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MELANGES D’ARCHÉOLOGIE.

Il y a aussi des susceptibilités patriotiques qui ne laissent pas que de fausser la tradition,
surtout de notre temps où l’on s’est cru tout permis, faute d’être au courant des sources.
Ainsi à Chartres encore, on a écrit le nom de S. Fulbert (en beaux caractères d’écriture
anglaise du xixe siècle) sur la tiare d une statue qui représente saint Clément pape1.
Depuis qu’on 11e récitait plus le Bréviaire romain à Chartres (par les soins de l’abbé
Sieyès, si je ne me trompe), on n’y savait plus guère ce qu’était ce pontife romain
dont se réclamaient pourtant les plus vieux sièges de France. Fulbert, qui n’avait
jamais porté ni tiare, ni pallium, ni croix archiépiscopale, fut donc trouvé bon pour
remplacer le successeur de saint Pierre. La petite chapelle respectée par la mer2,
devint une cathédrale incendiée, sans que les personnages voisins de saint Clément,
sous le même portail, eussent été consultés au sujet du nouveau prélat qu’011 leur
associait arbitrairement.
Ailleurs, comme à Bourges, des vitraux placés côte à côte et charpentés (si l’expression
est permise) avec une même ossature, auront échangé plusieurs médaillons dans des
remaniements mal surveillés. Si l’on n’étudie pas les anciens textes, 011 ne démêlera
point ce chaos; et la vie de deux saints se trouvera interpolée par des épisodes que
ne soupçonnait pas le peintre. De bonnes gens accepteront la version nouvelle, les
guides du voyageur consacreront ce dire de l’intrépide antiquaire qui aura formulé
une légende inouïe ; et tout bon cicerone de l’endroit prendra soin de l’inculquer au
visiteur 3.
Il se peut bien aussi qu’à Semur en Auxois un tympan du portail septentrional
(ce me semble), où figure la légende de saint Thomas apôtre, continue à passer pour
monument de l’histoire bourguignonne4; tout comme on prétend montrer à Saint-
Wulfran d’Abbeville l’aventure d’un abbé commendataire de Saint-Riquier, dans une
représentation de saint Fustacbe 5.
A moins d’être familiarisé avec les liturgies anciennes et les passionnaux de diverses
églises, il sera presque impossible de reconnaître ce qu’avaient voulu les sculpteurs
ou les peintres en croyant consacrer des souvenirs indestructibles. La Légende dorée
importe beaucoup, sans aucun doute, mais quasi exclusivement pour les noms du
vieux Bréviaire romain. Chaque province avait besoin d’autres suppléments; et c’est
pourquoi, dès l’origine de l’imprimerie, l’Allemagne y joignit des Vies complémentaires.

1. Cf. Caractéristiques des saints, p. 201.
2. Brev. rom., 23 novembr.; ad matutin., respons. 3.
3. N’ai-je pas vu moi-même montrer, au château de Ver-
sailles, l’endroit où se tenait (disait-on) un garde du corps,
la main sur la gâchette de sa carabine, pendant la con-
fession de Louis XIV, pour empêcher le jésuite de poignar-
der son pénitent (sic!). Je l’ai entendu à l’endroit même
répéter d’un air capable, sous Louis-Philippe, par une
grande serinette officielle (prononcez estafier) galonnée ad
hoc. Plus d’un établissement public entretient encore des
employés qui gagnent leur yie à redire sans vergogne
mainte balourdise non moins outrageuse pour le bon sens.
Cependant Boileau prétendait que le Français est né ma-
lin ! « Nous avons changé tout cela» depuis lors. O progrès!
ne serais-tu qu’un mot, par hasard !
Zj. Cf. Millin, Vogagc dans le midi de la France, pi. XII,
et t. I, p. 187, svv. — Vitraux de Bourges, pi. II. Cela se
redisait encore récemment dans la Revue des deux mondes,

et il n’v aura plus moyen d’en disconvenir après ces
auteurs auctoriaux, lorsque des antiquaires également sans
gêne l’auront redit encore cinq ou six fois. Jusqu’à ce que
la chose passe ainsi pour incontestable, je prends la liberté
de me mettre en travers devant cette charge exécutée avec
un si bel ensemble par les moutons de Panurge, qui ne
s’en croient pas moins docteurs en affaires hagiologiques.
5. Cf. Caractéristiques des saints dans l'art populaire,
p. 7, Z|7 ; 591\, sv.; etc.
Notez que l’église collégiale de Saint-Wulfran devait
avoir assez peu de rapports avec l’abbaye de Saint-Riquier,
qu’un abbé non canonisé ferait singulière figure dans un
tympan, et que celui dont il s’agirait (Eustacbe le Queux)
vivait probablemént encore lorsque l’on sculptait le por-
tail en question.
Il va sans dire que M. Ch. Louandre, dans la Revue des
deux mondes encore (juillet 1873), ne s’est pas aperçu de
tout cela. Mais : «Mi rivedrai, ti rivedro. »
 
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