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ANATOMIE PHILOSOPHIQUE
nent, l'instinct sexuel, universel du moins, partout où nous
trouvons des sexes séparés , mais temporaire. L'instinct ma-
ternel , dont quelques mollusques et quelques crustacés pa-
raissent nous offrir les germes. Nous voyons aussi quelques
espèces de ces derniers animaux nous présenter l'instinct des-
tructeur, qu'il ne faut pas confondre avec le besoin de satisfaire
l'instinct nutritif chez les carnassiers, quoique celui-ci le pro-
voque le plus souvent. Tous les êtres, en effet, détruisent, in-
dépendamment du besoin de se nourrir, pour détruire. Et afin
de s'en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur certains actes
même humains, où quand l'individu commence une oeuvre de
destruction, il la pousse jusqu'à s'enivrer de carnage et de sang,
sous l'influence de l'incitation croissante de l'organe mis en jeu.
Enfin, l'instinct constructeur, qui va acquérir une si grande ex-
tension dans les classes suivantes, commence à apparaître.
Quelques facultés de comparaison et de jugement sont mani-
festes , encore fort restreintes à la vérité, mais pourtant cons-
tatâmes.
Sans entrer dans des détails que tout le monde connaît sur
les mœurs des arachnides, nous devons signaler l'extrême dé-
veloppement que prennent, et l'instinct industriel qui les pousse
à améliorer, par des constructions appropriées, leur condition
personnelle, et l'instinct maternel indiqué par la sollicitude
des femelles pour le produit de la conception. L'araignée porte
en effet ses œufs renfermés dans un petit sac de soie suspendu
à son abdomen; si on les lui enlève, elle devient inquiète et les
cherche partout, si forcée de fuir, elle a dû les abandonner mo-
mentanément, elle reviendra les prendre sitôt que le premier
sentiment de terreur sera passé.
Parmi les aranéides, les unes sont vagabondes et vont à la
chasse. Elles se mettent en embuscade, guettent l'insecte qui
passe, et s'en emparent quand il est à leur portée; les autres
sont sédentaires et attendent patiemment qu'une proie vienne
s'embarrasser dans leur toile. Le caractère qui paraît dominer
tous leurs actes, c'est la prudence qui ne les abandonne jamais,
même quand elles sont sollicitées par un instinct puissant,
comme l'instinct sexuel. Elles se dévorent entre elles et elles le
savent : aussi, quand le mâle, qui est en général plus faible que
la femelle, veut s'approcher d'elle, ce n'est qu'en s'entourant de
mille précautions, toujours prêt à remonter rapidement le fil
auquel il se tient suspendu, si le moindre mouvement de l'autre
lui inspire quelque crainte.
L'araignée sur sa toile sait fort bien distinguer la nature des
mouvemens qui peuvent l'agiter, et ce n'est qu'à bon escient
qu'elle se décide à sortir de sa retraite. On a cru qu'on pouvait
apprivoiser ces animaux. L'histoire de l'araignée de Pelisson et
d'autres plus ou moins dignes de foi ne seraient qu'un cas par-
ticulier de ce fait général qui porte tous les animaux à revenir
aux mêmes lieux où l'expérience leur a prouvé qu'ils trouvaient
une nourriture abondante. Il n'y a d'animaux sociables pour
l'homme que ceux qui sont sociables entre eux, et ce n'est pas le
cas des araignées. On a parlé aussi de leur goût pour la musique,
nous passerons ces histoires sous silence. Toujours est-il qu'on
n'a pas pu déterminer d'une manière satisfaisante le siège de l'au-
dition chez ces êtres. Il en est de même pour l'odorat et le goût
qu'il y a lieu cependant de leur attribuer. Le toucher s'exerce
chez eux à l'aide de leurs longues pattes et de leurs palpes man-
dibulaires. La vue a pour organes un certain nombre d'yeux
simples composés d'une cornée, d'un cristallin et d'une humeur
vitrée s'étendant sur la rétine.
Jusqu'ici les animaux que avons considérés nous ont montré
une existence uniquement dominée par la satisfaction des be-
soins personnels de l'individu. Nous n'avons vu aucun d'eux se
consacrer au service d'une société et subordonner ses besoins à
ceux d'êtres semblables à lui, sauf les cas rares et d'ailleurs tem-
poraires où les instincts maternels et sexuels agissent chez les
espèces où les sexes sont séparés et où il y a quelque sollici-
tude pour les œufs. La classe des insectes va nous présenter des
phénomènes nouveaux. Pris isolément, la fourmi, l'abeille, le
termite, ne sont pas supérieurs à certaines arachnides; considérés
en niasse, leurs facultés, stimulées par des instincts sympathiques
puissants , s'élèvent à une hauteur où un grand nombre de ver-
tébrés ne les suivent pas. Et c'est là un fait constant : tant que
l'existence reste purement personnelle , le développement des
facultés intellectuelles n'atteint pas un grand développement,
dès que l'être a pour mobile de ses actions un sentiment social,
son intelligence devient capable d'efforts que ne comporte pas
la satisfaction de l'égoïsme.
La plupart des insectes ne nous présentent pas d'autres ins-
tincts ni d'autres facultés que celles que nous avons rencontrées
chez les arachnides, il n'y a le plus souvent de bien évidentes
que des différences de degré. Cependant comme leurs mœurs
nous sont en général mieux connues, certaines de leurs manifes-
tations ne sauraient être passées sous silence, ne fût-ce que
pour insister encore sur celte notion, que partout où nous trou-
verons des rapports étendus avec le monde extérieur, nous
verrons aussi des preuves de réflexion, d'expérience et de juge-
ment.
Les êtres pourvus de sens assez développés distinguent parfai-
tement, parmi les objets qui les environnent, ceux dont ils doi-
vent craindre l'approche. Pour en citer quelques exemples, la
mante religieuse, les saltiques, tournent les yeux ou la tête
vers l'homme qui s'avance, se tiennent prêts à partir, dès qu'ils
jugent que la distance devient pour eux un sujet d'inquiétude
réelle. La mouche commune se soulève sur ses pattes au
soupçon d'un danger, et s'envole en s'éloignant de l'ennemi.
Dans les appartemens elle se dirigera toujours vers la lumière,
parce qu'elle sait que le salut est de ce côté; elle ira se heurter à
nos vitres. Cependant certaines d'entre elles, les mouches à
viande , acquièrent bientôt à ce sujet l'expérience d'un obstacle
insurmontable, et elles ne vont s'y butter qu'à la dernière extré-
mité, et si elles n'ont pu trouver ailleurs d'autres issues. Quand
on se promène dans un jardin , il y a certains insectes , les cri-
quets, la cigale plébéienne, qu'on ne découvre que très dif-
ficilement , parce qu'à mesure que l'on s'avance, ils tournent
autour de l'arbre ou de la branche sur lesquels ils se tiennent,
de façon à être toujours cachés, à la manière des écureuils, dont
un bois peut être peuplé sans qu'on en voie jamais un seul.
— Tout le monde sait que quand on s'approche d'un lieu où
l'on entend chanter une cigale, le chant cesse et ne recommence
que quand on s'est éloigné.
Dans la recherche de leur nourriture, les insectes à suçoirs,
tels que les bourdons, les abeilles, ne se rebutent pas quand
elles rencontrent des corolles au fond desquelles elles ne peu-
vent plonger directement leur trompe; elles tournent alors autour
de la fleur et s'insinuent entre le calice et la corolle qu'elles per-
cent à sa base.
Une foule d'insectes contrefont le mort quand ils sont saisis,
espérant ainsi se dérober au danger qui les menace. Les larves
des hydrophyses poussent si loin cet artifice, que malgré leur
ANATOMIE PHILOSOPHIQUE
nent, l'instinct sexuel, universel du moins, partout où nous
trouvons des sexes séparés , mais temporaire. L'instinct ma-
ternel , dont quelques mollusques et quelques crustacés pa-
raissent nous offrir les germes. Nous voyons aussi quelques
espèces de ces derniers animaux nous présenter l'instinct des-
tructeur, qu'il ne faut pas confondre avec le besoin de satisfaire
l'instinct nutritif chez les carnassiers, quoique celui-ci le pro-
voque le plus souvent. Tous les êtres, en effet, détruisent, in-
dépendamment du besoin de se nourrir, pour détruire. Et afin
de s'en convaincre, il suffit de jeter les yeux sur certains actes
même humains, où quand l'individu commence une oeuvre de
destruction, il la pousse jusqu'à s'enivrer de carnage et de sang,
sous l'influence de l'incitation croissante de l'organe mis en jeu.
Enfin, l'instinct constructeur, qui va acquérir une si grande ex-
tension dans les classes suivantes, commence à apparaître.
Quelques facultés de comparaison et de jugement sont mani-
festes , encore fort restreintes à la vérité, mais pourtant cons-
tatâmes.
Sans entrer dans des détails que tout le monde connaît sur
les mœurs des arachnides, nous devons signaler l'extrême dé-
veloppement que prennent, et l'instinct industriel qui les pousse
à améliorer, par des constructions appropriées, leur condition
personnelle, et l'instinct maternel indiqué par la sollicitude
des femelles pour le produit de la conception. L'araignée porte
en effet ses œufs renfermés dans un petit sac de soie suspendu
à son abdomen; si on les lui enlève, elle devient inquiète et les
cherche partout, si forcée de fuir, elle a dû les abandonner mo-
mentanément, elle reviendra les prendre sitôt que le premier
sentiment de terreur sera passé.
Parmi les aranéides, les unes sont vagabondes et vont à la
chasse. Elles se mettent en embuscade, guettent l'insecte qui
passe, et s'en emparent quand il est à leur portée; les autres
sont sédentaires et attendent patiemment qu'une proie vienne
s'embarrasser dans leur toile. Le caractère qui paraît dominer
tous leurs actes, c'est la prudence qui ne les abandonne jamais,
même quand elles sont sollicitées par un instinct puissant,
comme l'instinct sexuel. Elles se dévorent entre elles et elles le
savent : aussi, quand le mâle, qui est en général plus faible que
la femelle, veut s'approcher d'elle, ce n'est qu'en s'entourant de
mille précautions, toujours prêt à remonter rapidement le fil
auquel il se tient suspendu, si le moindre mouvement de l'autre
lui inspire quelque crainte.
L'araignée sur sa toile sait fort bien distinguer la nature des
mouvemens qui peuvent l'agiter, et ce n'est qu'à bon escient
qu'elle se décide à sortir de sa retraite. On a cru qu'on pouvait
apprivoiser ces animaux. L'histoire de l'araignée de Pelisson et
d'autres plus ou moins dignes de foi ne seraient qu'un cas par-
ticulier de ce fait général qui porte tous les animaux à revenir
aux mêmes lieux où l'expérience leur a prouvé qu'ils trouvaient
une nourriture abondante. Il n'y a d'animaux sociables pour
l'homme que ceux qui sont sociables entre eux, et ce n'est pas le
cas des araignées. On a parlé aussi de leur goût pour la musique,
nous passerons ces histoires sous silence. Toujours est-il qu'on
n'a pas pu déterminer d'une manière satisfaisante le siège de l'au-
dition chez ces êtres. Il en est de même pour l'odorat et le goût
qu'il y a lieu cependant de leur attribuer. Le toucher s'exerce
chez eux à l'aide de leurs longues pattes et de leurs palpes man-
dibulaires. La vue a pour organes un certain nombre d'yeux
simples composés d'une cornée, d'un cristallin et d'une humeur
vitrée s'étendant sur la rétine.
Jusqu'ici les animaux que avons considérés nous ont montré
une existence uniquement dominée par la satisfaction des be-
soins personnels de l'individu. Nous n'avons vu aucun d'eux se
consacrer au service d'une société et subordonner ses besoins à
ceux d'êtres semblables à lui, sauf les cas rares et d'ailleurs tem-
poraires où les instincts maternels et sexuels agissent chez les
espèces où les sexes sont séparés et où il y a quelque sollici-
tude pour les œufs. La classe des insectes va nous présenter des
phénomènes nouveaux. Pris isolément, la fourmi, l'abeille, le
termite, ne sont pas supérieurs à certaines arachnides; considérés
en niasse, leurs facultés, stimulées par des instincts sympathiques
puissants , s'élèvent à une hauteur où un grand nombre de ver-
tébrés ne les suivent pas. Et c'est là un fait constant : tant que
l'existence reste purement personnelle , le développement des
facultés intellectuelles n'atteint pas un grand développement,
dès que l'être a pour mobile de ses actions un sentiment social,
son intelligence devient capable d'efforts que ne comporte pas
la satisfaction de l'égoïsme.
La plupart des insectes ne nous présentent pas d'autres ins-
tincts ni d'autres facultés que celles que nous avons rencontrées
chez les arachnides, il n'y a le plus souvent de bien évidentes
que des différences de degré. Cependant comme leurs mœurs
nous sont en général mieux connues, certaines de leurs manifes-
tations ne sauraient être passées sous silence, ne fût-ce que
pour insister encore sur celte notion, que partout où nous trou-
verons des rapports étendus avec le monde extérieur, nous
verrons aussi des preuves de réflexion, d'expérience et de juge-
ment.
Les êtres pourvus de sens assez développés distinguent parfai-
tement, parmi les objets qui les environnent, ceux dont ils doi-
vent craindre l'approche. Pour en citer quelques exemples, la
mante religieuse, les saltiques, tournent les yeux ou la tête
vers l'homme qui s'avance, se tiennent prêts à partir, dès qu'ils
jugent que la distance devient pour eux un sujet d'inquiétude
réelle. La mouche commune se soulève sur ses pattes au
soupçon d'un danger, et s'envole en s'éloignant de l'ennemi.
Dans les appartemens elle se dirigera toujours vers la lumière,
parce qu'elle sait que le salut est de ce côté; elle ira se heurter à
nos vitres. Cependant certaines d'entre elles, les mouches à
viande , acquièrent bientôt à ce sujet l'expérience d'un obstacle
insurmontable, et elles ne vont s'y butter qu'à la dernière extré-
mité, et si elles n'ont pu trouver ailleurs d'autres issues. Quand
on se promène dans un jardin , il y a certains insectes , les cri-
quets, la cigale plébéienne, qu'on ne découvre que très dif-
ficilement , parce qu'à mesure que l'on s'avance, ils tournent
autour de l'arbre ou de la branche sur lesquels ils se tiennent,
de façon à être toujours cachés, à la manière des écureuils, dont
un bois peut être peuplé sans qu'on en voie jamais un seul.
— Tout le monde sait que quand on s'approche d'un lieu où
l'on entend chanter une cigale, le chant cesse et ne recommence
que quand on s'est éloigné.
Dans la recherche de leur nourriture, les insectes à suçoirs,
tels que les bourdons, les abeilles, ne se rebutent pas quand
elles rencontrent des corolles au fond desquelles elles ne peu-
vent plonger directement leur trompe; elles tournent alors autour
de la fleur et s'insinuent entre le calice et la corolle qu'elles per-
cent à sa base.
Une foule d'insectes contrefont le mort quand ils sont saisis,
espérant ainsi se dérober au danger qui les menace. Les larves
des hydrophyses poussent si loin cet artifice, que malgré leur