BAS-RELIEFS MYSTÉRIEUX : TALLOTRES.
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compliquer sa nature animale que le bec représente presque seul ici. N’incidentons pas
trop sur des accessoires, après avoir constaté qu’ils sont variables. Pourtant il s’agissait
bien au bord du lac d’Annecy, non moins que dans Y Ile-de-France au xme siècle, du
salvage home dont je livre l’examen anatomique aux anthropoïdistes et aux darwiniens,
quand iis rencontreront son crâne dans quelque grotte inexplorée jusqu’à nos jours.
M. Ducrotay de Blainville, à propos des Bestiaires que j’étudiais depuis 1841, me disait
qu’il avait toujours soin d’examiner attentivement toute vieille peinture ou sculpture
offrant quelque chance d’appréciation zoologique pour les êtres des siècles passés. Ici,
disons-le tout de suite, nous n’avons vraiment affaire qu’à l’anatomie de l’âme humaine,
qui est un monde suigeneris. Quant au béret de notre centaure, l’expliquera qui voudra. Je
n’y soupçonne pas importance majeure.
Philippe de Thaun1 mentionne, sans doute, le centaure; mais ici, comme dans les
miniatures de l’Arsenal, ce monstre est percé par le sauvage qui atteint aussi les autres.
L’intention du sculpteur savoyard semble donc assez d’accord avec le manuscrit de l’Arsenal
que je tâche d’abréger en le traduisant. « Centaure ou sagittaire, c’est l’homme animal
(terrestre), et le sauvage représente la lutte entre corps et âme dans un même individu.
L’âme peut vaincre son ennemi quotidien, mais moyennant aide du Ciel et volonté sou-
tenue constamment. — Il faut donc que le chrétien s’attende à rude guerre, mais sache
que prière et sacrements le peuvent conduire à la joie sans fin en dépit des périls journa-
liers qui l’entourent. »
Ainsi, doctrine peu mystique sous sa forme bizarre pour les spectateurs d’aujourd’hui,
le fils d’Adam n’est que trop le prochain des bêtes ; et cependant, même en sa déchéance
depuis le péché originel, il lui reste des moyens surnaturels pour s’affranchir de sa
parenté bestiale et s’élever au rang d’enfant de Dieu. Il y faudra bataille continuelle, mais
le triomphe est à ce prix.
Les vieux Bestiaires latins de Berne et de Bruxelles 2 nous donnent le centaure comme
symbole de l’homme qui s’abandonne aux passions, et cherche ensuite à faire dominer
ce règne animal autour de lui. Notre sauvage, au contraire, sans posséder la même
force brutale, pourra terrasser des ennemis en apparence indomptables, pourvu qu’il
se procure l’aide de Dieu. Saint Bernard était parfaitement le maître d’interdire tout
1. Ed. Th. Wright, p. 93, sv. « Onocentaurus pingilur
» semihorno et asinus. Pars... hominis ralionabilem crea-
» luram sigaificat, et parsasini rusticitatem désignât.» Cf.
Mélanges..., Ire série, t. II, p. 173, svv.
2. Cf. Mélanges..., Il'e série, t. II, loc. cit.\ et pl. XXIII,
fig. BX (ms. de Bruxelles).
On voit qn’en citant des textes qui ont une certaine no-
toriété, je ne force pas l’interprétation, et ne suppose point
ce qui n’est pas bien établi. M. l’abbé Auber suit une autre
méthode. Ainsi l’âne et l’onagre se confondent pour lui au
besoin (Histoire du symbolisme..., t. Il, p. d62, etc.); puis cet
âne, qui n’est point du tout l’onagre, devient symbole de
l’ignorance, delà Synagogue, ou même du Sauveur! Tirez-
vous donc de ces broussailles : «Rôti, bouilli, même chose.... ;
qui dit parenchyme, dit l’un et l’autre (foie ou rate).»
Veut-on livrer le symbolisme ecclésiastique aux moqueries
des bouffons? Ailleurs le même livre parle du symbolisme
adopté par M. Flandrin pour le côté sud de l’église Saint-
Vincent de Paul, à Paris, où il aperçoit des pensées mer-
veilleuses (y compris un regain futur pour la dévotion
à saint Joseph). Or, attendu que c’est bien moi qui avais
tracé à M. Flandrin son programme, je puis donner ici ma
parole d’honneur comme quoi nul de nous deux n’a subi
l’inspiration prêtée pieusement au peintre. Ace sujet, aussi
bien que pour diverses inventions plus ou moins transcen-
dantes imaginées par d’autres encore, M. Ilippolyte Flan-
drin et moi n’avons pas laissé de nous divertir en petit
comité sur les belles idées que l’on nous attribuait gratui-
tement dans cette frise du sud et du nord (de droite et de
gauche). Nous y avons mis, sans plus, la simplicité d’un bon
villageois chrétien; après quoi le talent de l’artiste n’a
pas nui au résultat, dans l’exécution. Je ne me découvre
en ceci que comme un témoin survivant qui peut apporter
lumière à l’instruction posthume du procès ; et pour discré-
diter consciencieusement le mysticisme de fantaisie qui
m’est antipathique en proportion même des études que j’ai
données au vrai symbolisme traditionnel, lequel n’est pas
si élastique (quoi qu'on die).
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compliquer sa nature animale que le bec représente presque seul ici. N’incidentons pas
trop sur des accessoires, après avoir constaté qu’ils sont variables. Pourtant il s’agissait
bien au bord du lac d’Annecy, non moins que dans Y Ile-de-France au xme siècle, du
salvage home dont je livre l’examen anatomique aux anthropoïdistes et aux darwiniens,
quand iis rencontreront son crâne dans quelque grotte inexplorée jusqu’à nos jours.
M. Ducrotay de Blainville, à propos des Bestiaires que j’étudiais depuis 1841, me disait
qu’il avait toujours soin d’examiner attentivement toute vieille peinture ou sculpture
offrant quelque chance d’appréciation zoologique pour les êtres des siècles passés. Ici,
disons-le tout de suite, nous n’avons vraiment affaire qu’à l’anatomie de l’âme humaine,
qui est un monde suigeneris. Quant au béret de notre centaure, l’expliquera qui voudra. Je
n’y soupçonne pas importance majeure.
Philippe de Thaun1 mentionne, sans doute, le centaure; mais ici, comme dans les
miniatures de l’Arsenal, ce monstre est percé par le sauvage qui atteint aussi les autres.
L’intention du sculpteur savoyard semble donc assez d’accord avec le manuscrit de l’Arsenal
que je tâche d’abréger en le traduisant. « Centaure ou sagittaire, c’est l’homme animal
(terrestre), et le sauvage représente la lutte entre corps et âme dans un même individu.
L’âme peut vaincre son ennemi quotidien, mais moyennant aide du Ciel et volonté sou-
tenue constamment. — Il faut donc que le chrétien s’attende à rude guerre, mais sache
que prière et sacrements le peuvent conduire à la joie sans fin en dépit des périls journa-
liers qui l’entourent. »
Ainsi, doctrine peu mystique sous sa forme bizarre pour les spectateurs d’aujourd’hui,
le fils d’Adam n’est que trop le prochain des bêtes ; et cependant, même en sa déchéance
depuis le péché originel, il lui reste des moyens surnaturels pour s’affranchir de sa
parenté bestiale et s’élever au rang d’enfant de Dieu. Il y faudra bataille continuelle, mais
le triomphe est à ce prix.
Les vieux Bestiaires latins de Berne et de Bruxelles 2 nous donnent le centaure comme
symbole de l’homme qui s’abandonne aux passions, et cherche ensuite à faire dominer
ce règne animal autour de lui. Notre sauvage, au contraire, sans posséder la même
force brutale, pourra terrasser des ennemis en apparence indomptables, pourvu qu’il
se procure l’aide de Dieu. Saint Bernard était parfaitement le maître d’interdire tout
1. Ed. Th. Wright, p. 93, sv. « Onocentaurus pingilur
» semihorno et asinus. Pars... hominis ralionabilem crea-
» luram sigaificat, et parsasini rusticitatem désignât.» Cf.
Mélanges..., Ire série, t. II, p. 173, svv.
2. Cf. Mélanges..., Il'e série, t. II, loc. cit.\ et pl. XXIII,
fig. BX (ms. de Bruxelles).
On voit qn’en citant des textes qui ont une certaine no-
toriété, je ne force pas l’interprétation, et ne suppose point
ce qui n’est pas bien établi. M. l’abbé Auber suit une autre
méthode. Ainsi l’âne et l’onagre se confondent pour lui au
besoin (Histoire du symbolisme..., t. Il, p. d62, etc.); puis cet
âne, qui n’est point du tout l’onagre, devient symbole de
l’ignorance, delà Synagogue, ou même du Sauveur! Tirez-
vous donc de ces broussailles : «Rôti, bouilli, même chose.... ;
qui dit parenchyme, dit l’un et l’autre (foie ou rate).»
Veut-on livrer le symbolisme ecclésiastique aux moqueries
des bouffons? Ailleurs le même livre parle du symbolisme
adopté par M. Flandrin pour le côté sud de l’église Saint-
Vincent de Paul, à Paris, où il aperçoit des pensées mer-
veilleuses (y compris un regain futur pour la dévotion
à saint Joseph). Or, attendu que c’est bien moi qui avais
tracé à M. Flandrin son programme, je puis donner ici ma
parole d’honneur comme quoi nul de nous deux n’a subi
l’inspiration prêtée pieusement au peintre. Ace sujet, aussi
bien que pour diverses inventions plus ou moins transcen-
dantes imaginées par d’autres encore, M. Ilippolyte Flan-
drin et moi n’avons pas laissé de nous divertir en petit
comité sur les belles idées que l’on nous attribuait gratui-
tement dans cette frise du sud et du nord (de droite et de
gauche). Nous y avons mis, sans plus, la simplicité d’un bon
villageois chrétien; après quoi le talent de l’artiste n’a
pas nui au résultat, dans l’exécution. Je ne me découvre
en ceci que comme un témoin survivant qui peut apporter
lumière à l’instruction posthume du procès ; et pour discré-
diter consciencieusement le mysticisme de fantaisie qui
m’est antipathique en proportion même des études que j’ai
données au vrai symbolisme traditionnel, lequel n’est pas
si élastique (quoi qu'on die).