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MÉLANGES d’ARCIIÉOT.OGIE.
qui laisse un vague fâcheux dans l’esprit du lecteur; c’est surtout l’emploi trop multiplié de
textes dont la valeur n’est pas pesée avec soin, et qui conduiraient très-facilement à des
interprétations fantastiques pour ceux qui se contentent du premier texte venu en prenant
le soi-disant Méliton et autres pour parole d’Evangile. Cela dit, sans plus, je crois pouvoir
bien reprendre nos chapiteaux angevins, en m’abstenant de toute polémique pour cette fois.
Il ne doit pas être question de répéter aujourd’hui ce qui est imprimé ailleurs depuis
des années, et très-passable en bonne partie. (lue le chapiteau A représente l’Annonciation,
je ne songe pas à Je regarder comme douteux; et les détails de l’explication donnée par le
P. Arthur Martin méritent d’être consultés dans le texte laissé par lui1. Mais puisque ce
monument reparaît dans notre collection de sculptures dont la signification n’est pas
évidente, pourquoi ne dirais-je point aujourd’hui que l’explication donnée jadis au
chapiteau B me semble au moins discutable2?
Le P. A. Martin s’était épris de la mythologie Scandinave, qu’il ne pouvait cependant
étudier sans le secours des traductions et des travaux de seconde main. Genre d’études
extrêmement périlleux, parce que les vérifications y reposent toujours sur la foi d’autrui ;
en sorte que vous n’y cheminez jamais qu’escorté d’un guide-trucheman qui s’interpose
sans cesse entre vous et les choses du pays, que vous croyez voir de vos yeux. De fait,
vous ne voyez vraiment que ce qu’on veut bien vous laisser voir, et sous le jour choisi
par votre cicerone. C’est donc alors grand bonheur si votre rôle ne devient pas souvent
celui d’un aveugle conduit par son chien. Mon confrère n’était pas de cet avis apparemment;
ou du moins l’activité curieuse de son esprit d’artiste lui persuadait que voyager ainsi
en contrées lointaines était encore préférable à ne pas y voyager du tout. Le docte Finn
Ma gnussen3 lui semblait un initiateur à peu près suffisant, et il en usait volontiers pour
des cas où la légende norraine n’était pas nécessairement en cause. Sans partager son
enthousiasme pour cette source d’instruction, je lui montrai çà et là que, même dans son
parti pris, les applications de ce système n’étaient pas suffisamment soutenues par des
motifs doués de valeur au moins plausible4. Mais il allait de l’avant sans sourciller,
comme bien d’autres.
des bons vouloirs qui croissent au cimetière pour la pre-
mière fois. Grand bien advienne à qui obtient des speeches
de préconisation sur sa tombe ! Pour moi, je dis, sans plus,
avec l’Écriture sainte : « Beati mortui qui in Domino mo-
riuntur. » Le reste peut devenir matière aux Vapereaux
posthumes qui ne seront pas nos trop proches voisins.
1. Cependant il n’est pas clair que sainte Élisabeth soit
représentée parla femme qui semble témoin de l’Annon-
ciation. Cf. Seroux d’Agincourt, Sculpture, pl. XXVI, n° 1.
S. Ambroise, saint Jérôme, saint Bernard et les Évangiles
apocryphes peuvent produire un défilé imposant pour des
regards novices; mais pour qui ne se contente pas du pre-
mier aspect, ce sont des quantités hétérogènes qui ne
s’additionnent point les unes avec les autres en même
somme. Ne laissons pas croire aux compilateurs laborieux,
si consciencieux fussent-ils quant àl’exaclitude matérielle,
que le nombre des citations fasse trébucher la balance.
C’est leur choix et leur concordance qui valent (sériés junc-
turaque), sans quoi elles sont comme non avenues. Que si
l’on mêle des autorités divergentes, il faut donner à chaque
groupe homogène sa place distincte; et ne pas mêler en un
seul bloc ce qui se refuse à l’association. Faute de ce soin.
que j’appellerais l’ABC de toute recherche, l’érudition
deviendra trop justement ridicule. Ne nous lassons pas de
répéter la devise de Letronne (empreinte en grec sur les
livres de sa bibliothèque) : « Puiser dans les textes plus ou
moins scientifiques, c’est bien ; mais encore serait-il bon
de ne les alléguer qu’à propos. »
2. M. le comte Aug. de Bastard, dans son Mémoire sur les
crosses (p. 538, et 596, svv.), avait déjà fait observer que l’ex-
plication imprimée par la Société des antiquaires prêtait à
plus d’une difficulté. Je ne lui laissai pas ignorer dès lors
que son avis était aussi le mien en plus d’un cas; sans
toutefois passer condamnation sur l’ensemble de ses cri-
tiques. Car il est des gens à qui l’on peut exposer sa ma-
nière de voir, sans se brouiller avec eux pour cela.
3. Priscæ veterum borealium mythologue lexicon. Havniæ,
1828, in-Zi.
li. Ainsi, pour le chandelier de M. Sauvageot [Mélanges...,
lre série, t. I, pl. XVII, fig. C, D, E), il semblait utile de
faire observer que le voile de la femme a beaucoup d’ana-
logie avec celui des religieuses de Sainte-Brigitte. Puis-
qu’il s’agissait d’attribuer aux Scandinaves plusieurs motifs
d’ornementation dans les chandeliers, n’eût-ce pas été
MÉLANGES d’ARCIIÉOT.OGIE.
qui laisse un vague fâcheux dans l’esprit du lecteur; c’est surtout l’emploi trop multiplié de
textes dont la valeur n’est pas pesée avec soin, et qui conduiraient très-facilement à des
interprétations fantastiques pour ceux qui se contentent du premier texte venu en prenant
le soi-disant Méliton et autres pour parole d’Evangile. Cela dit, sans plus, je crois pouvoir
bien reprendre nos chapiteaux angevins, en m’abstenant de toute polémique pour cette fois.
Il ne doit pas être question de répéter aujourd’hui ce qui est imprimé ailleurs depuis
des années, et très-passable en bonne partie. (lue le chapiteau A représente l’Annonciation,
je ne songe pas à Je regarder comme douteux; et les détails de l’explication donnée par le
P. Arthur Martin méritent d’être consultés dans le texte laissé par lui1. Mais puisque ce
monument reparaît dans notre collection de sculptures dont la signification n’est pas
évidente, pourquoi ne dirais-je point aujourd’hui que l’explication donnée jadis au
chapiteau B me semble au moins discutable2?
Le P. A. Martin s’était épris de la mythologie Scandinave, qu’il ne pouvait cependant
étudier sans le secours des traductions et des travaux de seconde main. Genre d’études
extrêmement périlleux, parce que les vérifications y reposent toujours sur la foi d’autrui ;
en sorte que vous n’y cheminez jamais qu’escorté d’un guide-trucheman qui s’interpose
sans cesse entre vous et les choses du pays, que vous croyez voir de vos yeux. De fait,
vous ne voyez vraiment que ce qu’on veut bien vous laisser voir, et sous le jour choisi
par votre cicerone. C’est donc alors grand bonheur si votre rôle ne devient pas souvent
celui d’un aveugle conduit par son chien. Mon confrère n’était pas de cet avis apparemment;
ou du moins l’activité curieuse de son esprit d’artiste lui persuadait que voyager ainsi
en contrées lointaines était encore préférable à ne pas y voyager du tout. Le docte Finn
Ma gnussen3 lui semblait un initiateur à peu près suffisant, et il en usait volontiers pour
des cas où la légende norraine n’était pas nécessairement en cause. Sans partager son
enthousiasme pour cette source d’instruction, je lui montrai çà et là que, même dans son
parti pris, les applications de ce système n’étaient pas suffisamment soutenues par des
motifs doués de valeur au moins plausible4. Mais il allait de l’avant sans sourciller,
comme bien d’autres.
des bons vouloirs qui croissent au cimetière pour la pre-
mière fois. Grand bien advienne à qui obtient des speeches
de préconisation sur sa tombe ! Pour moi, je dis, sans plus,
avec l’Écriture sainte : « Beati mortui qui in Domino mo-
riuntur. » Le reste peut devenir matière aux Vapereaux
posthumes qui ne seront pas nos trop proches voisins.
1. Cependant il n’est pas clair que sainte Élisabeth soit
représentée parla femme qui semble témoin de l’Annon-
ciation. Cf. Seroux d’Agincourt, Sculpture, pl. XXVI, n° 1.
S. Ambroise, saint Jérôme, saint Bernard et les Évangiles
apocryphes peuvent produire un défilé imposant pour des
regards novices; mais pour qui ne se contente pas du pre-
mier aspect, ce sont des quantités hétérogènes qui ne
s’additionnent point les unes avec les autres en même
somme. Ne laissons pas croire aux compilateurs laborieux,
si consciencieux fussent-ils quant àl’exaclitude matérielle,
que le nombre des citations fasse trébucher la balance.
C’est leur choix et leur concordance qui valent (sériés junc-
turaque), sans quoi elles sont comme non avenues. Que si
l’on mêle des autorités divergentes, il faut donner à chaque
groupe homogène sa place distincte; et ne pas mêler en un
seul bloc ce qui se refuse à l’association. Faute de ce soin.
que j’appellerais l’ABC de toute recherche, l’érudition
deviendra trop justement ridicule. Ne nous lassons pas de
répéter la devise de Letronne (empreinte en grec sur les
livres de sa bibliothèque) : « Puiser dans les textes plus ou
moins scientifiques, c’est bien ; mais encore serait-il bon
de ne les alléguer qu’à propos. »
2. M. le comte Aug. de Bastard, dans son Mémoire sur les
crosses (p. 538, et 596, svv.), avait déjà fait observer que l’ex-
plication imprimée par la Société des antiquaires prêtait à
plus d’une difficulté. Je ne lui laissai pas ignorer dès lors
que son avis était aussi le mien en plus d’un cas; sans
toutefois passer condamnation sur l’ensemble de ses cri-
tiques. Car il est des gens à qui l’on peut exposer sa ma-
nière de voir, sans se brouiller avec eux pour cela.
3. Priscæ veterum borealium mythologue lexicon. Havniæ,
1828, in-Zi.
li. Ainsi, pour le chandelier de M. Sauvageot [Mélanges...,
lre série, t. I, pl. XVII, fig. C, D, E), il semblait utile de
faire observer que le voile de la femme a beaucoup d’ana-
logie avec celui des religieuses de Sainte-Brigitte. Puis-
qu’il s’agissait d’attribuer aux Scandinaves plusieurs motifs
d’ornementation dans les chandeliers, n’eût-ce pas été