; son caractère satanique le rapproche du comique significatif, tandis que
le fait de contenir ,,en soi quelque chose de profond, d'axiomatique et de primitif" le lie à la joie innocente ,,comme un épanouis-
sement de fleur". La substance profonde et le caractère primitif du rire, selon la conception de Baudelaire, rappellent les considé-
rations de nombereux spécialistes du grotesque sur le caractère primitif des stimuli et des réactions psychologiques qu'engendre
et exprime le grotesque.
Pour pouvoir parler du grotesque, il est nécessaire que ses traits caractéristiques s'imposent incontinent à son destinataire,
sans analyse préalable. Baudelaire souligne avec force cet attribut du grotesque, si souvent discuté par les spécialistes: le rire gro-
tesque est instantané et doit être rapidement saisi par l'intuition. Le comique absolu est créatif: c'est un genre de production, com-
biné avec un certain don d'imitation; le comique significatif est, lui, avant tout reproducteur. Le grotesque s'élève donc bien au-
-dessus de la caricature: c'est une des raisons de lui attribuer l'adjectif ,,absolu".
Le comique absolu se compose, d'après Baudelaire, de genres divers et sa division peut s'effectuer selon différents critères.
Le poète procède à ,,une classification de comiques suivant les climats et les diverses aptitudes nationales". Cette variété, analysée
du point de vue de la France, de l'Allemagne, de l'Angleterre, de l'Italie et de l'Espagne, forme un ensemble de problèmes détaillés,
plus largement repris dans les articles consacrés aux caricaturistes.
Conformément aux remarques comprises dans le chapitre VI de l'étude De Г essence du rire, les caricaturistes français illus-
trent le genre du comique significatif, tandis que les étrangers représentent celui du comique absolu. Du point de vue du grotesque,
l'article traitant des caricaturistes étrangers, apporte un nombre considérable de constatations intéressantes. Le choix des noms
d'artistes qui y sont mentionnés à lui seul est significatif: Hogarth, Cruikshank, Goya, Pinelli, Brueghel. Baudelaire les a tous qua-
lifiés de grotesques: C'est à Goya qu'a incombé le rôle de personnage principal de l'étude. Il a introduit dans le comique un élément
extrêmement rare: le fantastique. Il a dépassé, dans son oeuvre, toutes les divisions précédentes pour accéder au comique éternel.
Dans ses remarques sur Brueghel l'Ancien, Baudelaire formule une constation de grande importance au point de vue du gro-
tesque. Il écrit que l'oeuvre de Brueghel ne peut s'expliquer que par ,,une espèce de grâce spéciale et satanique". Il affirme donc,
avec plus de force que dans l'étude De l'essence du rire, que l'âme de l'artiste qui s'adonne à la création grotesque est possédée par
les démons. Les spécialistes du grotesque mentionnent souvent ce démonisme qui s'y rattache, parfois même en termes semblables
au langage baudelairien (Wolfgang Kayser).
Que Baudelaire soit parfaitement conscient de l'ensemble des problèmes touchant au grotesque ne fait pas l'ombre d'un doute.
Indépendamment de ce qu'il considérait lui-même comme grotesque, en limitant la notion de celui-ci à un certain genre de comi-
que, son propre comique satanique a pénétré dans le domaine du grotesque. Au surplus, le poète usait de l'adjectif ,,grotesque"
aussi bien en se référant au grotesque en tant que notion esthétique de plein droit, que selon l'ancienne tradition française, remon-
tant au XVIe siècle, comme synonyme de mots tels que ridicule, bizarre, fantastique, extravagant, capricieux. Par ses considéra-
tions sur le grotesque, Baudelaire a décidément dépassé tout ce qui avait paru à ce sujet en France. Il concevait le grotesque d'une
manière plus accomplie que Victor Hugo (Préface à Cromwell), et son étude De l'essence du rire devait tenir, dans l'histoire du gro-
tesque, une place pour le moins aussi importante que le célèbre manifeste du théâtre et de la littérature romantiques de Hugo.
Traduit par Ludmiła Śliwka
LECH SOKÓŁ
et, parfois, par une vision grotesque du monde entier. Les forces démoniaques, personnelles ou impersonnelles, jouent un rôle
extrêmement important dans le processus de l'apparition du grotesque ou de la réaction à celui-ci, Un conflit intérieur d'éléments
hétérogènes est une caractéristique indispensable du grotesque.
Par l'analyse de différentes sortes de rires, par la distinction qu'il souligne entre le rire et la gaieté, Baudelaire précise d'une
manière plus complète ce qu'il comprend par le rire grotesque. Il en détermine les sources de façon suivante: ,,les créations fabu-
leuses [■..] excitent en nous une hilarité folle, excessive, et qui se traduit en des déchirements et des pâmoisons interminables". Ce
rire résulte d'un sentiment de supériorité de l'homme envers la nature, et non envers son prochain. Le comique grotesque est absolu,
comme antithèse du comique ordinaire, donc significatif ; son caractère satanique le rapproche du comique significatif, tandis que
le fait de contenir ,,en soi quelque chose de profond, d'axiomatique et de primitif" le lie à la joie innocente ,,comme un épanouis-
sement de fleur". La substance profonde et le caractère primitif du rire, selon la conception de Baudelaire, rappellent les considé-
rations de nombereux spécialistes du grotesque sur le caractère primitif des stimuli et des réactions psychologiques qu'engendre
et exprime le grotesque.
Pour pouvoir parler du grotesque, il est nécessaire que ses traits caractéristiques s'imposent incontinent à son destinataire,
sans analyse préalable. Baudelaire souligne avec force cet attribut du grotesque, si souvent discuté par les spécialistes: le rire gro-
tesque est instantané et doit être rapidement saisi par l'intuition. Le comique absolu est créatif: c'est un genre de production, com-
biné avec un certain don d'imitation; le comique significatif est, lui, avant tout reproducteur. Le grotesque s'élève donc bien au-
-dessus de la caricature: c'est une des raisons de lui attribuer l'adjectif ,,absolu".
Le comique absolu se compose, d'après Baudelaire, de genres divers et sa division peut s'effectuer selon différents critères.
Le poète procède à ,,une classification de comiques suivant les climats et les diverses aptitudes nationales". Cette variété, analysée
du point de vue de la France, de l'Allemagne, de l'Angleterre, de l'Italie et de l'Espagne, forme un ensemble de problèmes détaillés,
plus largement repris dans les articles consacrés aux caricaturistes.
Conformément aux remarques comprises dans le chapitre VI de l'étude De Г essence du rire, les caricaturistes français illus-
trent le genre du comique significatif, tandis que les étrangers représentent celui du comique absolu. Du point de vue du grotesque,
l'article traitant des caricaturistes étrangers, apporte un nombre considérable de constatations intéressantes. Le choix des noms
d'artistes qui y sont mentionnés à lui seul est significatif: Hogarth, Cruikshank, Goya, Pinelli, Brueghel. Baudelaire les a tous qua-
lifiés de grotesques: C'est à Goya qu'a incombé le rôle de personnage principal de l'étude. Il a introduit dans le comique un élément
extrêmement rare: le fantastique. Il a dépassé, dans son oeuvre, toutes les divisions précédentes pour accéder au comique éternel.
Dans ses remarques sur Brueghel l'Ancien, Baudelaire formule une constation de grande importance au point de vue du gro-
tesque. Il écrit que l'oeuvre de Brueghel ne peut s'expliquer que par ,,une espèce de grâce spéciale et satanique". Il affirme donc,
avec plus de force que dans l'étude De l'essence du rire, que l'âme de l'artiste qui s'adonne à la création grotesque est possédée par
les démons. Les spécialistes du grotesque mentionnent souvent ce démonisme qui s'y rattache, parfois même en termes semblables
au langage baudelairien (Wolfgang Kayser).
Que Baudelaire soit parfaitement conscient de l'ensemble des problèmes touchant au grotesque ne fait pas l'ombre d'un doute.
Indépendamment de ce qu'il considérait lui-même comme grotesque, en limitant la notion de celui-ci à un certain genre de comi-
que, son propre comique satanique a pénétré dans le domaine du grotesque. Au surplus, le poète usait de l'adjectif ,,grotesque"
aussi bien en se référant au grotesque en tant que notion esthétique de plein droit, que selon l'ancienne tradition française, remon-
tant au XVIe siècle, comme synonyme de mots tels que ridicule, bizarre, fantastique, extravagant, capricieux. Par ses considéra-
tions sur le grotesque, Baudelaire a décidément dépassé tout ce qui avait paru à ce sujet en France. Il concevait le grotesque d'une
manière plus accomplie que Victor Hugo (Préface à Cromwell), et son étude De l'essence du rire devait tenir, dans l'histoire du gro-
tesque, une place pour le moins aussi importante que le célèbre manifeste du théâtre et de la littérature romantiques de Hugo.
Traduit par Ludmiła Śliwka