ÉCOLE HOLLANDAISE.
lui porta secrètement un paquet de hardes et quelque argent, au moyen duquel il gagna le jour même la
ville de Delft. Il entra d’abord dans l’atelier de Jean Lucas et il y montra autant d’application que
d’aptitude. Mais, peu de temps après, ayant ouï parler de Jean Schoorel, qui revenait d’Italie avec la
réputation d’un peintre consommé dans son art et initié à de nouvelles manières, Martin l’alla trouver
à Harlem et se fit admettre dans son école. L’élève en sut bientôt assez pour inquiéter son maître, qu’il
imitait à s’y méprendre, si bien que Schoorel se voyant serré de si près, en conçut, dit-on, de la jalousie
et congédia Martin Heemskerk.
Martin se retira chez Jean Fopsen, qui, voulant mettre à profit les talents de son hôte, lui fit faire dans
sa maison diverses peintures, notamment deux figures d’Adam et Eve, représentées entièrement nues, de
grandeur naturelle, et deux autres figures , Apollon et Diane , que Martin peignit dans une chambre à
coucher, sur le bois du lit. La femme de Fopsen , qui admirait beaucoup ces peintures, et qui avait un
faible pour l’artiste, ne voulait pas qu’on l’appelât Martin tout court; elle disait à ceux qui venaient le demander
qu’ils devaient l’appeler maître Martin pour rendre hommage à la supériorité de son savoir. 11 est
vraisemblable que Fopsen prit ombrage des sentiments que le peintre semblait inspirer à sa femme; car
maître Martin ne tarda pas à changer de domicile et s’en alla demeurer chez un orfèvre de la ville,
nommé Josse Cornelisz, qui était aussi un curieux et pour lequel il fit quelques ouvrages.
Cependant Heemskerk avait la plus vive impatience de voir cette belle Italie d’où son maître Schoorel
était revenu si habile et si fier. Mais ayant été reçu dans la communauté des peintres de Harlem, qui
était placée, comme toutes les confréries de ce genre , sous l’invocation de saint Luc, Heemskerk, avant
de partir, offrit pour son chef-d’œuvre à la communauté un grand tableau représentant saint Luc qui
peint la Vierge et l’Enfant-Jésus. Ce tableau, destiné à la chapelle des peintres, était exécuté dans la
manière de Schoorel, manière encore sèche et dont les formes raides , les draperies anguleuses trahissaient
un reste de style gothique. « La tête de la Vierge est fort belle, dit Van Mander, et son attitude est pleine
de grâce. Sur ses genoux est jetée avec élégance une étoffe indienne aux couleurs variées, dont les plis
sont rendus avec une vérité irréprochable. Les traits de l’Enfant respirent une douceur divine; la tête du
saint Luc, fidèlement copiée d’après celle d’un boulanger de Harlem, exprime l’attention d’un artiste qui
peint d’après nature, et sa main gauche, de laquelle il tient sa palette, est tellement en relief qu’elle
semble sortir du panneau. Derrière saint Luc, on remarque la figure d’un poète couronné de lierre, qui
passe pour être le portrait de Heemskerk lui-même. A-t-il voulu faire entendre qu’il cultivait la poésie
en même temps que la peinture, ou que les peintres doivent être animés de l’esprit des poètes? Je l’ignore. »
On voyait encore dans ce tableau un ange qui tient un flambeau allumé, et comme si la naïveté flamande
ne perdait jamais ses droits, l’artiste avait orné sa composition d’un perroquet perché sur le bâton de sa
cage. Dans le bas, il avait figuré une feuille de papier, collée contre la muraille avec de la cire, et sur
laquelle on lisait : Ce tableau est l’ouvrage de Martin Heemskerk, qui l’a peint en l’honneur de saint Luc
et en a fait présent uses confrères. Nous devons le remercier nuit et jour de ce précieux cadeau et prier
Dieu qu’il l’ait en sa sainte garde. Le panneau a été terminé le 22 mai 1532. Martin était donc âgé de
trente-quatre ans lorsqu’il peignit ce chef-d’œuvre que les magistrats de la ville achetèrent plus tard de
la communauté et firent placer dans la chambre méridionale {zuid-kamer'} de la cour des Princes.
Après avoir dit adieu à ses confrères, il partit pour Rome, muni de lettres de recommandation, qui,
à son arrivée, lui valurent les bonnes grâces et l’hospitalité d’un cardinal. Au lieu de mener joyeuse vie
en compagnie des peintres flamands, qui lui en donnaient l’exemple, Heemskerk s’appliqua avec beaucoup
d’ardeur à étudier les sculptures antiques et les ouvrages de Michel-Ange. Chaque jour il dessinait d’après
ces grands modèles, mais, comme l’amour de la nature n’abandonne jamais un homme du Nord, il
variait ses occupations en copiant les monuments et les ruines qui remplissent la ville éternelle et
en peignant les paysages de la campagne de Rome avec tous les accidents qu’il y rencontrait. IJ passa
ainsi trois ou quatre ans à travailler avec tant d’assiduité qu’il acquit une science et une fermeté de
dessin extraordinaires. La dernière année de son séjour, en 153G, on fit à Rome de grands préparatifs
lui porta secrètement un paquet de hardes et quelque argent, au moyen duquel il gagna le jour même la
ville de Delft. Il entra d’abord dans l’atelier de Jean Lucas et il y montra autant d’application que
d’aptitude. Mais, peu de temps après, ayant ouï parler de Jean Schoorel, qui revenait d’Italie avec la
réputation d’un peintre consommé dans son art et initié à de nouvelles manières, Martin l’alla trouver
à Harlem et se fit admettre dans son école. L’élève en sut bientôt assez pour inquiéter son maître, qu’il
imitait à s’y méprendre, si bien que Schoorel se voyant serré de si près, en conçut, dit-on, de la jalousie
et congédia Martin Heemskerk.
Martin se retira chez Jean Fopsen, qui, voulant mettre à profit les talents de son hôte, lui fit faire dans
sa maison diverses peintures, notamment deux figures d’Adam et Eve, représentées entièrement nues, de
grandeur naturelle, et deux autres figures , Apollon et Diane , que Martin peignit dans une chambre à
coucher, sur le bois du lit. La femme de Fopsen , qui admirait beaucoup ces peintures, et qui avait un
faible pour l’artiste, ne voulait pas qu’on l’appelât Martin tout court; elle disait à ceux qui venaient le demander
qu’ils devaient l’appeler maître Martin pour rendre hommage à la supériorité de son savoir. 11 est
vraisemblable que Fopsen prit ombrage des sentiments que le peintre semblait inspirer à sa femme; car
maître Martin ne tarda pas à changer de domicile et s’en alla demeurer chez un orfèvre de la ville,
nommé Josse Cornelisz, qui était aussi un curieux et pour lequel il fit quelques ouvrages.
Cependant Heemskerk avait la plus vive impatience de voir cette belle Italie d’où son maître Schoorel
était revenu si habile et si fier. Mais ayant été reçu dans la communauté des peintres de Harlem, qui
était placée, comme toutes les confréries de ce genre , sous l’invocation de saint Luc, Heemskerk, avant
de partir, offrit pour son chef-d’œuvre à la communauté un grand tableau représentant saint Luc qui
peint la Vierge et l’Enfant-Jésus. Ce tableau, destiné à la chapelle des peintres, était exécuté dans la
manière de Schoorel, manière encore sèche et dont les formes raides , les draperies anguleuses trahissaient
un reste de style gothique. « La tête de la Vierge est fort belle, dit Van Mander, et son attitude est pleine
de grâce. Sur ses genoux est jetée avec élégance une étoffe indienne aux couleurs variées, dont les plis
sont rendus avec une vérité irréprochable. Les traits de l’Enfant respirent une douceur divine; la tête du
saint Luc, fidèlement copiée d’après celle d’un boulanger de Harlem, exprime l’attention d’un artiste qui
peint d’après nature, et sa main gauche, de laquelle il tient sa palette, est tellement en relief qu’elle
semble sortir du panneau. Derrière saint Luc, on remarque la figure d’un poète couronné de lierre, qui
passe pour être le portrait de Heemskerk lui-même. A-t-il voulu faire entendre qu’il cultivait la poésie
en même temps que la peinture, ou que les peintres doivent être animés de l’esprit des poètes? Je l’ignore. »
On voyait encore dans ce tableau un ange qui tient un flambeau allumé, et comme si la naïveté flamande
ne perdait jamais ses droits, l’artiste avait orné sa composition d’un perroquet perché sur le bâton de sa
cage. Dans le bas, il avait figuré une feuille de papier, collée contre la muraille avec de la cire, et sur
laquelle on lisait : Ce tableau est l’ouvrage de Martin Heemskerk, qui l’a peint en l’honneur de saint Luc
et en a fait présent uses confrères. Nous devons le remercier nuit et jour de ce précieux cadeau et prier
Dieu qu’il l’ait en sa sainte garde. Le panneau a été terminé le 22 mai 1532. Martin était donc âgé de
trente-quatre ans lorsqu’il peignit ce chef-d’œuvre que les magistrats de la ville achetèrent plus tard de
la communauté et firent placer dans la chambre méridionale {zuid-kamer'} de la cour des Princes.
Après avoir dit adieu à ses confrères, il partit pour Rome, muni de lettres de recommandation, qui,
à son arrivée, lui valurent les bonnes grâces et l’hospitalité d’un cardinal. Au lieu de mener joyeuse vie
en compagnie des peintres flamands, qui lui en donnaient l’exemple, Heemskerk s’appliqua avec beaucoup
d’ardeur à étudier les sculptures antiques et les ouvrages de Michel-Ange. Chaque jour il dessinait d’après
ces grands modèles, mais, comme l’amour de la nature n’abandonne jamais un homme du Nord, il
variait ses occupations en copiant les monuments et les ruines qui remplissent la ville éternelle et
en peignant les paysages de la campagne de Rome avec tous les accidents qu’il y rencontrait. IJ passa
ainsi trois ou quatre ans à travailler avec tant d’assiduité qu’il acquit une science et une fermeté de
dessin extraordinaires. La dernière année de son séjour, en 153G, on fit à Rome de grands préparatifs