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MÉLANGES D’ARCHÉOLOGIE.
cela dans les monastères de son ordre; et si c’était par esprit de pauvreté, je l’en laisse
juge, lui et ses soutenants. Mais, pour le grand scandale qu’il en témoigne, ce n’était
vraiment pas Ja peine d’être si sévère et de faire la grosse voix contre Cluny qui venait
de produire maint homme utile à tonte l’Église*. Les bénédictins des branches anté-
rieures n’avaient pas pris le carême trop haut, comme on dit en Belgique; et s’ils trou-
vaient en ces ligures des leçons que pût entendre le bon public, ce n’est pas moi qui leur
jetterai la pierre pour pareil méfait. Or l’aire d’extension qui se constate aisément pour
le cours de ces représentations maintenant presque incomprises, fait bien voir qu’on y
apercevait au fond quelque chose de plus que simple fantaisie.
Le christianisme n’a jamais enseigné que nos premiers pères eussent commencé par
l’état sauvage, et les classiques n’y songeaient sûrement guère non plus quand ils faisaient
commencer le monde par l’âge d’or; mais il nous apprend que l’homme, déchu par les
suites de la faute d’Adam, est devenu très-voisin de l’animal déraisonnable (ps. xlviu, 13,
21; etc.). Malgré cela, et grâce à la rédemption2, il entend que nous puissions nous
relever. Dans la miniature de l’Arsenal, cet homme nu peut venir à bout du lion dont
il prend Ja peau pour vêtement ; et le centaure lui-même n’est pas à l’abri de ses coups.
A Talloires, il triomphe en outre d’un monstre encore plus bizarre et quasi plus mena-
çant. C’est dire qu’à volonté vaillante et chrétienne nulle victoire n’est impossible3. Que
cette lutte soit difficile, ce n’est pas la question; il s’agit du résultat, qui est assuré si le
fidèle tient bon et profile des avantages que Dieu lui fait.
Quant au petit homme qui semble pouffer de rire sur la mésaventure des monstres
atteints dans son voisinage sous le trait de notre saloage home (tig. B), tient-on beaucoup
à ce que je l’explique? A tout hasard je dirai qu’il me semble [exprimer le mot du
psautier (ps. cxxui, 7) : « Notre âme s’est dérobée au filet des chasseurs. » Cf. ps. xc, 3. —
Jerem. xvi, 16. Etc.
1. Les cisterciens eux-mêmes, à quelque temps de là,
ne laissèrent pas d’admettre certains fabliaux un peu gais
dans leurs cloîlres. Mais s’il en pouvait sortir leçon morale
sur les périls du cœur humain, cela ne valait pas moins
pour des religieux que pour des séculiers. Horace peut être
écouté en fait d’art, même plastique :
« Segnius irritant animos demissa per aurem,
Quam quæ sunt oculis subjecta fidehbus. »
L’Église ne parle pas d’une façon très-différente lors-
qu’elle dit à propos de l’Incarnation :<i... Ut dum visibiliter
» Deum cognoscimus, per hune in invisibilium amorem
» rapiamur. »
2. «... Ut nos divinitatis suæ tribueret esse participes.»
3. Je n’oserais pourtant pas affirmer que l’espèce de dra-
gon percé d’une flèche dans la sculpture B ne doive pas
sa blessure à l’arc du centaure. En ce cas, la force de ce
dernier indiquerait d’autant plus le triomphe prochain du
salvage home, quand il sera venu à bout de son principal
ennemi. Comme disaient jadis les jurisconsultes : Vincens
vincentem te, multo magis vincit te. Raison et foi combinées
lui apprendront à débarrasser la terre des monstres, comme
son cœur des passions brutales.
MÉLANGES D’ARCHÉOLOGIE.
cela dans les monastères de son ordre; et si c’était par esprit de pauvreté, je l’en laisse
juge, lui et ses soutenants. Mais, pour le grand scandale qu’il en témoigne, ce n’était
vraiment pas Ja peine d’être si sévère et de faire la grosse voix contre Cluny qui venait
de produire maint homme utile à tonte l’Église*. Les bénédictins des branches anté-
rieures n’avaient pas pris le carême trop haut, comme on dit en Belgique; et s’ils trou-
vaient en ces ligures des leçons que pût entendre le bon public, ce n’est pas moi qui leur
jetterai la pierre pour pareil méfait. Or l’aire d’extension qui se constate aisément pour
le cours de ces représentations maintenant presque incomprises, fait bien voir qu’on y
apercevait au fond quelque chose de plus que simple fantaisie.
Le christianisme n’a jamais enseigné que nos premiers pères eussent commencé par
l’état sauvage, et les classiques n’y songeaient sûrement guère non plus quand ils faisaient
commencer le monde par l’âge d’or; mais il nous apprend que l’homme, déchu par les
suites de la faute d’Adam, est devenu très-voisin de l’animal déraisonnable (ps. xlviu, 13,
21; etc.). Malgré cela, et grâce à la rédemption2, il entend que nous puissions nous
relever. Dans la miniature de l’Arsenal, cet homme nu peut venir à bout du lion dont
il prend Ja peau pour vêtement ; et le centaure lui-même n’est pas à l’abri de ses coups.
A Talloires, il triomphe en outre d’un monstre encore plus bizarre et quasi plus mena-
çant. C’est dire qu’à volonté vaillante et chrétienne nulle victoire n’est impossible3. Que
cette lutte soit difficile, ce n’est pas la question; il s’agit du résultat, qui est assuré si le
fidèle tient bon et profile des avantages que Dieu lui fait.
Quant au petit homme qui semble pouffer de rire sur la mésaventure des monstres
atteints dans son voisinage sous le trait de notre saloage home (tig. B), tient-on beaucoup
à ce que je l’explique? A tout hasard je dirai qu’il me semble [exprimer le mot du
psautier (ps. cxxui, 7) : « Notre âme s’est dérobée au filet des chasseurs. » Cf. ps. xc, 3. —
Jerem. xvi, 16. Etc.
1. Les cisterciens eux-mêmes, à quelque temps de là,
ne laissèrent pas d’admettre certains fabliaux un peu gais
dans leurs cloîlres. Mais s’il en pouvait sortir leçon morale
sur les périls du cœur humain, cela ne valait pas moins
pour des religieux que pour des séculiers. Horace peut être
écouté en fait d’art, même plastique :
« Segnius irritant animos demissa per aurem,
Quam quæ sunt oculis subjecta fidehbus. »
L’Église ne parle pas d’une façon très-différente lors-
qu’elle dit à propos de l’Incarnation :<i... Ut dum visibiliter
» Deum cognoscimus, per hune in invisibilium amorem
» rapiamur. »
2. «... Ut nos divinitatis suæ tribueret esse participes.»
3. Je n’oserais pourtant pas affirmer que l’espèce de dra-
gon percé d’une flèche dans la sculpture B ne doive pas
sa blessure à l’arc du centaure. En ce cas, la force de ce
dernier indiquerait d’autant plus le triomphe prochain du
salvage home, quand il sera venu à bout de son principal
ennemi. Comme disaient jadis les jurisconsultes : Vincens
vincentem te, multo magis vincit te. Raison et foi combinées
lui apprendront à débarrasser la terre des monstres, comme
son cœur des passions brutales.