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Bulletin du Musée National de Varsovie — 16.1975

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Nr. 4
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Sandoz, Marc: Les peintures decoratives de la Chambre des Seigneurs du Château de Varsovie: "aujourd'hui au Musée National de Varsovie
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https://doi.org/10.11588/diglit.18860#0136
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EXTRAITS DES SALONS DE DIDEROT
AU SUJET DES TABLEAUX
COMMANDÉS PAR LE ROI STANISLAS-AUGUSTE PONIATOWSKI

l

Noël Hallé

"La force de l'union ; ou la flèche rompue par le plus jeune des enfants de

Scilurus :

et le faisceau de flèches résistant à l'effort des ainés réunis.

Belle leçon du roi des Scythes expirant ; jamais plus belle leçon ne fut donnée ; jamais plus
mauvais tableau ne fut fait. J'en suis fâché pour le roi de Pologne. Le meilleur des trois tableaux
qu'il a demandés à nos artistes est médiocre. Venons à celui de Hallé.

Mais, dites-moi, je vous prie, qui est cet homme maigre, ignoble, sans expression, sans caractère,
couché sous cette tente. C'est le roi Scilurus. Cela, c'est un roi ! c'est un roi scythe ! Où est la
fierté, le sens, le jugement, la raison indisciplinée de l'homme sauvage ? C'est un gueux. Et ces
trois maussades, hydeuses, plates figures emmaillottées dans leurs draperies jusqu'au bout du
nez, pourriez-vous m'apprendre si ce sont des personnages réels de la scène, ou de mauvaises
estampes enluminées, comme nous en voyons sur nos quais, dont ce pauvre diable a décoré
le dedans de sa tente. Et vous appelez cela la femme, les filles de Scilurus ? Et ces trois autres
figures nues assises en dehors, à droite, en face de l'homme couché, sont-ce trois galériens, trois
roués, trois brigands échappés de la Conciergerie ? Ils sont affreux. Ils font horreur. Quelles
contorsions de corps ! quelles grimaces de visages ! Ils sont à la rame. Qu'on couvre le faisceau
de flèches, et je défie qu'on en juge autrement. Tableau détestable de tout point de dessin,
de couleur, d'effet, de composition, pauvre, sale, mou de touche, papier barbouillé sous la presse
de Gautier. Ce n'est que du jaune et du gris. Aucune différence entre la couverture du lit, et
les chairs des enfants. Les jambes des rameurs grêles à faire peur. A effacer avec la langue.
Dans nos campagnes les mieux ravagées par l'intendance et la ferme, dans la plus misérable
de nos provinces, la Champagne poilleuse ; là où l'impôt et la corvée ont exercé toute leur rage ;
là où le pasteur réduit à la portion congrue n'a pas un liard à donner à ses pauvres ; à la porte
de l'église ou du presbitère , sous la chaumière où le malheureux de pain pour vivre et de paille
pour se coucher, l'artiste aurait trouvé de meilleurs modèles.

Et vous croyez qu'on am a le front d'envoyer cela à un roi. Je vous jure que si j'étois, je ne
vous dis pas le ministre ; je ne vous dis pas le directeur de l'Académie ; mais pur et simple agrée,
je protesterois pour l'honneur de mon corns et de ma nation : et je protesterois si fortement que
Mr Hallé garderoit ce tableau pour faire peur à ses petits-enfants, s'il en a et qu'il en exécuterait
un autre qui répondit un peu mieux au bon gout, aux intentions, de Sa Majesté polonoise.

Son mauvais tableau de la Paix est excusable par l'ingratitude du sujet, mais que dire pour
le Scilurus qui prête à l'art et qui est infiniment plus mauvais. Mon ami, ce pauvre Hallé s'en
va tant qu'il peut. Si ce tableau prêtait à l'art et à toutes ses parties, on peut dire aussi que jamais
sujet ne fut mieux choisi pour décorer la palais d'un Roi de Pologne. Quelle leçon pour une
nation qui s'est avisée de fonder sa liberté sur l'unanimité des suffrages ! Jean Sobieski mourant
n'aurait pu donner à sa nation rassemblée en diète une leçon plus sublime que celle que le Roi
Scilurus donne à sa nombreuse famille. Mais vous savez à quoi servent les leçons, et l'on voit
tous les jours combien il est aisé à la sagesse d'éclairer une nation sur ses vrais intérêts, et de
la réunir pour le parti de la justice et de la raison."

D'après Diderot, Salons, texte établi et présenté par Jean Seznec et Jean Adhémer, III, Salon
1767, Oxford, 1963, pp. 72-73.

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