DU BESTIAIRE : SA FORME ARMÉNIENNE.
119
seurs ne peuvent saisir. Ses longues cornes, semblables à des scies, séparent de son
tronc l’arbre le plus robuste. Lorsqu’il a soif, il va à la rivière d’Aradzane L II y
trouve des forêts (des fourrés ?) à petites brandies, qui s’appellent vespertines 2, et l’ani-
mal commence, au moyen de ses cornes, à se battre avec ces arbres (à se débattre
dans). Mais les branches, s’entremêlant avec ses cornes, l’arrêtent dans sa fureur,
et ne lui permettent point de s'échapper. Il pousse des cris affreux, ses hurle-
ments frappent l’oreille du chasseur; celui-ci accourt, et l’étend à terre d’un coup
de sa lance 3.
Et toi aussi, prêtre ou religieux, lorsque tu te confiais en tes cornes, des paroles
vaines inondaient (se répandaient) de ta bouche, ta main amassait de l’or, ton cœur
aspirait au monde, tu tombais dans les pièges que te tendait le démon. Maintenant
(tandis) que les anges se réjouissent avec toi, prends garde de trop te confier à tes
deux cornes, c’est-à-dire les deux Testaments4. Il peut arriver que tu t’amuses à
pénétrer dans des forêts touffues, que tu te joues avec un vêtement, avec quelques
pièces d’argent, ou tout autre désir ; qui t’arrêtent dans la route que t’a ouverte ton
Seigneur, et qui te lient avec les esprits infernaux. Evite le démon, ce chasseur des
plus habiles; s’il t’atteint, il te serre dans ses griffes, et une triste mort va terminer
ta carrière. O homme aimé de Dieu, éloigne-toi du vin et de la femme.
III. — DES CAILLOUX QUI FONT JAILLIR LE FEU5.
Il existe dans la nature des pierres mâles et des pierres femelles qui sont propres
à produire du feu 6. Séparées, elles n’en produisent pas ; mais si elles se rencon-
trent, un feu s’allume qui brûle à l’environ.
O toi, homme vertueux (religieux ?), dont le cœur est animé de bonnes résolutions,
apprends que Joseph et Samson étaient justes, mais qu’ils furent tentés à l’occasion
d’une femme.
t. Il, p. 117, svv.—• Spic. Sol., ibid'.j p. 3Zil ; et 534, sq.
— S. Pétri Damiani Opp. t. III, p. 807, sq, (Bassano,
1783).
1. Aradzani est le nom arménien du haut Euphrate mé-
ridional, et tous les anciens textes occidentaux du Bestiaire
conduisent en effet l’hydrops (ou antalops) sur les bords
de ce fleuve. Nouvelle probabilité pour l’origine mésopo-
tamienne (ou assyrienne) que j’attribue au Physiologus.
2. Vespertine ici, érécine (ou héricine) ailleurs. Il doit
y avoir en ce point quelque imbroglio entre l’expression
grecque et l’arménienne, où mon défaut de compétence
m’empêche de proposer un dernier mot. — Cf. Mélanges,
Ire série, t. Il, p. 116, note 4 ; et p. 117, note 14.— Spicileg.
Solesm., loc. cit., p. 341, note 1; etc.
3. Certains symbolistes ont prétendu que la licorne aussi
devient la proie des chasseurs lorsque sa corne a donné
contre un certain arbrisseau; mais c’est presque évidem-
ment un emprunt fait à l’histoire de Y Antalops (Antelops,
autalops), qui estl’hydroppe du texte arménien (cf. Aug. de
Bastard, Mémoire sur les crosses, p. 763). Cela conduirait
à faire de Y Antalops (ou Urus) un symbole de Notre-Sei-
gneur mort en priant pour nous cum clamore valido et la-
crymis (.Hebr. v, 7). Or un animal représentant à la fois
Jésus-Christ et l’homme perdu par le péché produirait du
symbolisme trop confus, qui n’est pas dans les habitudes
des Bestiaires primitifs.
4. Le texte arménien, beaucoup plus clairement que le
grec, s’adresse ici et ailleurs aux religieux qui font profes»
sion d’études théologiques. Saint Pierre Damien, quand il
arrangeait le Bestiaire, intitulait aussi son opuscule De
bono religiosi status. Mais le vieux Physiologus ne semble
pas avoir restreint si fort la portée de tous ses articles.
5. Cf. Mélanges d'archéologie, ibid., t. II, p. 126. — Spicil.
Solesm., t. III, p. 341. — Pétri Damiani Opusc. LII (Opp.
t. III, p. 808, sq.).
6. Dans les miniatures ou dessins à la plume du ms.
de Bruxelles (Cf. Mélanges d’archéologie, t. II, p. 128, et
pl. XXIV), l’anneau que tient un moine en sa main droite
près de la pierre qui flambe à gauche, fait aisément songer
à un briquet ou fusil (au sens du vieux mot qui fit nommer
les mousquets à pyrite ou à silex). Cela rappelle l’opinion
de Nonnus (Dionysiacor., II, 93, sq.), sur le principe sexuel
qui lui semble expliquer l’ignition en pareil cas. Or Nonnus
était Égyptien de naissance, et Asiatique d’autant.
119
seurs ne peuvent saisir. Ses longues cornes, semblables à des scies, séparent de son
tronc l’arbre le plus robuste. Lorsqu’il a soif, il va à la rivière d’Aradzane L II y
trouve des forêts (des fourrés ?) à petites brandies, qui s’appellent vespertines 2, et l’ani-
mal commence, au moyen de ses cornes, à se battre avec ces arbres (à se débattre
dans). Mais les branches, s’entremêlant avec ses cornes, l’arrêtent dans sa fureur,
et ne lui permettent point de s'échapper. Il pousse des cris affreux, ses hurle-
ments frappent l’oreille du chasseur; celui-ci accourt, et l’étend à terre d’un coup
de sa lance 3.
Et toi aussi, prêtre ou religieux, lorsque tu te confiais en tes cornes, des paroles
vaines inondaient (se répandaient) de ta bouche, ta main amassait de l’or, ton cœur
aspirait au monde, tu tombais dans les pièges que te tendait le démon. Maintenant
(tandis) que les anges se réjouissent avec toi, prends garde de trop te confier à tes
deux cornes, c’est-à-dire les deux Testaments4. Il peut arriver que tu t’amuses à
pénétrer dans des forêts touffues, que tu te joues avec un vêtement, avec quelques
pièces d’argent, ou tout autre désir ; qui t’arrêtent dans la route que t’a ouverte ton
Seigneur, et qui te lient avec les esprits infernaux. Evite le démon, ce chasseur des
plus habiles; s’il t’atteint, il te serre dans ses griffes, et une triste mort va terminer
ta carrière. O homme aimé de Dieu, éloigne-toi du vin et de la femme.
III. — DES CAILLOUX QUI FONT JAILLIR LE FEU5.
Il existe dans la nature des pierres mâles et des pierres femelles qui sont propres
à produire du feu 6. Séparées, elles n’en produisent pas ; mais si elles se rencon-
trent, un feu s’allume qui brûle à l’environ.
O toi, homme vertueux (religieux ?), dont le cœur est animé de bonnes résolutions,
apprends que Joseph et Samson étaient justes, mais qu’ils furent tentés à l’occasion
d’une femme.
t. Il, p. 117, svv.—• Spic. Sol., ibid'.j p. 3Zil ; et 534, sq.
— S. Pétri Damiani Opp. t. III, p. 807, sq, (Bassano,
1783).
1. Aradzani est le nom arménien du haut Euphrate mé-
ridional, et tous les anciens textes occidentaux du Bestiaire
conduisent en effet l’hydrops (ou antalops) sur les bords
de ce fleuve. Nouvelle probabilité pour l’origine mésopo-
tamienne (ou assyrienne) que j’attribue au Physiologus.
2. Vespertine ici, érécine (ou héricine) ailleurs. Il doit
y avoir en ce point quelque imbroglio entre l’expression
grecque et l’arménienne, où mon défaut de compétence
m’empêche de proposer un dernier mot. — Cf. Mélanges,
Ire série, t. Il, p. 116, note 4 ; et p. 117, note 14.— Spicileg.
Solesm., loc. cit., p. 341, note 1; etc.
3. Certains symbolistes ont prétendu que la licorne aussi
devient la proie des chasseurs lorsque sa corne a donné
contre un certain arbrisseau; mais c’est presque évidem-
ment un emprunt fait à l’histoire de Y Antalops (Antelops,
autalops), qui estl’hydroppe du texte arménien (cf. Aug. de
Bastard, Mémoire sur les crosses, p. 763). Cela conduirait
à faire de Y Antalops (ou Urus) un symbole de Notre-Sei-
gneur mort en priant pour nous cum clamore valido et la-
crymis (.Hebr. v, 7). Or un animal représentant à la fois
Jésus-Christ et l’homme perdu par le péché produirait du
symbolisme trop confus, qui n’est pas dans les habitudes
des Bestiaires primitifs.
4. Le texte arménien, beaucoup plus clairement que le
grec, s’adresse ici et ailleurs aux religieux qui font profes»
sion d’études théologiques. Saint Pierre Damien, quand il
arrangeait le Bestiaire, intitulait aussi son opuscule De
bono religiosi status. Mais le vieux Physiologus ne semble
pas avoir restreint si fort la portée de tous ses articles.
5. Cf. Mélanges d'archéologie, ibid., t. II, p. 126. — Spicil.
Solesm., t. III, p. 341. — Pétri Damiani Opusc. LII (Opp.
t. III, p. 808, sq.).
6. Dans les miniatures ou dessins à la plume du ms.
de Bruxelles (Cf. Mélanges d’archéologie, t. II, p. 128, et
pl. XXIV), l’anneau que tient un moine en sa main droite
près de la pierre qui flambe à gauche, fait aisément songer
à un briquet ou fusil (au sens du vieux mot qui fit nommer
les mousquets à pyrite ou à silex). Cela rappelle l’opinion
de Nonnus (Dionysiacor., II, 93, sq.), sur le principe sexuel
qui lui semble expliquer l’ignition en pareil cas. Or Nonnus
était Égyptien de naissance, et Asiatique d’autant.