.Dieu merci j’ai brûlé tous mes livres , me dit
hier Timon. Quoi, tous sans exception ? Passe encore
pour le journal de Trévoux, les romans du temps
et les pièces nouvelles : mais que vous ont fait
Cicéron et Virgile. , Racine , la Fontaine , YAriofte,
Addi[]on et Pope ? J’ai tout brûlé, repliqua-t-il ; ce
sont des corrupteurs du genre-humain. Les maîtres
de géométrie et d’arithmétique même sont des
monstres. Les sciences sont le plus horrible sséau
de la terre. Sans elles nous aurions toujours eu l’âge
d’or. Je renonce aux gens de lettres pour jamais,
à tous les pays où les arts sont connus. 11 est assreux
de vivre dans des villes où l’on porte la mesure du
temps en or dans sa poche, où l’on a fait venir de
la Chine de petites chenilles pour se couvrir de leur
duvet , où l’on entend cent instrumens qui s’ac-
cordent , qui enchantent les oreilles , et qui bercent
l’ame dans un doux repos. Tout cela est horrible,
et il est clair qu’il n’y a que les Iroquois qui soient
gens de bien ; encore faut-il qu’ils soient loin de
Québec, où je soupçonne que les damnables sciences
de l’Europe se sont introduites.
Quand Timon eut bien évaporé sa bile , je le priai
de me dire sans humeur ce qui lui avait inspiré
tant d’aversion pour les belles-lettres. Il m’avoua
ingénument que son chagrin était venu originaire-
ment d’une espèce de gens qui se font valets de
libraires , et qui de ce bel état où les réduit l’impuis-
sance de prendre une profession honnête, insultent
( * ) Ceci a été imprimé avec ee titre : Sur le paradoxe que les fcienceï
ont nui aux mœurs.
hier Timon. Quoi, tous sans exception ? Passe encore
pour le journal de Trévoux, les romans du temps
et les pièces nouvelles : mais que vous ont fait
Cicéron et Virgile. , Racine , la Fontaine , YAriofte,
Addi[]on et Pope ? J’ai tout brûlé, repliqua-t-il ; ce
sont des corrupteurs du genre-humain. Les maîtres
de géométrie et d’arithmétique même sont des
monstres. Les sciences sont le plus horrible sséau
de la terre. Sans elles nous aurions toujours eu l’âge
d’or. Je renonce aux gens de lettres pour jamais,
à tous les pays où les arts sont connus. 11 est assreux
de vivre dans des villes où l’on porte la mesure du
temps en or dans sa poche, où l’on a fait venir de
la Chine de petites chenilles pour se couvrir de leur
duvet , où l’on entend cent instrumens qui s’ac-
cordent , qui enchantent les oreilles , et qui bercent
l’ame dans un doux repos. Tout cela est horrible,
et il est clair qu’il n’y a que les Iroquois qui soient
gens de bien ; encore faut-il qu’ils soient loin de
Québec, où je soupçonne que les damnables sciences
de l’Europe se sont introduites.
Quand Timon eut bien évaporé sa bile , je le priai
de me dire sans humeur ce qui lui avait inspiré
tant d’aversion pour les belles-lettres. Il m’avoua
ingénument que son chagrin était venu originaire-
ment d’une espèce de gens qui se font valets de
libraires , et qui de ce bel état où les réduit l’impuis-
sance de prendre une profession honnête, insultent
( * ) Ceci a été imprimé avec ee titre : Sur le paradoxe que les fcienceï
ont nui aux mœurs.